Dans l’Aude, « notre parcellaire étagé et diversifié est résilient face au climat »
Dans les Pyrénées audoises, Daphné et Sylvain Mervoyer misent sur la diversité et la rotation des ressources naturelles pour préserver la santé de leurs terres et de leurs bovins. La conduite du troupeau de 55 vaches de race aubrac est orchestrée entre prairies, estive et landes.
Dans les Pyrénées audoises, Daphné et Sylvain Mervoyer misent sur la diversité et la rotation des ressources naturelles pour préserver la santé de leurs terres et de leurs bovins. La conduite du troupeau de 55 vaches de race aubrac est orchestrée entre prairies, estive et landes.






Dans les années 80, les parents de Sylvain Mervoyer, alors installés en arboriculture, ont souhaité introduire des animaux sur la ferme. « Le domaine comprend de vastes landes et bois et se caractérise par un sol au faible potentiel agronomique et difficilement mécanisable », expliquent Daphné et Sylvain Mervoyer qui ont pris la suite en 2007 sur la commune de Campagne-sur-Aude, en agriculture biologique. Avec l'objectif d'offrir une alimentation uniquement herbagère à leurs vaches, les éleveurs ont mis en place un pâturage étagé et diversifié qui permet de recourir à des ressources très variées au fil des saisons et bien adaptées aux besoins des animaux.
Sur la ferme, à 400 mètres d’altitude, 100 hectares de prairies naturelles sont destinés au pâturage et à la fauche. Les vaches y sont assignées au printemps. « Nous recoupons toutes nos parcelles pour que nos lots restent un à deux jours par parc. Nous prévoyons environ 1 à 2 hectares pour des lots de vingt vaches sur un total de 40 hectares », indique Daphné Mervoyer.
Pâturage des landes en janvier
L’été, les mères et leurs veaux partent ensuite quatre mois en estive, entre 1 700 et 2 400 mètres d’altitude, dans les Pyrénées-Orientales. « L’estive offre un pâturage frais à nos vaches. Nous la partageons avec plusieurs éleveurs. Sans elle, nous devrions diviser notre troupeau par deux. » Le GMQ moyen des veaux s’établit à 1 000 g par jour, calculé sur des veaux de neuf mois après la descente de montagne. À leur retour d’estive, les vaches pâturent les regains des prés de fauche autour de l’exploitation jusqu’en décembre.
Ensuite, les mères et les génisses passent un mois dans les landes et parcours riches en ressources variées : ligneux, glands et flore de garrigue. Chaque parcelle est au repos durant un an avant le retour des animaux. « Nos landes et nos parcours sont très peu sollicités. Ce sont des zones très résilientes au changement climatique. Même sur une année sèche, grâce à cette pause, elles parviennent à produire », explique Sylvain Mervoyer. Cette rotation limite également la pression parasitaire.
Foin de prairies, de luzerne, de sainfoin et de trèfle
Lorsque les mères passent au foin à la mi-janvier, les génisses de deux ans restent dans des landes avant de revenir à la ferme en mars. « C’est à ce moment que nous choisissons celles destinées à la reproduction, car leur alimentation hivernale nous permet d’identifier celles qui valorisent le mieux les landes et les parcours. Nous trions celles qui ressortent vraiment en forme. Si elles étaient au foin, nous passerions une balle par jour. » La sélection des génisses intègre aussi des résultats de pesées et d’autres critères comme la docilité, les qualités maternelles et un gabarit adapté à la production de viande du Gaec.
« Je produis du foin avec nos prairies naturelles, mais aussi sur les parcelles en rotation avec les cultures de céréales où j'implante un mélange de luzerne, trèfle et sainfoin », détaille Sylvain Mervoyer. « Nous accordons une grande attention à la récolte du foin », insiste-t-il. Nous nous efforçons de faucher au bon stade, ni trop tôt, ni trop mûr, et de réaliser chacune des étapes – fauche, fanage, andainage et emballage – au moment opportun, de sorte à obtenir un foin qui se conserve bien et qui a gardé tous ses nutriments. Quand on a une ressource précieuse, il faut la gérer au mieux. » Côté matériel, les éleveurs sont des cumistes dans l'âme. « Nous partageons tout ce qui peut l'être : un tracteur, les remorques fourragères, un broyeur forestier ainsi que l’épandeur à fumier. »
Pour l’abreuvement, la ferme est équipée d’une citerne d’eau de pluie récupérée des toitures (1 600 m² connectés) d’une capacité de stockage de 120 m³ – l’équivalent des besoins de 20 jours – ainsi qu’un puits en appui.
Les prairies temporaires de légumineuses sont réparties entre luzerne, sainfoin et trèfle – et jouent un rôle clé : elles améliorent la fertilité des sols entre les cultures céréalières et contribuent à l’alimentation des bovins en complément du foin de prairies naturelles. « Les céréales en rotation avec des prairies temporaires en légumineuses au sein d’une ferme avec des animaux s’équilibrent vraiment bien », atteste le couple d'éleveurs.

Pour l’engraissement, les vaches disposent toujours de foin à volonté et reçoivent un aliment complémentaire acheté à raison de 1 kg par jour pour 100 kg de poids vif de l’animal, réparti matin et soir. « Nous utilisons rumibio engraissement des établissements Aurouze, situés dans le département. Il est pratique parce qu’il est stable dans le temps et nous n’avons pas besoin d’en donner beaucoup pour que l’effet soit visible. » Les éleveurs ont fait le choix de vendre toutes leurs céréales et d’acheter la totalité des concentrés dont ils ont besoin.

Les ventes de céréales représentent 10 % du chiffre d’affaires total. Les rendements moyens des céréales (blé, petit épeautre et seigle) sont de 15 quintaux par hectare. Les débouchés sont pour l’alimentation humaine grâce à un contrat avec un minotier, à un prix de vente de 750 euros par tonne pour le petit épeautre et 1 300 euros par tonne pour le blé khorasan.
Fiche élevage

Alberto Jorda Blanco, vétérinaire associé du cabinet Le Sault de la Vache (11340 Belcaire)
« Un modèle d'équilibre »
« Grâce à une gestion rigoureuse des pâturages, le troupeau de Daphné et Sylvain Mervoyer reste stable et en bonne santé. En variant les parcelles, ils évitent le surpâturage et les infestations par les parasites et s'affranchissent ainsi des traitements. Un autre atout de leur élevage concerne la qualité de l'alimentation du troupeau. Une vache est faite pour manger de l’herbe, et chez eux, tout est pensé pour respecter cet équilibre et garantir une stabilité optimale de la flore microbienne du rumen. Leurs prairies sont riches et diversifiées, et ils produisent un foin de très bonne qualité. La garrigue joue aussi un rôle essentiel : les vaches y trouvent des plantes aromatiques comme le thym, qui ont des propriétés médicinales naturelles. Ils complètent avec des huiles essentielles. »
Un troupeau en bonne santé toute l’année
La diversité des ressources fourragères naturelles, la gestion du pâturage très extensif et l’observation assidue des éleveurs maintiennent le troupeau aubrac en bonne forme toute l’année.
« Nos vaches sont en bonne santé parce qu’elles mangent de l’herbe diversifiée et ne reviennent pas toujours au même endroit où elles pourraient se parasiter avec leurs bouses », expliquent les éleveurs.
« Nous faisons seulement un vaccin contre l’entérotoxémie sur les veaux, avant qu’ils ne prennent le chemin de la montagne, car il y a un risque. Nous complétons par un vaccin BVD sur les vaches, les années où la maladie infectieuse circule. » Aucun traitement antiparasitaire n’est administré au troupeau de manière systématique, et lorsqu’un animal est malade, une coprologie est réalisée et un traitement ciblé est effectué.
Allier soins et suivi sanitaire de fond
Daphné et Sylvain Mervoyer ont renforcé leur approche liée à la santé et au bien-être des animaux via la démarche TIOH (Territoire des insectes, des oiseaux et des hommes). Ils appliquent, avant le départ en montagne, un mélange d’huiles essentielles d’eucalyptus, citronnelle, géranium et lavandin sur le dos des vaches, soit 1 ml par vache, dilué dans une huile végétale. Cet usage remplace les traitements couramment utilisés qui peuvent avoir un impact néfaste sur certains insectes non visés.
Pour le suivi sanitaire de leur troupeau aubrac, les éleveurs ont adopté un système de forfait, qui consiste au paiement d'une somme fixe par an et par vache adulte (48 € HT). « Ils bénéficient de tous les actes et déplacements inclus, et nous margeons seulement de 10 % sur les médicaments, relève Alberto Jorda Blanco, leur vétérinaire. Sylvain et Daphné Mervoyer ont immédiatement adhéré à ce modèle, bien que leur budget vétérinaire ait triplé. Ils ont compris qu’au-delà des soins, nous apportons aussi du conseil. »
Lors de la dernière estive où l’effectif d’ovins et bovins s'élevait à plus de 500 animaux, les vecteurs de la MHE et de la FCO ont circulé. « Globalement, notre troupeau n’a pas souffert, même si nous avons eu quelques avortements. L’absence de vermifuges et d’antiparasitaires stimule l’immunité des animaux, à condition qu’ils soient dans de bonnes conditions d’élevage qui respectent leurs besoins : de la place et une alimentation adaptée, à savoir l’herbe », reprend le couple d'éleveurs. Cette gestion systémique, qui est une des réponses aux défis climatiques et environnementaux, est partagée par Daphné et Sylvain Mervoyer sur la plateforme Osaé, un réseau dédié aux pratiques agroécologiques porté par l’association Solagro.
Des ventes de viande bovine en caissettes et en démarches collectives
Abattue localement, dans le dernier abattoir du département qui est situé à 5 km de l’exploitation, puis découpée par une entreprise privée, la viande de Daphné et Sylvain Mervoyer est majoritairement vendue en caissette en circuit court (à 15 euros le kg en moyenne) grâce à des tournées régulières. « Les trois avantages de la commercialisation en vente directe selon nous : la création d’un emploi, différents débouchés non saturés, et le repérage rapide des animaux qui ne conviennent pas pour les réformer », témoigne Daphné Mervoyer.
Dix pour cents de la viande sont commercialisés en association d’éleveurs sous la marque Tendre d’Oc (entre 6,50 et 7 euros le kg pour du jeune bovin) à destination de la restauration collective et des magasins bio. 10 % sont vendus auprès des bouchers locaux grâce à l’association Viandes des Pyrénées audoises (vache bio de plus de 400 kg, en conformation R = R +, 6,20 €/kg, sans frais d’abattage ni découpe). « Certes, la démarche collective prend du temps, entre les réunions, les discussions et les désaccords, mais c’est la seule façon d’avancer. Produire du mieux possible et valoriser nos produits à proximité de la ferme, c’est ce qui nous rend heureux. »
Les mâles sont tous engraissés : une vingtaine de veaux est produite par an. Ils sont abattus entre 8 et 12 mois pour des poids allant de 160 à 200 kg carcasse. « En vente directe, il faut s’adapter aux besoins des clients et actuellement, la demande en steak haché et saucisses est tellement forte que c’est inutile de finir une bête au top pour du haché », explique Daphné Mervoyer. Quinze vaches, âgées de 4 à 10 ans, sont soignées un peu plus pour la maturation et la découpe en morceaux nobles (entre 370 et 420 kg carcasse). Une dizaine de femelles, plus jeunes, plus âgées et moins finies, est abattue entre 250 et 350 kg carcasse, et permet de répondre à la demande en produits transformés.