Vinification en Gironde : « J'ai lancé un vin effervescent méthode traditionnelle vendangé à la machine »
Jacques Lurton, vigneron dans l’entre-deux-mers, produit un vin effervescent vinifié selon la méthode champenoise, mais commercialisé en vin de France. Il en écoule 45 000 cols par an.
Jacques Lurton, vigneron dans l’entre-deux-mers, produit un vin effervescent vinifié selon la méthode champenoise, mais commercialisé en vin de France. Il en écoule 45 000 cols par an.

Une robe jaune. Une bulle fine et persistante. Une palette aromatique qui évolue de gorgée en gorgée, pour passer des notes fruitées vers des toastées. Un vin riche en bouche et avec de la sucrosité. Telles sont quelques-unes des caractéristiques de la cuvée Diane by Jacques Lurton, un effervescent brut blanc de noir, élaboré à base de cabernet sauvignon.
Cette cuvée, produite en vin de France, est née en 2019, lorsque Jacques Lurton, copropriétaire du Château Bonnet, à Grézillac, en Gironde, est revenu sur le domaine familial. « Je voulais diversifier la gamme, pénétrer des marchés de niche, introduit-il. Lors de ma carrière, j’avais souvent vinifié des méthodes champenoises, mais je ne voulais pas faire de crémant, trop enfermant avec son cahier des charges ; j’aime l’originalité. » Il se dirige alors vers une méthode traditionnelle mais commercialisée en sans IG.
Un profil aromatique en clin d’œil aux vins du nouveau monde
Du point de vue organoleptique, il souhaitait élaborer un effervescent très fruité, avec zéro ou faible dosage, dans le style des vins du nouveau monde. « Pour obtenir ce fruit, il fallait que je parte sur des raisins à maturité », débute-t-il. Il opte logiquement pour du cabernet sauvignon, le merlot étant « trop lourd et gras ». Après avoir fait un tour de son parcellaire pour dénicher les raisins ad hoc, il tombe sous le charme d’un îlot en particulier. « C’est un vieux cabernet sauvignon, avec des petits grains, et un goût très prononcé de framboise, myrtille, cerise, décrit Jacques Lurton. On a presque des notes florales et pas de pyrazines. » Ni une ni deux, il sélectionne cette parcelle pour sa cuvée effervescente. Il la vendange à 11 % d’alcool potentiel « ce qui correspond à ramasser entre le sauvignon blanc et le sémillon », situe-t-il. Il la récolte à la machine, un réel avantage permis par la commercialisation en vin de France.
Dès l’arrivée au chai, les raisins passent dans des tuyaux réfrigérés, des « Tube in tube » faits maison, qui descendent la récolte à 4 °C. S’en suit un pressurage doux sous pneumatique et gaz inerte. Jacques Lurton monte jusqu’à environ 1,5 bar et n’effectue aucune rebêche afin de limiter au maximum l’extraction de couleur. Il sélectionne les jus les plus clairs « a bisto de nas ». Parmi eux, les premiers sont isolés, et les seconds sont décolorés au charbon. « Le but est d’avoir un jus très pur, frais et fruité, déclare le vigneron. Si c’était destiné à un blanc tranquille, ce serait un peu acide, mais pour un effervescent, c’est très bien. »
Du froid, du froid, du froid
Le moût est débourbé à froid dans une cuve située dans une chambre froide à 5 °C, sans enzymes, afin d’atteindre une turbidité d’environ 50 NTU. Le vigneron ensemence ensuite en LSA, « mais j’opte pour des levures n’apportant aucune aromatique, mon souhait étant de conserver le côté variétal du raisin, rappelle-t-il. Je ne veux pas de notes amyliques ou thiolées. Il faut que ça sente le jus de raisin ». Il ne réalise pas de malo, qu’il bloque avec du froid et du SO2, toujours dans le but de conserver les notes aromatiques d’origine. La stabilisation tartrique est aussi apportée par le froid.
Une prise de mousse avec des levures de terroir bordelaises
Une fois le vin vinifié, il confie la prise de mousse et la mise en bouteille aux établissements Lateyron, spécialisés dans le crémant, qui partagent la même philosophie de travail que lui. « Pour la transformation, c’est toujours une grande incertitude, souligne le viticulteur. Je ne suis pas un pro de la prise de mousse et il fallait donc que je trouve un bon partenaire. » Corinne Lateyron ayant « un côté artistique et empirique », il travaille avec elle depuis le départ de la cuvée.
Le vin est directement mis en bouteilles le jour de son arrivée chez les Lateyron, pour éviter tout risque. Le SO2 est alors à 15 mg/l maximum afin de permettre l’implantation des levures pour la prise de mousse. « Je pense que le vin de base doit partir de chez eux aux alentours de 25-30 pour être chez nous à 15-20 après les diverses opérations de pompage », estime Lionel Lateyron, gérant de l’entreprise Lateyron. La prise de mousse est effectuée avec des levures spécifiques, sélectionnées par Corinne Lateyron et Laffort. « Elles sont adaptées aux vins de Bordeaux et aux spécificités du terroir, met en avant Lionel Lateyron. Ce ne sont pas des levures champenoises. » La mise se déroule dans des caves fraîches, maintenues à 11 °C, « pour une prise de mousse lente et un CO2 bien fondu, décrypte le gérant. Cela permet d’obtenir une bulle plus fine ». Jacques Lurton apprécie ces levures, qui ne produisent pas d’arômes masquant ceux du vin. Les bouteilles sont ensuite bouchées avec une capsule de tirage en aluminium-inox, avec bidule intégré.
Un élevage sur lattes d’au moins 24 mois
Le vieillissement sur lattes débute alors. Il dure au moins 24 mois, contre 9 mois minimum pour un crémant, ce qui permet au vin de s’assouplir grâce au contact avec les lies, et permet ensuite un dosage très faible. « Nous avons beaucoup d’échanges et de dégustation au fur et à mesure du processus, témoigne Jacques Lurton. Un effervescent, c’est un peu comme un accouchement. Cela dure 9 mois, comme une grossesse. Durant le processus, on peut avoir l’impression que le vin est bien, sans défaut, mais on ne sait pas vraiment comment sera le bébé final. » Au dégorgement, effectué de manière classique au Champagel, Jacques Lurton et l’équipe Lateyron effectuent plusieurs essais de collage et de dosage. Paradoxalement, le faible dosage à 0 ou 5 g/l de MCR selon les millésimes, donne l’impression d’un vin avec beaucoup de sucrosité, alors qu’un brut classique peut monter jusqu’à 12 g/l de sucre. On se situe donc sur un niveau de sucrosité équivalent à celui d’un brut nature (0 g/l) ou d’un extra-brut (jusqu’à 6 g/l). Cette impression de sucrosité est due au contact prolongé avec les lies.
Lors du tirage, le SO2 est réajusté selon les lots et millésimes. Puis les bouteilles sont fermées avec des bouchons Diam. « Pour une bonne homogénéité de la liqueur de dégorgement, le vin est remué quatre fois avant l’habillage, précise Lionel Lateyron. Autrement, on a fréquemment du sucre qui reste au fond. » La pression est de l’ordre de 4,5 à 5 bars à 20 °C.
45 000 bouteilles à 14,50 euros pour le consommateur
Depuis qu’elle existe, cette cuvée se commercialise bien. De 35 000 cols au départ, elle tourne actuellement autour de 45 000 bouteilles par an, pour un prix consommateur de 14,50 euros la bouteille. « Je ne voulais pas le brader car c’est un produit bien fait, informe Jacques Lurton. Mais il a fallu trouver le marché, on ne connaissait pas trop notre cible au départ. Ça n’a pas été simple, car le consommateur attendait du crémant. Il a fallu faire goûter le produit mais à présent il se vend bien. »
D’un point de vue financier, cette cuvée coûte deux à trois euros de plus par bouteille qu’un blanc sec à élaborer, du fait de l’habillage plus onéreux et de la sous-traitance de la prise de mousse. Mais son bon prix de vente rentabilise facilement cet investissement. « J’ai adoré cette expérience, conclut le vigneron. C’est un produit atypique de diversification qui fonctionne. »
repères
Château Bonnet, à Grézillac
Surface 147 ha de vigne
Encépagement 95 ha de blanc (65 % sauvignon, 20 % sémillon et 15 % colombard) et 52 ha de rouge (70 % merlot et 30 % cabernet sauvignon)
Dénominations AOC entre-deux-mers et vin de France
Nombre de cols par an 600 000 en blanc et 450 000 en rouge
Circuits de commercialisation 40 % export, 40 % CHR en France, et 20 % GD française
Nombre de salariés pour tout le groupe 135
Les atouts
Récolte mécanique
Un produit qualitatif et rentable
Les freins
Élevage sur lattes de 24 mois minimum
Dégustation nécessaire pour convertir les clients
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