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"S’adapter au réchauffement climatique devient vital"

En Lozère, Vincent Granier et Antoine Gerbal, les deux associés du Gaec Chantegrenouille perçoivent nettement les impacts de l’évolution du climat. Ils ont déjà mis en place des parades, mais, comme les grenouilles, ils restent cois sur ce qu’il faudrait mettre en œuvre !

Depuis le drainage des basses zones humides tourbeuses dans les années 70 - une nécessité pour les mécaniser et rendre viables les exploitations en confortant les surfaces de fauche - et cette sécheresse 2022, les grenouilles restent très discrètes au lieu-dit Chantegrenouille qui tire son nom de la présence des batraciens. C’est un des signes du réchauffement climatique que perçoivent de plus en plus Vincent Granier et Antoine Gerbal, les deux associés du Gaec Chantegrenouille.

Ils œuvrent au quotidien pour s’adapter à ces évolutions mais sont tout de même désorientés quant aux solutions adopter. Située à 1 220 mètres à Saint-Laurent-de-Muret sur la bordure est du plateau de l’Aubrac au pied du volcan Pic de Mus, l’exploitation optimise une surface fourragère composée de prairies permanentes entrecoupées par de nombreux bosquets le tout sur un sous-sol cristallin séchant, avec de nombreux affleurements granitiques rendant la mécanisation problématique.

Le parcellaire est intégralement situé sur la commune. Il se compose d’îlots parfois morcelés mais sur lesquels est pratiqué du pâturage tournant dynamique. Toutes les parcelles disposent de ressources en eau. Il y est fait un gros travail d’entretien des clôtures (barbelés) positionnés au-dessus des murets en pierre très typiques de cette partie de l’Aubrac. Neuf hectares de prairies temporaires sont dédiées à la culture de triticale et/ou de ray-grass anglais. Ils sont enrubannés fin juin, tardivement du fait de l’altitude. En juin, la moitié des récoltes fourragères sont effectuées en enrubannage puis en foin. Globalement, le système fourrager est autonome à 97 % mais il manque l’équivalent de 8 % de concentré dans les rations qu’il faut acheter.

Le soleil "mange" l’herbe

« Les sécheresses de septembre ne permettent plus de faire pâturer de bons regains durant les mois d’automne et compliquent les semis. La régénération des prairies naturelles est aussi plus difficile. Nous prévoyons systématiquement l’achat de 55 tonnes de paille - utilisées aussi pour le poulailler - et d’un camion de 30 tonnes de luzerne deuxième coupe et de regain, indique Vincent. Les précipitations devenues moindres sur notre exploitation (moins d’épisodes cévenols et moins de pluies venues de l’Ouest) nous ont conduits à réduire le chargement sur l’ensemble des pâtures, y compris sur notre montagne de 22 hectares qui, durant les années 'normales', pouvait estiver jusqu’à 32 couples du 25 mai au 1er novembre. Cette année, elle n’a pu supporter que 25 couples et seulement du 25 mai à la mi-octobre. Pour réduire le chargement, nous avons dû mettre en estive 25 couples chez un voisin. Autrefois, les premières neiges de novembre perduraient fréquemment jusqu’en mars. Actuellement, la neige tombe sous forme d’averses ponctuelles et le tapis neigeux ne dure que quelques jours. Le soleil aujourd’hui 'mange plus que les vaches !'. Notre adaptation au climat est donc permanente et aucune année ne se ressemble », déplore Vincent.

Un troupeau efficace et maîtrisé

Classique de l’Aubrac, le troupeau est mené à 70 % en croisement avec un faible taux de renouvellement (14 % cette année). La moitié des vaches mères à taureaux et mères à génisses sont inséminées en race pure. Les vêlages sont groupés de décembre à février.

Les résultats du troupeau parlent d’eux-mêmes : le Gaec a remporté deux fois les Sabots d’or au Sommet de l’élevage et a été deux fois hors concours dont cette édition 2022, remportée par un éleveur de… l’Allier ! Vincent est très attaché au VA4 et déplore que l’Union aubrac n’incite pas davantage à son adhésion (que 32 % des adhérents au niveau national en 2021). « Nous nous coupons de la possibilité de repérer les bonnes souches laitières, indispensables à nos systèmes tout herbe. De plus, l’achat de taureaux en station devient plus difficile pour les locaux car les prix flambent du fait d’achats hors berceau. La génétique dont on a besoin ira s’utiliser puis se faire ailleurs. » Quant aux taureaux charolais, ils proviennent toujours du même élevage de Saône-et-Loire. Finesse d’os, conformation et vitesse de croissance sont les critères recherchés.

Côté génétique, si l’instabilité climatique et les canicules s’intensifient, une piste d’adaptation sera de sélectionner des animaux thermo-robustes. Déjà pour résister à la chaleur, le Gaec Chantegrenouille dispose de parcelles très ombragées, le gabarit des vaches est modeste, elles ont de très bons aplombs qui permettent des déplacements faciles.

Émonder les frênes pour pallier le manque d’herbe

Cette année pour faire face au déficit fourrager, Vincent et Antoine ont eu recours à l’affouragement avec des feuilles de frêne. Une technique ancestrale qui s’est avérée efficace, mais un travail difficile, astreignant, et peu transposable. Nourrir des vaches avec des arbres n’est pas nouveau. « La valeur de la feuille de frêne est équivalente à un ray-grass – trèfle blanc et luzerne, en énergie et protéine », indique l’Inrae de Lusignan en Vienne, qui travaille le sujet.

Du 1er août au 15 octobre, les trois lots de vaches suitées de veaux mâles (2 lots de charolais X aubrac et 1 aubrac) soit 26 couples ont été nourris tous les jours de la semaine sans exception avec des jeunes pousses. Chaque jour, Antoine et Vincent ont émondé deux arbres, chargé trois remorques et distribué les fagots de frêne dans les pâtures en veillant à bien les disposer pour que toutes les bêtes y aient accès sans concurrence. Les feuilles consommées, tout le bois résiduel a été broyé en plaquettes pour faire des litières, économisant de la paille. Distribuée régulièrement tous les matins à heure fixe, vaches et veaux mangent puis vont se coucher, repus. Cela correspond à une demi-ration journalière. « Si cette opération nous a très bien réussi, elle a toutefois de sérieuses limites, indique Vincent. D’abord le travail (4 heures par jour à deux) puis la sécurité. Pour tronçonner en haut des arbres nous n’avions pas de dispositif de sécurité trop adapté. C’est une solution ponctuelle, car nous avons littéralement ratiboisé notre parc d’arbres. Il faudra attendre cinq ans pour que cela repousse et renouveler l’opération ! »

Des filières de qualité locales

Adhérent pour 100 % des animaux maigres et gras à la coopérative Celia, le Gaec Chantegrenouille produit pour les filières de qualité en respectant scrupuleusement le cahier des charges. En gras, les génisses croisées sont valorisées par le biais de l’identification géographique protégée Fleur d’Aubrac (26 à 42 mois 400-420 kg carcasse) et les vaches de réforme en BFA (bœuf fermier aubrac). À noter en Aubrac la devise : « un pays, une race » qui traduit l’attachement des éleveurs locaux à la race locale tout en ayant mis sur pied ces deux démarches visant à permettre une meilleure valorisation des viandes produites sur ce territoire par des signes officiels de qualité.

À noter également une petite production de thé d’Aubrac ou Calament à grandes fleurs qui pousse en sous-bois de hêtre. Deux cents pieds dont la fleur est récoltée l’été sont aujourd’hui commercialisés pour des infusions, gâteaux, apéritifs, cosmétiques… dans le cadre de l’association Valorisation des ressources naturelles de l’Aubrac. Cette plante était autrefois utilisée par les anciens sur les vaches ayant des problèmes de digestion !

Un bilan carbone difficilement améliorable

À son installation en 2017, Antoine Gerbal qui est également le neveu de Vincent Granier, a bénéficié d’un diagnostic CAP’2ER (calcul automatisé des performances environnementales en élevage de ruminants). Une étape fort intéressante en début de carrière pour adapter les pratiques aux enjeux de demain.

Il indiquait que 31 % des émissions GES étaient couvertes par le stockage de carbone : une contribution positive du système, notamment grâce aux prairies. Le Gaec stocke 249 tonnes eq CO2, entretient 296 eq ha de biodiversité et nourrit 359 personnes. Les pistes pour dépenser moins sont ténues : utiliser un pendillard pour écarter le lisier ou mettre davantage de méteil, difficile avec les rochers !…. Planter davantage de haies aurait peu d’impact car celles déjà existantes ne contribuent que pour 1 % du stockage. Prendre du foncier supplémentaire ou diminuer le nombre de vaches… des options à étudier par rapport à l’équilibre financier et la charge de travail supplémentaire engendrée. Il y a bien le photovoltaïque qui amène une contribution positive (les recettes de la première installation ayant financé la seconde) mais elle n’est pas comptabilisée dans le bilan car non autoconsommée.

Bref, Vincent et Antoine devront encore faire preuve d’adaptation d’anciennes pratiques et de conduites innovantes d’autant plus que, pour répondre au cahier des charges de l’agriculture biologique par rapport à l’activité volailles, la totalité des terres sera en conversion bio, au 1er janvier 2024. (uniquement à cause de l’épandage des fientes.) Voilà une contrainte supplémentaire à prendre en compte afin de gérer l’instabilité climatique et la réduction de l’empreinte carbone pour que, toujours, chantent grenouilles !

Émeric Pelissier, conseiller bovins croissance Lozère

Émeric Pelissier - conseiller bovins croissance Lozère

Du lait et de l’herbe bien gérée

"La valeur laitière des mères et la gestion optimisée de l’herbe sont les deux piliers de la rentabilité du système. Grâce à leur système tout herbe et une bonne valorisation des femelles en IGP Fleur d’Aubrac pour les croisées et en BFA pour les vaches aubracs, Vincent et Antoine disposent d’un système en rythme de croisière économiquement viable.

Les marges sont optimisées et le pâturage tournant dynamique a permis de gagner en productivité de l’herbe même s’il y a toujours un peu d’achat de fourrages. La reproduction fonctionne bien en étable entravée et les croissances des veaux sont très bonnes grâce notamment à un des principaux critères de sélection qu’est l’index lait. Ils ont su trouver un équilibre avec cette race aubrac très rustique pour valoriser des parcelles plutôt séchantes et bénéficier de ses qualités maternelles et par le croisement des aptitudes bouchères du charolais."

CHIFFRES CLES

208 ha dont 110 pâtures mécanisables, 41de prairies naturelles, 48 de landes et 9 de prairies temporaires (triticale/ray-grass)

1 220 m d’altitude, pluviométrie 602 mm en 2021

86 vaches aubracs conduites à 70 % en croisement

132 UGB soit 0,64 UGB/ha SFP

2,5 UMO dont 0,5 de bénévolat

93 places dans l’étable entravée et stabulation libre de 14 parcs de 5 places

1 atelier volailles de chair bio (2 bâtiments de 400 m2 pour 8 100 poulets/an)

 

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