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Gagner en précocité pour rajeunir l’âge d’abattage

Les bœufs sont le principal levier pour développer la production de gros bovins finis dans les cheptels bio. Le manque de précocité des races françaises permet rarement d’abattre des animaux correctement engraissés avant 3 ans.

La proportion de broutards nés dans des cheptels bio mais commercialisés en circuits conventionnels sans plus-value particulière surprend toujours par son ampleur. Analysée à l’échelon national, Interbev l’estimait à 70 % en 2014. Cette proportion serait encore plus importante dans les zones très herbagères où la tradition de naissage est très ancrée, avec des circuits bien établis pour le commerce du bétail maigre. En Bourgogne, la part des mâles allaitants nés des fermes bio et vendus maigres en filière conventionnelle atteindrait ainsi 85 %.

Castrer davantage est pourtant analysé comme le meilleur moyen de conforter les disponibilités en viande bio de gros bovins issus du cheptel allaitant. « D’une manière générale, la demande est en progression et les metteurs en marché sont prêts à absorber une augmentation de la production de bœufs. Ils recherchent des animaux avec un bon état d’engraissement : note 3, et une bonne conformation : au moins R. Les bœufs ne doivent pas être trop jeunes (au moins 30 mois) pour que la viande soit d’une couleur rouge vif avec un minimum de persillé. Ils sont recherchés toute l’année et particulièrement au printemps », explique Camille Lemoine, ingénieur agronome à Montpellier SupAgro, dans son récent mémoire de fin d’étude consacré à la caractérisation de l’engraissement des mâles dans les élevages bovins allaitants biologiques d’Auvergne.

Les freins classiquement mis en avant pour ne pas castrer davantage sont bien connus. « Le bœuf est une production à cycle long. Elle nécessite une immobilisation de trésorerie et de surfaces, dont la mise en place induit des changements au niveau du système d’exploitation. En effet, il est souvent nécessaire de diminuer le nombre de vaches allaitantes afin de conserver le même chargement, pour maintenir le même niveau d’autonomie alimentaire et pallier au manque de places en bâtiments », précise Camille Lemoine. La montée en puissance de l’atelier bœuf gagne ensuite à être réalisée progressivement, afin d’étaler dans le temps cette capitalisation sur pied. Cette diminution du cheptel reproducteur est vécue par bien des éleveurs comme une perte du capital productif de leur exploitation. Qui plus est, elle impacte désormais directement le montant des aides perçues dans le cadre du soutien couplé de l’aide bovine allaitante (ABA).

« Actuellement, les aides publiques n’incitent pas à engraisser. Si la diminution des ABA liées au démarrage de l’engraissement (diminution du nombre de vaches) était compensée par une aide à l’engraissement, ou si les mâles pouvaient être primés, la rentabilité de l’engraissement serait plus facile à atteindre et les éleveurs hésiteraient moins à engraisser », analyse Camille Lemoine. En ce qui concerne les aides à l’agriculture biologique, les aides à la conversion et au maintien sont incitatives mais ne sont pas conditionnées par la valorisation des animaux dans la filière biologique. Certains éleveurs en système broutards se convertissent sans s’impliquer dans la filière.

Moins lourd mais plus cher au kilo

Côté poids et tarifs, les données issues du réseau des fermes conventionnelles et biologiques, suivies par l’Inra dans le centre de la France, font état en 2014 pour des bœufs essentiellement charolais de prix au kilo nettement en faveur du bio : +22 % avec un prix avoisinant 4,6 €/kg C (voir graphique). Ces animaux sont moins lourds qu’en conventionnel : autour de 450 kilos carcasse, contre un peu plus de 500 kilos en conventionnel. Mais au final, il en résulte un prix moyen à la tête supérieur de 5 %, donnant avantage au bio. Les éleveurs en conventionnel suivis dans le cadre de ce réseau sont aussi de moins en moins nombreux à produire des bœufs. Quand ils le font, ils tendent à castrer les seuls broutards qui présentent un réel potentiel en termes de poids et de conformation. Cela explique aussi en partie pourquoi leurs animaux tendent à être plus lourds, tout en étant aussi souvent abattus plus jeunes.

« Au sein des élevages bio que nous suivons en référence, le gros frein régulièrement mis en avant pour ne pas castrer davantage est cette durée d’immobilisation sur pied, jugé trop longue avec un prix de revient des rations d’engraissement vraiment conséquent », explique Patrick Veysset, ingénieur de recherche à l’Inra de Theix, dans le Puy-de-Dôme. Dans les systèmes bio, atteindre l’autonomie fourragère est analysé comme une donnée primordiale pour pérenniser le fonctionnement de l’exploitation, et il est tout aussi important de chercher à autoproduire l’essentiel des concentrés qui seront nécessaires à la finition des animaux. À qualités nutritionnelles identiques, un tourteau bio et des céréales bio sont actuellement au moins deux fois plus cher à l’achat qu’en conventionnel, alors que le prix du kilo des carcasses est seulement 20 à 30 % plus élevé selon les catégories.

« Si on entend produire des bœufs finis sans concentrés ou avec une quantité vraiment minime, il faut souvent les pousser jusqu’à 40 ou 42 mois », souligne Patrick Veysset. L’autre critère souvent mis en avant par les éleveurs pour relativiser l’intérêt de consacrer une part importante de leurs céréales pour la finition de leurs animaux est justement cette bonne valorisation des céréales bio. Elle peut inciter certains éleveurs à privilégier la vente de leurs céréales en l’état, plutôt que de les mettre dans les auges pour finir des bovins. « Souvent, l’aval grince des dents en disant que, même vendus un peu âgés, les bœufs ne sont pas suffisamment finis. » Bien des éleveurs ont aussi été échaudés voici quelques années par certains opérateurs d’aval, lesquels les ont incités à castrer puis ont repris deux ans plus tard les animaux à des tarifs en-deçà de ce qui avait  été annoncé.

Miser sur des races plus précoces

L’analyse comparée du temps nécessaire pour finir des bœufs et du coût des concentrés interroge aussi sur la bonne adaptation des races à viande françaises à une production de viande allaitante en système bio. « Pour finir des bœufs avec pratiquement que de l’herbe pâturée et des fourrages, avons-nous le bon outil avec la génétique dont nous disposons ? », interroge Patrick Veysset. Au cours des dernières décennies, la plupart des races françaises ont été sélectionnées pour produire avec les mâles de la viande jeune et maigre, en donnant priorité à l’amélioration du format, de la conformation et du potentiel de croissance. Les races à viande française sont donc sans rivales pour produire des taurillons à croissance rapide, finis à partir de rations à forte concentration énergétique donnant la part belle à l’ensilage de maïs, aux céréales et aux tourteaux. Elles sont d’évidence moins bien adaptées pour produire des bœufs d’herbe, susceptibles d’être abattus autour de 24 mois après avoir utilisé essentiellement des fourrages grossiers, qu’il s’agisse d’herbe pâturée ou récoltée sur l’exploitation sous forme d’ensilage, d’enrubannage ou de foin. « Si on veut produire des animaux jeunes qui s’engraissent à l’herbe, il faut prendre des races adaptées à ces objectifs de production. C’est-à-dire des animaux précoces. On est allé voir ce qui se fait en Suisse, avec des bouvillons angus castrés peu après la naissance et alimentés essentiellement avec des fourrages et le lait de leur mère. Il est possible de les abattre autour de 1 an avec une viande suffisamment finie. »

Les Irlandais produisent aussi des bœufs abattus à un peu moins de 2 ans, après avoir essentiellement utilisé de l’herbe pâturée ou récoltée sur de bonnes prairies. Ce sont des animaux issus de différents croisements, associant le plus souvent sur une souche basse laitière l’utilisation alternative de races britanniques (Angus ou Hereford) et de races continentales (Limousins, Charolais, Simmental…). Il en résulte des animaux à la robe bariolée, qui peuvent choquer l’œil puriste des éleveurs français, mais qui sont en revanche efficaces pour produire des animaux susceptibles d’être finis avec des fourrages, sans avoir à subir une trop longue capitalisation sur pied.

« Dans la profession bio, cela bouge pas mal actuellement. Au sein de notre réseau, certains éleveurs ont fait entrer des races britanniques. D’autres s’interrogent pour suivre le même chemin. Les éleveurs bio ont souvent été avant-gardistes lorsqu’il s’agit de remettre en cause certaines techniques de production. Cela a notamment été le cas pour la recherche de davantage d’autonomie dans les systèmes fourragers », souligne Patrick Veysset. L’utilisation de races étrangères, plus précoces que les races allaitantes françaises et valorisant bien l’herbe, sera peut-être difficile à faire accepter mais permettra peut-être de développer l’engraissement dans toutes les zones d’élevage où la ressource en herbe est abondante, avec des pâtures de bonne qualité.

Peu d’engouement pour le « Baron Bio »

En Bourgogne et en Auvergne, la production de « Baron Bio » (taurillons de 13 à 16 mois, de plus de 280 kilos de carcasse) n’a pas suscité beaucoup d’engouement. Ce produit a été mis en place pour proposer une alternative à la vente de broutards en circuits conventionnels avec un cycle de production plus court que le bœuf. Mais finir correctement des mâles entiers nécessite des rations à forte concentration énergétique, lesquelles ne sont pas toujours aisées à mettre en place sur des exploitations avant tout herbagères où le manque de disponibilité en concentrés est justement le principal facteur limitant pour développer la finition. Plus le type d’animal produit demande une croissance rapide, et moins cette production est compatible avec un système où la part d’herbe est importante dans la SAU.  

Croisement Angus à l’essai en Auvergne

Une expérimentation est en cours sur le site Inra de Laqueuille, dans le Puy-de-Dôme, pour développer la production de viande bio dans des conditions très herbagères sur des prairies à bon potentiel, mais où la durée de la période de végétation est limitée du fait de l’altitude (1 100 à 1 400 m). L’idée est de mettre à profit la précocité de l’Angus pour produire bouvillons et génisses finis, qui pourraient être abattus nettement plus jeunes qu’avec des races françaises. Des taureaux angus sont donc utilisés en croisement terminal sur vaches salers. À partir de vêlages d’hiver, l’objectif sera de produire des animaux abattus entre 12 et 15 mois. Cela passera par une très bonne gestion du pâturage et de la ressource en herbe, pour avoir de bonnes croissances en pâture puis des animaux susceptibles d’être finis en bâtiments sans être remis à l’herbe, avec des rations essentiellement basées sur du foin et du regain. « Si on veut produire des animaux jeunes utilisant essentiellement de l’herbe pâturée et des fourrages, il faut des races adaptées à ces objectifs. C’est-à-dire des animaux très précoces », justifie Patrick Veysset. Quelques premiers veaux croisés sont nés cet hiver. Il faudra attendre les vêlages 2017 pour avoir des lots plus conséquents. Les premiers résultats de cette expérimentation ne seront donc disponibles qu’en fin d’hiver 2018.

Des bœufs limousins pas faciles à « rajeunir »

À la station Arvalis de la ferme des Bordes, dans l’Indre, un petit cheptel limousin est conduit en bio. Il totalise 23 vêlages par an. Jusqu’en 2013, les mâles nés en cours d’hiver et castrés peu après le sevrage, étaient finis en bœufs lourds avec un âge moyen d’abattage de 38 mois et des poids carcasse compris entre 450 et 500 kilos. Autant d’animaux écoulés vers des boucheries traditionnelles. Après douze ans de référence, un nouveau schéma a été développé pour la voie mâle afin de répondre aux interrogations des éleveurs, en cherchant à rajeunir l’âge de mise en marché pour désormais les faire abattre autour de 30 à 32 mois.

Cet automne, l’abattage de la première bande d’animaux « rajeunis » a eu du retard sur l’itinéraire technique qui avait été établi. Au final, les animaux auront été abattus à un âge moyen de 34,4 mois, soit un rajeunissement de 3,5 mois par rapport aux trente derniers animaux produits (animaux de 36 à 40 mois). Avec la sécheresse, la finition au pâturage et concentrés (méteil) n’a pu être mise en place sur la période estivale. De l’enrubannage de ray-grass hybride-trèfle violet récolté au 10 mai et 4 kg de méteil ont composé la ration d’engraissement. « Début septembre 2015, les deux premiers animaux ont été vendus. Les poids de carcasse étaient en phase avec l’objectif (412 kg à 31 mois réalisés, pour 420 kilos d’objectif à 30-32 mois). Cependant, l’état de finition s’est avéré insuffisant », explique un premier bilan d’Arvalis. Suite à ces résultats, l’augmentation d’un kilo de méteil dans la ration n’a permis d’obtenir un état d’engraissement satisfaisant qu’à partir de début janvier 2016.

« Le type génétique des animaux (plutôt tardif pour produire des bœufs de 3 ans) et la part de concentrés dans la ration (limitée à 40% de la matière sèche journalière par le cahier des charges de l’agriculture biologique) expliquent en partie ces résultats. »  Mais dans cet itinéraire technique exigeant, la gestion du pâturage s’est avérée payante puisque toutes les phases de croissance à l’herbe ont été égales, voire supérieures aux objectifs.

F. A.

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