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Dans la Vienne, leur ferme caprine tourne autour du salariat

Plutôt que de se lancer dans la course aux investissements pour automatiser une partie du travail en élevage, les associés de la ferme du Maras ont plutôt misé sur le salariat, avec les avantages et les contraintes que cela implique.

Il est 7 heures du matin. La traite des 160 chèvres que compte la ferme du Maras débute. Arnaud Gauvreau et Lucas, son salarié, sont aux commandes dans la petite salle de traite. Difficile d’être à deux dans le petit espace, aussi, une fois le premier lot passé, Arnaud s’occupe du paillage et du soin aux animaux, laissant son jeune salarié plus libre de ses mouvements. Dans la chèvrerie, l’éleveur paille à la fourche et repousse le foin le long de l’aire paillée à l’aide d’un souffleur de feuilles. Ici, pas de distributeur de concentrés, ni de pailleuse, même si la taille et la configuration du bâtiment peuvent le permettre. « Nous avons à cœur de privilégier la force humaine, donc le salariat, plutôt que les machines », souligne Arnaud Gauvreau, qui s’est installé à la suite de son père et de sa tante en juillet 2017, en Gaec avec sa cousine Emmanuelle Rapaud.

Ce souhait de travailler avec d’autres personnes n’est pas qu’un vœu pieux pour les deux cousins, mais réellement une stratégie d’entreprise et toute la ferme s’organise en ce sens. Avec seulement 160 chèvres, les deux associés sont parvenus à embaucher trois personnes à temps plein, une à temps partiel et encore une jeune femme sous contrat étudiant. À cela s’ajoute l’aide ponctuelle mais bien présente des deux parents retraités, notamment au moment des mises bas, des foins, en fromagerie lors du pic de lactation ou pour la vente. « Avoir nos parents à proximité est une aubaine car ce sont des puits de connaissance. Par contre, nous reprenons l’entreprise qu’ils ont créée en partant de zéro, forcément nos façons de faire ne leur conviennent pas toujours », nuance Arnaud Gauvreau. Emmanuelle et lui appliquent alors la même règle qu’avec leurs salariés, ils privilégient l’échange et la discussion pour éviter les non-dits qui minent le travail. Les deux associés ont en effet revu l’organisation du travail à la ferme pour gagner en confort et en temps de vie de famille sans pour autant perdre de l’argent. « Nous essayons de coller à l’objectif de 50 heures par semaine, même si nous les dépassons encore régulièrement », explique le chevrier de 36 ans, toujours souriant. Le management des salariés est pourtant loin d’être une sinécure et demande une anticipation rigoureuse des calendriers de chacun.

Une valorisation en vente directe et livraisons

Arnaud gère la conduite du troupeau et les travaux des champs, secondé par Lucas, tandis qu’en fromagerie, Emmanuelle s’active avec Laura et Amandine, toutes deux à temps plein. Camille, l’étudiante, et Emmanuel, le jeune retraité, font les marchés, la vente à la ferme, les livraisons, etc. Plus de 60 % de leur chiffre d’affaires provient des ventes sur les marchés, notamment à Poitiers et Chauvigny, deux bassins de population dynamiques et demandeurs en fromages caprins. Le reste des ventes se fait en grande partie à la ferme, mais aussi via 70 clients professionnels que sont les magasins de producteurs, les grandes surfaces, les traiteurs, les cantines scolaires et en temps normal, les restaurateurs. Emmanuelle et Arnaud ont également répondu pour la première fois à un appel d’offres d’une collectivité. Le Grand Poitiers a passé commande pour 1 000 chabis pour les lycées, soit 1 000 litres de lait. « Il y a une vraie pression à travailler sur ce type de commande, mais c’est aussi stimulant et cela nous fera connaître plus largement », apprécie Emmanuelle.

Garder les chèvres le plus longtemps possible

« Nous ne voulons pas augmenter le cheptel car cela signifie un agrandissement des bâtiments et nous ne voulons pas nous lancer dans cette course », explique Arnaud, droit dans ses bottes. La rechercher de revenus se fait donc sur d’autres paramètres que la seule quantité de lait produite. Pour eux qui sont 100 % producteurs fermiers, l’augmentation des taux protéique et butyreux, ainsi que du rendement fromager prend tout son sens. Pour cela, le troupeau est suivi depuis les années quatre-vingt par le contrôle laitier et les éleveurs ont fait le choix de l’insémination artificielle pour 70 de leurs chèvres. Hormis la grosse quarantaine de chevrettes qui sont conduites au bouc, tout le reste du troupeau est en lactation longue. « Nous avons fait ce choix technique afin d’avoir du lait toute l’année. C’est primordial car, malgré les explications, les clients ne comprennent pas toujours qu’il y ait un arrêt de fabrication, détaille Arnaud Gauvreau. En plus, cela permet de lisser la production sur l’année et les chèvres en lactation longue guident les primipares à la traite. » En fait, à la ferme du Maras, on évite au maximum d’avoir à élever des jeunes. « On mise sur la longévité de nos chèvres via les lactations longues. C’est toujours moins fatigant pour elles que les mises bas à répétition », argumente l’éleveur. Mis à part les 40 à 50 chevrettes gardées pour le renouvellement du cheptel, toutes les autres sont vendues pour la reproduction, de même que les deux tiers des petits mâles, qui sont vendus à trois mois. Les chevreaux de boucherie sont gardés pendant six semaines avant d’être abattus, mis en caissette et vendus en direct. Les ventes de reproducteurs et de chevreaux de boucherie permettent de rembourser l’élevage des chevrettes de renouvellement.

Être éleveur de chèvres et manager tout en même temps

Autant Emmanuelle qu’Arnaud ont eu des expériences professionnelles avant de s’installer. Arnaud était responsable d’un magasin de prêt-à-porter tandis qu’Emmanuelle travaillait chez un traiteur et manageait une équipe. « L’approche du management lorsqu’on est soi-même salariée n’est pas du tout la même que lorsque l’on est chef d’entreprise », détaille-t-elle. « Nous avons une vision de notre ferme, que nous voulons partager avec nos salariés, mais forcément, l’investissement n’est pas le même pour eux que pour nous », renchérit Arnaud. Il faut savoir composer avec les contraintes du salariat et gérer les relations humaines. Avec cinq salariés, le calendrier d’activités doit jongler entre les congés de chacun et les impératifs du métier. « Tout le monde est là pour les mises bas, apprécie Arnaud. Par contre, il faut arriver à ce qu’il y ait toujours du monde disponible le samedi qui est la plus grosse journée de la semaine avec les deux marchés principaux de Poitiers et Chauvigny, ainsi qu’une force de travail conséquente tout au long du pic de lactation. ». »

Une exploitation familiale depuis plus de 50 ans

Chaque semaine, les associés font un point sur les activités à venir avec tous les salariés. « Nous essayons dans la mesure du possible de responsabiliser nos salariés. Je délègue la quasi-intégralité des travaux aux champs à Lucas », cite en exemple Arnaud. « J’avais le projet de m’installer mais maintenant j’apprécie d’être salarié, c’est un vrai confort de vie », assume le salarié en question, qui travaille à la ferme du Maras depuis trois ans. « Nous embauchons souvent d’anciens stagiaires de la ferme, que nous avons déjà vus à l’ouvrage », explique Emmanuelle. La ferme du Maras fait partie de la famille depuis la fin des années soixante, à l’époque exploitée par le grand-père des deux associés. « Nous voulons faire perdurer cette image d’entreprise familiale en intégrant nos salariés », reprend la jeune femme, volontaire. « Nous communiquons beaucoup, quand ça ne va pas, mais aussi quand ça va. Savoir dire « merci » ou « beau travail » est valorisant pour l’autre et rend encore plus agréables les relations humaines », insiste Arnaud Gauvreau.

Une gamme de fromages riche en goût et en médailles

Grâce à son expérience dans la gastronomie, Emmanuelle Rapaud propose une gamme de fromages très développée, qui joue sur la proximité des AOP caprines du Centre, sans pour autant adhérer aux cahiers des charges. La ferme du Maras passe 20 % de sa production laitière en tomme, le reste est transformé en pavé, bûchette, camembique, faisselle, yaourt… Le Gaec participe fréquemment aux concours fromagers, où sa production est régulièrement récompensée. « C’est une satisfaction pour nous de faire aussi bien que nos parents, souligne Emmanuelle. Ces concours nous permettent d’accroître notre visibilité et c’est rassurant d’avoir des avis positifs des professionnels du fromage. »

Une ferme caprine grande ouverte au public

Les associés de la ferme du Maras multiplient les actions pour ouvrir leurs portes au grand public, bien que cela ait été freiné par la pandémie. Ils ne manquent pas d’idées d’animations et de développements pour l’accueil. L’élevage est répertorié par les offices du tourisme de Poitiers et de Chauvigny et travaille en partenariat avec le Village vacances voisin qui propose un tour pour découvrir la région. « Nous faisons des visites guidées payantes avec dégustation pour des groupes de 30 à 40 personnes. Nous accueillons aussi des scolaires et les clients du magasin de la ferme peuvent faire des visites libres », liste Arnaud Gauvreau. Très souvent accompagnées d’achats de fromages, ces visites sont un vrai atout pour les exploitants, même s’il faut « cadrer les horaires de visites, sinon on est vite débordé ». Arnaud et Emmanuelle ne ratent pas une occasion de parler de leur métier, en faisant tomber les idées reçues et en défendant leur manière de travailler. « Nous réfléchissons à aménager une aire d’exercice pour les chèvres. Je pense que prendre un peu le soleil sera bénéfique pour elles et l’image de l’élevage n’en sera qu’améliorée », reconnaît le chevrier. D’autres projets commencent à germer, comme organiser des randonnées gourmandes dans les environs, créer une ferme pédagogique avec des poules, un âne et des boucs castrés ou encore proposer des sorties à cheval. La ferme va également se doter d’une salle de réception pour accueillir les grands groupes ou des évènements privés.

Chiffres clé

160 chèvres
70 IA et 40-50 chevrettes en monte naturelle, le reste en lactation longue
180 000 litres par an soit 1 100 litres/chèvre, 100 % transformation fermière
Valorisation moyenne entre 2,50 euros et 3,30 euros/litre de lait
2 associés, 2 temps plein, 1 temps partiel, 1 contrat étudiant
50 ha de prairies multiespèces et 33 ha cultures (blé et orge) en autoconsommation

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