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La face cachée du mouvement végan

Vidéos à charge avec la volonté de choquer. Violence des propos. Intrusions dans les élevages et les abattoirs. Agression de bouchers… L’agenda des animalistes radicaux est bien de mettre fin à l’élevage.

manifestant veganisme
© Jacques Pion/Hans Lucas

Pourquoi tant de haine ? Pourquoi désigner à la vindicte populaire les métiers des filières animales en s’appuyant sur des images ne reflétant pas la réalité quotidienne de leurs pratiques mais des manquements à la règle, qui lorsqu’ils étaient avérés, étaient dénoncés par les filières ? Pourquoi aller jusqu’à incendier un abattoir ou vandaliser l’étal d’un boucher bio, comme cela s’est encore produit récemment ? Pourquoi les médias grand public relaient-ils les messages et reprennent-ils les images de ces activistes sans jamais, ou presque, questionner les idéologies qui sous-tendent leurs actions ou s’interroger sur leurs sources de financement ? Quel est l’impact du véganisme radical, pourtant extrêmement minoritaire, sur l’opinion publique et le regard que la société porte sur l’élevage des animaux d’élevage et, plus prosaïquement, sur la consommation de viande ? Et, enfin, comment les filières d’élevage peuvent-elles reprendre la main sur un débat qui leur a en grande partie échappé ?

L’animalisme radical a sauté à la figure des acteurs de l’élevage à partir du milieu des années 2010. Les vidéos à charge de L214 (1), construites à partir d’images captées illégalement et savamment assemblées au montage pour choquer, soutenues par des musiques anxiogènes et intelligemment médiatisées, les ont laissés sans voix. Des mouvements plus radicaux encore ont émergé dans leur sillage. Ils sont à l’origine d’actions violentes : blocages d’abattoirs, intimidations et dégradations de biens visant des boucheries et des commerces. L’incompréhension est totale dans des filières et dans un pays qui ne se considèrent pas comme un mauvais élève sur les questions de protection animale.

Les abolitionnistes visent l’éradication de l’élevage

Très bruyants, ces mouvements radicaux sont pourtant loin de représenter tout le champ de la protection animale, qui existait bien avant ces actions spectaculaires. On a coutume de distinguer deux sortes d’associations, les welfaristes et les abolitionnistes, selon leur positionnement vis-à-vis des animaux d’élevage. Les premières ne remettent pas en cause l’élevage mais militent en faveur de l’amélioration des conditions de vie et d’abattage des animaux. Trois associations welfaristes dominent le paysage français de la protection des animaux de ferme : Welfarm, CIWF (Compassion in world farming) et Oaba (Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoir). Ces associations travaillent en partenariat avec les filières d’élevage ou la grande distribution pour faire progresser les pratiques. Interbev a engagé depuis 2017 un dialogue avec ces ONG (Organisations non gouvernementales).

Discussion impossible en revanche avec les associations abolitionnistes, telles que L214, qui refusent par principe tout partenariat avec le monde de l’élevage. Et pour cause. Elles visent l’éradication de l’élevage en France au nom de l’idéologie antispéciste (lire page), qui met sur un pied d’égalité les animaux et les hommes. La Fondation pour l’innovation politique (Fondapol), un think tank (laboratoire d’idées) libéral et progressiste, a décrypté dans une récente étude (2) le fonctionnement des associations abolitionnistes et les ressorts qui animent ce fondamentalisme végan — qu’il ne faut pas confondre avec les végétariens ou végétaliens (lire ci-contre), qui ne cherchent pas nécessairement à imposer leur rejet de la viande à l’ensemble de la société.

Radicalité des propos, des visions et des modes opératoires

« L’animalisme radical présente trois caractéristiques communes, qui le distinguent notamment de l’animalisme 'réformiste' incarné par les associations traditionnelles », analyse Eddy Fougier, expert des mouvements protestataires, pour la Fondapol. Une triple radicalité, des propos, des visions et des modes opératoires. Les mots et les images utilisés pour parler des animaux et de la viande sont volontairement outranciers et provocateurs. L’expert cite notamment Aymeric Caron, l’une des figures médiatiques de l’animalisme radical : « le consommateur de viande est un assassin », « dire à un boucher que c’est un assassin, c’est une réalité étymologique parce qu’un assassinat, c’est un meurtre avec préméditation, sans consentement de la victime »… « L’objectif évident des animalistes radicaux est de modifier le regard que les Français peuvent avoir sur l’élevage industriel, la viande, la boucherie, la fourrure, les expérimentations animales, le gavage des oies ou des canards ou encore la corrida en suscitant chez eux indignation et colère face aux traitements infligés aux animaux », analyse-t-il.
Quant à la radicalité des visions, L214 ne s’en cache pas. « Parce que la production de viande implique de tuer les animaux que l’on mange, parce que nombre d’entre eux souffrent de leurs conditions de vie et de mise à mort, parce que la consommation de viande n’est pas une nécessité, parce que les êtres sensibles ne doivent pas être maltraités ou tués sans nécessité, l’élevage, la pêche et la chasse doivent être abolis », affirme l’association en page d’ouverture de l’un de ses sites (abolir la viande).
Quant à la radicalité des modes opératoires, point besoin de dessin.

Un marketing de l’horreur efficace

Cet objectif abolitionniste n’empêche pourtant pas L214 d’avancer masquée. « Le projet serait clairement abolitionniste et antispéciste, tout en étant audible par le grand public et les médias. Nous avions l’intention de mener des campagnes sectorielles qui serviraient de levier pour avancer vers l’abolition de l’élevage », expliquait Brigitte Gothière, cofondatrice de L214, dans un livre (L214, une voix pour les animaux, de Del Amo) relatant l’histoire de l’association créée en 2008. Bref, il s’agit de lancer un pont entre, d’une part, l’action à court terme (welfariste), acceptable et accessible au plus grand nombre, pour instiller l’idée que la condition animale est déplorable et qu’il faut changer les habitudes alimentaires et, d’autre part, l’action à long terme (abolitionniste) qui en découle, à savoir supprimer toute utilisation de l’animal. Une stratégie soutenue par un marketing de l’horreur efficace : des campagnes à fort impact émotionnel, des ambassadeurs reconnus par le public et des exclusivités négociées avec des médias pour leur lancement.

(1) Le nom de l’association fait référence à l’article L214-1 du Code rural établissant que l’animal un « être sensible ».

S’y retrouver dans la mouvance végane

Si la mouvance végane est devenue la bête noire du monde de l’élevage, derrière ce terme se cachent des tendances plus ou moins restrictives et militantes. L’activisme abolitionniste ne concerne qu’une partie d’entre eux.

Les végétariens ne mangent pas d’animaux, donc pas de viande. Ils seraient environ 2 % de la population française.

Les végétaliens ont également exclu de leurs repas tous les autres produits animaux (produits laitiers, œufs…).

Les flexitariens réduisent leur consommation de viande. Ce sont aussi des personnes qui ont opté pour un régime majoritairement mais non exclusivement sans viande.

Les végans proprement dit font de leur refus de l’exploitation animale une philosophie et un mode de vie. Ils ne consomment aucuns produits issus des animaux, y compris ceux qui contiennent des additifs d’origine animale ou même le miel. Ils refusent l’usage de vêtements fabriqués avec des matières animales (cuir, laine, soie…) et de tous les produits, notamment les cosmétiques, testés sur les animaux. Et bien sûr, ils ne mettront jamais les pieds dans un parc animalier ou un cirque. Des labels permettent de les guider dans leurs choix de consommation. Ils représentent moins de 0,5 % de la population française. Le véganisme est « un mode de vie alternatif extrêmement exigeant et contraignant, basé sur différentes formes d’exclusion ou d’interdit », résume Eddy Fougier, de la Fondapol. Il distingue deux types de végans : ceux qui font de cette aversion pour toute forme d’exploitation des animaux un mode de vie au quotidien et les militants qui cherchent à politiser la cause animale et l’alimentation et à inciter par tous les moyens les non-végans à le devenir.

 

 

L214 en partie financée par la Silicon Valley

Pour investir ainsi tous les espaces d’expression de la société, entretenir un réseau dans 60 villes et rémunérer plus de 60 salariés (15 en 2015), il faut de l’argent, beaucoup d’argent. Et, L214 n’en manque pas. Non reconnue d’utilité publique, l’association bénéficie d’un confortable budget (2017) de 5,2 millions d’euros, dont près de 4,4 millions d’euros de dons et legs. Les dons, en France, sont défiscalisés à 66 %, ce qui permet à l’association d’être subventionnée par les pouvoirs publics. Après avoir stagné pendant sept ans, elle a connu ces dernières années une croissance fulgurante. Depuis 2015, le nombre d’adhérents a été multiplié par trois (32 000 en 2019). La surenchère médiatique a aussi pour but de recruter sur le marché concurrentiel de l’animalisme. En 2017, l’association a bénéficié d’une subvention de 1,14 million d’euros de l’Open Philanthropy Project, un fonds privé américain de la Silicon Valley, en échange de campagnes contre les poulets de chair et pour faire du prosélytisme végan dans les universités françaises. Elle a touché aussi 65 000 euros de subventions de l’État au titre du dispositif d’aide à l’embauche. L214 est composée juridiquement de deux entités. L’une en Haute-Loire d’où est originaire l’un de ses fondateurs - Sébastien Arsac - ; l’autre en Alsace où les associations sont soumises au régime du droit local d’Alsace-Moselle ou loi 1908 et non à la loi 1901 comme dans tout le reste de la France. L’association droit local 1908 bénéficie d’une capacité juridique plus large que les associations loi 1901, qui lui permet d’embaucher, de recevoir des dons et legs, posséder des biens immobiliers… Bref, de poursuivre un but lucratif.

 

 

Un activisme multiforme

 

 

L’association L214 fait feu de tout bois pour parvenir à ses fins. En témoigne la dizaine de sites internet qui reflètent son activisme multiforme. Il y a d’abord des sites « d’information », très orientés, sur la viande, le lait (viande-info, lait-viande.info) et les palmipèdes (stop gavage). Des sites pratiques expliquent comment devenir végan et où trouver des restaurants végans. Le site (politique & animaux) a la particularité de noter, dénoncer et inciter à interpeller les élus politiques quant à leur action à l’égard des animaux. Un site destiné aux enseignants fournit pléthore de documents pédagogiques militants librement utilisables dans les classes, de la maternelle jusqu’au lycée. L’association réalise aussi des interventions auprès des élèves dans des classes. En début d’année, les ministères de l’Éducation nationale et de l’Agriculture ont fait un rappel à l’ordre aux chefs d’établissements en leur notifiant que les ressources pédagogiques doivent être élaborées en lien avec l’éducation nationale, que toute intervention extérieure doit être validée par les autorités éducatives et qu’ils doivent privilégier les intervenants conventionnés ou agréés. Ce qui n’est pas le cas de L214. Le site principal renvoie enfin vers deux sites (Abolir la viande, Fermons les abattoirs) qui visent explicitement les végans les plus radicaux pour les inciter à l’action. « La production et la consommation de viande doivent être interdites », affirme le premier, tout en faisant le parallèle avec l’abolition de l’esclavage en d’autres temps. Le second organise la marche annuelle pour la fermeture des abattoirs.

 

La nébuleuse des mouvements extrémistes

Les mouvements les plus extrémistes se sont lancés dans une surenchère de la radicalité, qui peut aller jusqu’à commettre des actes violents ou des agressions de personnes.
Parmi les numéros de l’activisme végan, il y a aussi 269. Et, plutôt deux fois qu’une puisqu’en France ce mouvement se décline en deux associations indépendantes : 269 Life France et 269 Libération animale. Elles sont l’émanation d’un mouvement israélien dont le nom fait référence au numéro d’un veau « sauvé » par ses fondateurs. Pour marquer de façon spectaculaire leur soutien à la cause animale, des militants organisent des séances de mutilation où ils se font marquer au fer rouge sur le corps le numéro 269, en référence à l’Holocauste et en solidarité avec les animaux d’élevage. Si la première, soutenue par L214, s’est surtout donnée pour mission de promouvoir le véganisme, la seconde, basée à Lyon comme L214, se situe sur le créneau de la « libération animale » en recourant « à des actions directes de désobéissance civile, par exemple sous la forme d’intrusion illégales dans des abattoirs », explique Eddy Fougier de la Fondapol. « La rue n’est pas suffisante, c’est en nous rendant dans les lieux où se déroulent et se décident ce massacre que nous serons en mesure de l’enrayer et d’y mettre un terme », affirment les deux fondateurs. Les nombreux procès en cours dont ils font l’objet semblent néanmoins avoir freiné leur ardeur militante.

Des militants provoquent la mort de 1 500 dindes

On peut citer encore DxE France (Direct action ewerywhere), qui publie une sidérante carte nominative des « élevages intensifs », dont certains de 50 bovins ! Ou Earth résistance qui a tenté à plusieurs reprises de perturber le Sommet de l’élevage. Derrière ces mouvements plus ou moins médiatisés, une myriade de groupuscules de libération animale se livrent au jeu du « plus radical que moi tu meurs ». Ils « recourent à des actions violentes visant les biens et les propriétés de leur cible, dans une logique de sabotage économique », analyse l’expert en mouvements protestataires. Parmi eux, l’ALF, mouvement anarchiste et anticapitaliste ou Boucherie abolition, qui multiplie les intrusions dans les exploitations et les agressions à l’encontre de boucheries. Douze militants de cette dernière ont récemment été arrêtés après avoir provoqué la mort de 1 500 dindes dans un élevage de l’Eure en voulant les « libérer ». Les dindes ont été étouffées dans un mouvement de panique. Des groupes et individus de l’ultragauche et de l’ultradroite reprennent aussi à leur compte la cause animale.

 

Lire aussi :

 

Derrière le véganisme, l'idéologie antispéciste

 

Hervé Le Prince, directeur de l’agence de communication NewSens : « L 214 planifie un changement de civilisation »

 

Le lobby de la viande artificielle en embuscade

 

Bruno Dufayet, président de la FNB et de la commission Enjeux sociétaux d’Interbev : « Nous nous focalisons sur les consommateurs de viande »

 

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Les français sont de plus en plus flexitariens

 

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