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Maghreb et Moyen-Orient ont faim de viande sur pied

Les exportations de bovins vivants vers les pays tiers diversifient les débouchés du bétail français. Les pays du pourtour sud et est de la Méditerranée ont des besoins croissants mais ces débouchés demeurent fragiles compte tenu des aléas politiques et sanitaires. L’Algérie demeure notre principal client.

infographie export de bovins vifs sur pays tiers
Le pourtour méditerranéen est le premier bassin au monde importateur de bovins vivants avec 1,7 million de têtes venues du monde entier en 2019
© Réussir

La plupart des lecteurs de Réussir Bovins Viande se souviennent probablement avec bonheur du second semestre 2012. La soudaine ouverture du marché turc à la viande puis aux JB vivants avait permis une sensible progression du prix des mâles finis. Laquelle s’était transmise par effet domino aux autres catégories de bovins de boucherie. Un scénario similaire avait eu lieu quelques mois plus tard quand la demande accrue des mêmes Turcs pour les broutards légers français avait eu un effet bénéfique pour tendre les prix des différentes catégories de bétail maigre. Ces progressions des tarifs traduisaient une donnée commerciale vieille comme le monde : le meilleur moyen de tendre les prix d’un produit est d’abord d’en accroître la demande ! Cet élargissement des débouchés et la progression des prix du bétail français avaient alors redonné des perspectives à bien des exploitations. Il leur avait permis pour les animaux finis de ne pas dépendre des seuls abatteurs et distributeurs de l’Hexagone. Dans le même ordre d’idée, il évitait aux producteurs de bétail maigre d’être trop dépendants des ateliers d’engraissement italiens.

Des débouchés trop volatils

Bien des éleveurs avaient ensuite déploré la volatilité de ces marchés, susceptibles de s’ouvrir puis de se fermer au gré des aléas diplomatiques et sanitaires, sans oublier l’impact des dévaluations monétaires. Lorsqu’ils concernaient les animaux finis, ces débouchés avaient aussi parfois été montrés du doigt dans la mesure où ils tendaient à désorganiser les flux vers les abattoirs français et « détournaient » une partie de la marchandise qui aurait pu contribuer à les faire fonctionner.

Il n’en demeure pas moins que la progression de la demande pour le bétail vif de la part des pays des rives sud de la Méditerranée et du Moyen-Orient se confirme d’année en année. Leurs besoins sont dopés par la démographie, la hausse du pouvoir d’achat, sans occulter les orientations religieuses dominantes et leurs conséquences pour le choix des espèces consommées. Ces pays importent une part de leurs besoins sous forme de viande fraîche, réfrigérée ou congelée. Mais ils tiennent également pour diverses raisons (lire plus loin) à importer le complément sous forme d’animaux vivants avec une certaine diversité dans les catégories retenues, depuis les taurillons finis jusqu’aux génisses laitières en passant par les bovins maigres.

Un débouché aux portes de l’Europe

Si on s’en tient aux statistiques, le pourtour méditerranéen est actuellement dans le monde le premier marché pour les bovins vivants (voir carte). « Il a concerné l’an dernier 1,7 million de têtes dont à peu près 850 000 venaient de l’Union européenne, sans compter des 'flux gris' pouvant partir des pays de l’Afrique subsaharienne et destinés au Maghreb », précise Germain Milet, agroéconomiste à l’Institut de l’élevage. Bien que situé aux portes de l’Europe, ce marché est largement approvisionné par d’autres pays (Brésil, Uruguay, Australie…), pourtant bien éloignés. « Il faut ouvrir le plus de portes possible pour se donner toutes les possibilités de valoriser au mieux le bétail français avec la nécessité d’avoir des animaux qui correspondent au mieux à la demande. Et pourquoi se priver de débouchés en progression qui ont toute leur place pour écouler une partie des animaux issus du cheptel français et plus largement européen », estime Christian Berthet, négociant dans le Rhône, et fin connaisseur de ces pays avec lesquels son entreprise familiale travaille depuis de nombreuses années.

Espagne, Roumanie et France font le tiercé dans l’ordre

Si on s’en tient aux membres de l’Union européenne, le plus important exportateur de bovins vers les pays tiers est l’Espagne avec 193 000 têtes en 2019 et des volumes qui ont plus que doublé depuis 2012, surtout pour des taurillons finis. Elle est suivie par la Roumanie qui a exporté 141 000 têtes en 2019, soit + 80 % par rapport à 2012. La France (124 000 têtes) arrive en troisième position. La fermeture du marché turc au bétail français pour des raisons d’abord diplomatiques est un frein évident au développement des volumes dans la mesure où ce pays qui dispose d’unités d’engraissement de dimension conséquente est actuellement essentiellement approvisionné avec du maigre importé d’Amérique latine. Les engraisseurs turcs avaient pourtant apprécié la qualité du maigre français. « S’ils avaient la possibilité d’acheter en France, ils reviendraient demain matin ! Ils ont eu vite analysé les différences de GMQ selon les provenances ! », souligne Christian Berthet. La demande des pays du Moyen-Orient concerne aussi souvent les deux espèces bovine et ovine et le fait de pouvoir les associer sur un même bateau comme le pratiquent les Australiens constitue un « plus » pour satisfaire la demande de certains clients.

Bon complément à l’Italie

Pour autant, si le marché des pays tiers est une opportunité à analyser avec intérêt, l’Italie demeure incontournable. « Maghreb et Moyen-Orient doivent davantage être analysés comme une diversification. Cette année, le marché algérien pourrait avoisiner 100 000 têtes si le second semestre ressemble au premier, mais les volumes exportés par la France sur les pays tiers demeureront modestes comparativement à ce qui se fait sur l’Italie », souligne Christian Berthet. Et ce dernier de mettre en avant comme dans le cas de la Turquie les aléas géopolitiques qui se sont traduits par des ouvertures puis des fermetures des frontières très soudaines. Pour les pays du Maghreb, le volet sanitaire demeure une problématique majeure. La fièvre aphteuse sévit toujours et s’est traduite l’an dernier par la fermeture du débouché algérien une bonne partie de l’année. L’Italie est d’évidence un débouché plus régulier et d’autant mieux construit qu’il avait émergé dans les années soixante. « Dans les grosses unités d’engraissement italiennes, tout est désormais réglé et calibré de façon on ne peut plus rationnelle. La gestion est optimisée avec deux animaux par place et par an et, des conduites parfaitement définies et planifiées côté poids entrée et sortie. » Il n’y a rien de similaire au Maghreb. Même si le nombre de grandes unités d’engraissement progresse, il y a un côté plus « artisanal ». « À leur entrée en atelier comme à leur sortie, l’éventail du poids est plus large. Au Maghreb, ils n’ont pas cette contrainte d’âge seuil de 24 mois », souligne Christian Berthet qui analyse en revanche ces débouchés comme un excellent complément au marché italien.

« Je pense que le débouché du Maghreb va se développer, c’est d’abord lié à la démographie dans ces pays », estime Christian Berthet. Certes les niveaux de consommation de viande bovine y sont contrastés et demeurent globalement modestes si on les compare aux chiffres français (voir tableau). Ils prennent en revanche très vite une autre dimension si on les multiplie par le nombre d’habitants. Surtout avec une démographie particulièrement dynamique. La population algérienne est par exemple passée de 12 millions d’habitants en 1966 à 43 millions début 2019 et les prévisions font état de 57 millions en 2040.

« Les perspectives sont globalement positives », confirme Germain Milet en tempérant son optimisme compte tenu de l’actuelle baisse du prix des hydrocarbures sans occulter les nombreux aléas (sanitaires, logistiques, politiques, sécuritaires, réglementaires, diplomatiques, monétaires…) susceptibles de venir freiner ou bloquer les échanges. Et de s’interroger également sur les enjeux sociétaux liés à la montée en puissance des préoccupations sur le bien-être animal et le transport des animaux sur les navires. Autant de menaces qui proviennent d’abord d’organisations propres à des pays membres de l’Union européenne. « Ces problématiques ne sont pas d’actualité au Maghreb et au Moyen-Orient, à l’exception d’Israël. La notion de prise en compte du bien-être animal est inversement corrélée à celle du produit intérieur brut par habitant ! »

 

 

Une concurrence espagnole efficace

« Notre principal concurrent est espagnol en particulier pour les animaux finis. Pour cette catégorie on est moins bon sur tout », estime Christian Berthet, négociant dans le Rhône. La dimension de leurs ateliers permet aux Espagnols de composer aisément des lots plus homogènes sans avoir à piocher dans de nombreux élevages. Ils auraient également une plus grande réactivité pour adapter les caractéristiques du bétail qu’ils produisent aux exigences qualitatives de leurs clients. Le coût de la main-d’œuvre, des bâtiments et, la proximité géographique depuis les deux ports de Tarragone et Carthagène avec forcément des coûts de transport inférieurs permet aux Espagnols de proposer des tarifs plus attractifs. Le mode de fonctionnement dans leurs ports et le handicap lié à la puissance du lobby des dockers français est également à prendre en compte. Les intervenants contactés pour ce dossier soulignent aussi l’excellent accompagnement commercial dont bénéficient les exportateurs espagnols de la part de leurs autorités sanitaires afin d’ouvrir un maximum de marchés. « Le système administratif espagnol est très performant. On ne peut que le reconnaître et surtout l’envier », soupire Christian Berthet. Et de citer le marché turc désormais rouvert au maigre espagnol. Idem pour l’Arabie saoudite et la Jordanie désormais ouvertes aux taurillons gras ibériques.

Pourquoi du vif plus que de la viande

Difficultés à respecter la chaîne du froid, l’abattage rituel, la valorisation du cinquième quartier… Plusieurs raisons poussent ces pays à maintenir l’achat de vif.

La première question que l’on pourrait se poser est de savoir pourquoi ces pays se compliquent la vie en important des animaux vivants, alors qu’il semblerait plus simple d’un point de vue logistique d’importer de la viande ou même des carcasses !

Une première explication est liée à la logistique. Dans ces pays chauds, voire très chauds, la chaîne du froid n’est pas toujours parfaitement maîtrisée dans les circuits de distribution, en particulier ceux destinés à approvisionner le commerce traditionnel des bouchers détaillants. Dans ces conditions, la « viande sur pied » est analysée comme plus facile à stocker avec une planification des abattages au fur et à mesure des besoins. Ces pays sont également soucieux de faire travailler leurs engraisseurs et leurs outils d’abattage. « Un abattage local permet également d’avoir la certitude que les conditions de l’abattage rituel seront rigoureusement respectées », souligne Germain Milet, agroéconomiste à l’Institut de l’élevage. La valorisation du cinquième quartier permet également de faire fonctionner toute une économie et en particulier celle des tanneries et de la maroquinerie. Cet abattage de proximité rassure également sur la « fraîcheur » du produit dans la mesure où la clientèle souhaite souvent pouvoir disposer de viande débitée rapidement une fois l’animal abattu. Dans ces pays, bien des consommateurs ont peu d’exigences pour la maturation avec des carcasses classiquement débitées deux à trois jours après abattage.

Cuissons longues et lentes

Les modes de consommation sont, il est vrai, assez éloignés des standards occidentaux. Dans la cuisine orientale, il y a peu de grillades et la gastronomie locale donne priorité à des cuissons à la fois longues et lentes (viandes braisées, ragoûts, tajines…). « La découpe des carcasses peut être analysée comme assez sommaire comparativement à ce qui est pratiqué en France et en Italie. La plupart des morceaux sont coupés et surtout vendus avec les os. La différence de prix au kilo est moins importante que chez nous selon les morceaux. C’est aussi pour cela que leurs exigences sont pour l’instant moindres sur le volet de la conformation, même s’ils se sont vite rendu compte de l’intérêt de travailler avec des animaux mieux conformés », souligne Christian Berthet. Le niveau des besoins évolue également selon le calendrier religieux. Le ramadan favorise la consommation. « Mais cette année son effet a été moins net, car perturbé par le confinement. »

Le vif entre dans le segment de la viande haut de gamme, mais dans ces pays où le tourisme est une activité économique importante — hormis en Algérie et en Lybie — les grandes chaînes hôtelières donnent priorité à la viande importée. « Le volet sanitaire entre en compte pour beaucoup mais également l’homogénéité du produit », explique Germain Milet.

Les aléas des statistiques

Dans ces pays, la part des importations de viande congelée ou réfrigérée est variable rapportée à la consommation totale. Établir le ratio entre les tonnages de viande importée et ceux provenant d’animaux engraissés localement, ou importés vivants est un exercice délicat. « Les données statistiques des douanes sont à peu près fiables. Pour celles relevant des abattages locaux, c’est nettement plus complexe », résume Germain Milet.

F. A.

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