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Argentine : un épicentre sud-américain du négoce de bétail vif

Le foirail hebdomadaire de la coopérative La Ganadera constitue une place forte du négoce du bétail vif dans la province d’Entre Ríos et bien au-delà. On y vend du maigre à l’unité, au bénéfice des éleveurs de petits troupeaux.

<em class="placeholder">Vue de la piste de vente et de la tribune du marché aux bestiaux organisé tous les jeudis par la coopérative argentine La Ganadera.</em>
Chaque jeudi, ce sont en moyenne 1 500 bovins qui se négocient au marché aux bestiaux de la coopérative argentine La Ganadera.
© Marc-Henry André

La foire aux bestiaux de la coopérative La Ganadera – « L’Éleveuse », en Espagnol – se tient tous les jeudis à General Ramírez, un bourg de 10 000 habitants situé à 60 km de la ville de Paraná, la capitale de la province d’Entre Ríos, en Argentine. Ce foirail est à l’origine même de cette entreprise, constituée en 1952. L’ambiance y est conviviale, mais cinq hommes armés en uniforme veillent au grain. On y brasse du cash à pleine poigne.

Ici, 85 000 bovins ont été vendus l’an dernier. L’emplacement de ce marché est stratégique, au carrefour des provinces de Corrientes, Santa Fe et Buenos Aires ; celle de Córdoba est toute proche. Toutes quatre, comme celle d’Entre Ríos, sont des terres d’élevage comparables chacune à l’Irlande ou à l’Uruguay voisin.

« On paie les vendeurs comptant »

À General Ramírez, tous les jeudis, on vend le bétail fini le matin, et le maigre l’après-midi. « Les lots arrivent la veille dans nos enclos et sont classés par catégorie, les vaches de réforme sont destinées au final à la Chine et à la Russie, informe Román Troncoso, le jeune comptable de la coopérative. On paie les vendeurs comptant. En Argentine, c’est rare. »

Aussi, « nous n’appliquons pas de décote liée aux rebuts d’estomac. Nous considérons que ce manque à gagner s’opère naturellement durant la nuit avant la vente », poursuit Román.

Autre particularité du marché : ici, les animaux sont pesés après avoir été vendus. Ils circulent quelques secondes sur la piste et, une fois adjugés, partent vers la balance. La rapidité de la prise de décision des acheteurs du marché est déroutante. Leur marge d’erreur est grande. Le propriétaire d’un abattoir (La Esperanza, 25 000 bovins abattus par an), Emilio Reula, l’admet : « Je n’ai pas l’œil de mon père, un assidu du marché depuis 40 ans, que je remplace désormais. Je me suis fait conseiller par un autre acheteur… On s’entraide », dit-il. « Ce marché nous permet de programmer nos livraisons. Aujourd’hui, je cherchais 20 bouvillons de moins de 350 kg pour un distributeur local », précise encore Emilio Reula. La coopérative prélève une commission de 8 % dans son rôle de négociant.

Chaque semaine, il se négocie en moyenne 1 500 bovins issus de 180 à 200 lots consignés, soit 8 animaux par lot en moyenne. Un éleveur peut y envoyer un seul animal, et en tirer le prix du marché auprès des représentants de toute l’industrie frigorifique du pays, soit une quarantaine d’abattoirs.

Des tarifs en berne

Un bouvillon lourd part à 1 800 pesos le kilo vif (1,20 €/kg). Tandis que le bouvillon gras léger (de 310 à 340 kg), catégorie prisée par le marché intérieur argentin – les Argentins associent tendreté à la taille de la découpe, malheureusement –, valait à peine plus, à 2 000 pesos/kg vif (1,33 €/kg)(1).

En cause, les importateurs chinois paient la tonne de bœuf argentin 4 000 US$ au lieu de 7 000 US$ quatre ou cinq ans plus tôt. Les Chinois joueraient la carte de la concurrence avec le Brésil. D’autre part, les Argentins mangent de moins en moins de bœuf, car leur pouvoir d’achat ne suit plus face à l’hyperinflation qui ne s’arrange pas sous l’ère du gouvernement de Javier Milei, alors que 70 % du bœuf produit dans les Pampas est consommé par eux (lire l’encadré).

Le jour de notre visite, un éleveur a acheté 35 vaches de réforme en vue de les engraisser avec les réserves de foin qu’il a su constituer à la veille de cet hiver (austral). Et il n’en revient pas : « Les tarifs sont très accessibles ! 35 vaches de 315 kg en moyenne pour 740 pesos le kilo (0,49 €/kg). Nous avions pour habitude de mettre plutôt 1 200 pesos (0,80 €/kg). Aujourd’hui, il n’y avait pas foule… », raconte Ángel Huber. Il a aussi acheté deux vaches pleines, l’une à 400 000 pesos (266 €) et l’autre à 450 000 pesos (300 €).

Au marché de General Ramírez, tous se connaissent au point que le commissaire aux ventes, du haut de son pupitre à l’extrémité de la tribune, regarde à peine les acheteurs, et eux, pareil. D’une moue, ils disent oui ou non, et la marchandise défile, et part.

« Quand un lot entre sur le ring, je sais déjà plus ou moins qui va l’acheter, avoue le commissaire Claudio Uhrich. Notre marché est formateur des prix du vif dans la région, un rôle que nous partageons avec la maison de négoce Etchevehere, dont le foirail jouxte le nôtre et qui a lieu tous les mardis », dit-il.

À eux deux, les foirails de la coopérative La Ganadera et de la société Etchevehere représenteraient la vente de 3 000 bovins par semaine en moyenne, tout au long de l’année, dans ce recoin de campagne qui passe pour l’épicentre du plus grand bassin allaitant du monde.

(1) Le taux de change pris en compte est celui du marché libre, autour de 1 500 pesos argentins pour 1 euro à la fin juin 2024, place de Buenos Aires.

Fabián Leichner, président de la coopérative La Ganadera

« Notre marché est un lieu de convivialité »

 
<em class="placeholder">Le président de la coopérative La Ganadera, Fabián Leichner.</em>
Le président de la coopérative La Ganadera, Fabián Leichner. © Marc-Henry André

Que représente pour votre coopérative le marché aux bestiaux qu’elle organise depuis la première année de sa création ?

Ce marché est convivial. On y vient en famille. Certains vendent leur bétail le matin et achètent du maigre l’après-midi même. C’est un marché de référence des prix du vif dans la région (Centre-Est de l’Argentine, NDLR).

Quel avantage trouve l’éleveur qui envoie ses animaux à votre marché ?

Ils sont multiples. Le principal est qu’il peut y vendre un seul animal à la fois et en tirer le prix du marché. On le conseille dans la gestion de son troupeau. On l’encourage à investir dans la génétique, la meilleure façon de défendre la valeur de sa production.

Quelle est la place du foirail de General Ramírez par rapport à l’ensemble de vos activités en tant que négociant de bétail vif ?

En dehors du marché, la coopérative noue aussi des opérations directes de la ferme à l’abattoir, en scellent d’autre part le biais de la communication télévisuelle. Dans ce cas-là, ce sont des lots importants et homogènes filmés et vus à l’avance.

Le Mercosur réduit sa dépendance vis-à-vis de la demande chinoise

La Chine et Hong Kong absorbent aujourd’hui plus de la moitié des envois de bœuf expédiés depuis le Brésil, l’Argentine et l’Uruguay. Mais la tendance s’inverse déjà : sur les cinq premiers mois de l’année 2024, les exportations argentines de bœuf en direction de la Chine ont représenté 69 % de leur total, à comparer aux 75 % de l’an dernier sur la même période, selon l’institut de statistique argentin (INDEC). De même, la demande chinoise (+ Hong Kong) pour le bœuf brésilien aurait représenté 53 % de ses exportations en 2023 contre 49 % en 2024. Aussi, l’Uruguay expédiait environ 60 % de sa production bovine vers la Chine en 2023 contre 40 % lors des cinq premiers mois de l’année 2024, au profit, notamment, du débouché états-unien.

Localement, un tel dégagement vis-à-vis de ce débouché chinois aussi récent et volumineux que mauvais payeur, est salué par les experts du marché.

Ce qui ne change pas, pour les exportateurs de bœuf basés en Argentine, est l’importance de cette donnée du négoce qu’est le taux de change monétaire. Entre la fin juin et début juillet, le prix du vif du bouvillon léger catégorie export, au foirail de Cañuelas, se situait autour de 2 200 pesos argentins soit 1,83 € fin juin… et 1,46 € début juillet après une énième dévaluation brutale de la monnaie argentine. « Une vache peut valoir aujourd’hui 750 000 pesos (environ 500 €) ou être bradée », partage Javier Lafuente, négociant en bestiaux à Chascomús.

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