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[Covid-19] Le double impact de la viande hachée

Le haché aura été le produit phare du confinement. Il a permis un bon maintien des niveaux de consommation de viande bovine, mais son impact défavorable sur le prix des bovins finis suscite un sentiment de dégoût chez les éleveurs. Difficile d’inverser dans ces conditions l’actuelle décapitalisation constatée en ferme.

 © Aliaksandra/stock.adobe.com
© Aliaksandra/stock.adobe.com

En mars 2018, il y avait en France quatre millions de vaches allaitantes. Elles n’étaient plus que 3,85 millions vingt-quatre mois plus tard. Combien seront-elles en mars 2021 ? Au rythme où vont les choses et compte tenu du contexte très dégradé du marché de la viande bovine, il est illusoire de penser que la décapitalisation en cours va s’inverser.

Alors que printemps se traduit habituellement par une tendance haussière pour le prix des vaches et génisses. Cette année, c’est l’inverse qui se produit. C’est d’autant plus incohérent que la consommation de viande bovine se tient avec surtout une forte progression des achats de viande hachée. La restauration hors foyer (RHF), quasiment à l’arrêt depuis le début de la crise sanitaire, a orienté une bonne partie des achats des Français vers la grande distribution (GMS) et ses drives, ce qui a considérablement modifié les débouchés. Les grandes surfaces ont aussi eu tendance à simplifier leurs gammes afin de réduire le temps de présence des clients dans les magasins.

Tarifs âprement discutés

Les morceaux de viande nobles habituellement consommés en RHF se retrouvent délaissés au profit de la viande hachée, plus rapide à préparer mais aussi plus abordable. Et comme le steak haché est un produit d’appel pour lequel les tarifs sont âprement discutés, tout laisse à penser que plus la proportion de muscles d’une carcasse qui termine dans un hachoir est élevée, et moins le prix au kilo carcasse départ ferme est attractif pour les éleveurs. Didier Guillaume a lui-même reconnu qu’il y avait un paradoxe entre la hausse des volumes des achats, en particulier dans la grande distribution et la baisse des cotations France Agrimer constatée aux entrées des abattoirs.

C’est cette incohérence qui a conduit le 15 avril dernier la Fédération nationale bovine à inciter les éleveurs à retenir en ferme le plus possible leurs animaux prêts à abattre. Une proposition pour laquelle la FNB a reçu le soutien de la Confédération paysanne. Pour la Coordination rurale, retenir les animaux en ferme n’est pas la bonne solution. Et d’estimer que cette rétention de bovins sur pieds "n’aura aucun effet sur les prix et se traduira par des coûts supplémentaires pour les éleveurs déjà fragiles financièrement".

Toujours plus de muscles dirigés vers le hachoir

Cette demande accrue en viande hachée a conduit les industriels de la viande et de l’abattage à orienter vers le hachoir une plus forte proportion des muscles des carcasses et en particulier certains muscles jusque-là vendus piécés. Cette proportion serait très variable selon les catégories de bovin et les différents marchés : elle oscillerait entre un peu moins de 40 % jusqu’à plus de 70 %. Les plus fortes proportions concernent bien entendu les laitières et les allaitantes âgées et peu ou pas finies et les plus faibles les carcasses de génisses et jeunes vaches allaitantes essentiellement valorisées dans les rayons à la coupe.

« La part de la valorisation carcasse était de 57 % en haché et 43 % en muscles en 2017 (d’après le rapport Où va le bœuf de l’Institut de l’élevage), rappelle la Coordination rurale. Ce ratio a été modifié à l’avantage du haché à cause des changements de consommation pendant la période de confinement, avec des morceaux qui habituellement étaient valorisés en muscles à des prix plus importants, et qui se sont retrouvés transformés en haché. Dans un communiqué du 4 mai, le ministère de l’Agriculture évalue la part de haché à 70 % dans la valorisation carcasse. Cela a donc perturbé l’équilibre de la valorisation de la carcasse, et induit une baisse des cotations aux éleveurs », indique ce syndicat. « Cette évolution nous impose de nous questionner sur la construction de ce prix, qui doit impérativement parvenir à couvrir le coût de production de l’éleveur. À défaut, nous endosserons tous la responsabilité de la disparition de notre élevage allaitant de qualité. Personne ne peut durablement poursuivre une production qui, à chaque kilo produit, lui coûte de l’argent au lieu de lui permettre de vivre décemment », a indiqué le 4 mai dernier Didier Guillaume.

Revaloriser le prix du haché

Toujours est-il que si les différents intermédiaires présents « entre l’étable et la table » n’entendent pas faire évoluer le niveau des marges qu’ils appliquent à la viande bovine ou s’ils ne revalorisent par le prix du steak haché en rayon, il est difficile d’envisager une véritable hausse des prix à la production.

Dans un communiqué paru le 11 mai le groupe des Mousquetaires (Intermarché) a annoncé que son abatteur SVA « va augmenter progressivement ses prix d’achat aux éleveurs de bovins de races à viande ». Et d’annoncer « avant le 1er juillet prochain un prix minimum de 4 euros/kg payé à l’éleveur », à condition que les animaux soient destinés aux rayons boucherie des enseignes de son réseau, Intermarché et Netto. Effet d’annonce ou véritable engagement de ce distributeur ? Toujours est-il que si le prix seuil des animaux finis ne remonte pas au-delà de ce chiffre de 4 euros du kilo carcasse, il est difficile d’envisager un futur très serein pour le cheptel allaitant. La passion du métier est une chose, mais il faut aussi pouvoir vivre dignement de son travail si on entend faire perdurer le système d’exploitation familiale qui est encore le nôtre.

La nécessité de revaloriser le prix de la viande pour haché

Une étude réalisée par l’AHDB (Agriculture and Horticulture Development Board) office de promotion des produits de l’Agriculture britannique donne une appréciation de l’impact de cette utilisation d’une part croissante des muscles pour faire de la viande hachée (steaks ou préparations). Actuellement en Grande-Bretagne le créneau du haché concerne autour de 43 % du poids des morceaux d’une carcasse de gros bovin, mais seulement 39 % de sa valeur. À l’opposé, le filet est vendu près de 35 euros/kg. Donc s’il représente seulement 2 % du volume de la carcasse et 3 % de la viande nette, avec 230 euros/tête, il génère 10 % de la valeur au détail de la viande nette. Environ 75 % de la carcasse a une réelle valeur. Les 25 % restants sont des graisses, os et divers déchets. Si pour satisfaire à une demande accrue en haché, l’abatteur britannique oriente vers le hachoir des morceaux comme la poitrine, le gîte à la noix, la tranche ou le flanchet, jusque-là vendus piécés, cela fait passer la proportion de morceaux destinés à être hachés de 43 % à 63 %. Mais comme ces mêmes morceaux seront moins bien valorisés que s’ils avaient pu être vendus pour être commercialisés tranchés au détail, la valeur de la carcasse recule de 8 à 9 %. « Si l’abatteur va plus loin et hache la totalité de la viande nette commercialisable, la perte de valorisation atteint près d’un tiers (-31 %) », souligne l’Institut de l’élevage qui a récemment présenté les grandes conclusions de cette étude.

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