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Le refroidissement de la vendange a de nombreux atouts

Piloter la couleur et l’extraction aromatique, faciliter l’organisation, réduire l’emploi d’eau et de sulfites ; tels sont les avantages du refroidissement de la vendange manuelle.

Disposé en bord de parcelle, le camion frigorifique accueille les cagettes et permet ainsi de refroidir les baies.
Disposé en bord de parcelle, le camion frigorifique accueille les cagettes et permet ainsi de refroidir les baies.
© F. Pouillon

Chambre froide, camion frigorifique, container, frigo à fruit, tunnel, pellets… Les outils de refroidissement de la vendange employés par les vignerons sont nombreux et divers. Tout comme les raisons qui les amènent à se tourner vers cette technique, quelle que soit leur région. Pour Fabrice Pouillon, du champagne Pouillon à Mareuil-sur-Aÿ, dans la Marne, tout est parti d’une expérimentation sur les températures, de la vendange au départ de fermentation alcoolique (FA), menée avec le Comité Champagne. « Nous nous sommes aperçus que si nous n’effectuions aucune régulation thermique, la température du moût avant FA était identique à la température de cueillette », révèle-t-il. En 2018, il effectue sa première vendange en août, avec des températures plus élevées qu’habituellement. C’est là qu’il franchit le pas et décide de louer un camion frigorifique, afin d’éviter toute dégradation des raisins.

« Grâce au froid, j’ai divisé mes doses de sulfites par deux »

« Je récolte mes raisins à une maturité plus avancée que la moyenne champenoise, et j’essaie de vinifier avec le moins de sulfites possibles. Le froid est donc l’outil qui me permet de préserver les raisins de l’oxydation », estime-t-il. Et ce d’autant plus que certaines de ses parcelles sont situées à une trentaine de kilomètres du chai. Il règle le camion sur 10 °C, et y entrepose les raisins dans des cagettes de maraîchage ajourées de 13 kg. À l’arrivée au chai, il stocke ces cagettes dans une chambre froide à 15 °C, afin qu’elles puissent attendre dans de bonnes conditions le second arrivage (2 000 kg), qui déterminera le lancement du pressoir (4 000 kg).

« Grâce à cela, j’ai diminué de moitié l’usage du soufre, sans aucun impact sur mon vin », se réjouit Fabrice Pouillon. Ce changement opérationnel ne modifie pas significativement l’organisation du domaine. « Avant, nous chargions sur une remorque, maintenant dans un camion avec hayon, c’est même plus facile », décrit-il. Tant et si bien que cette année, il s’est équipé de son propre camion, pour 15 000 euros. « J’avais besoin d’un camion pour le domaine, du coup j’ai pris l’option frigo », ajoute-t-il. Il juge ce coût plus modéré qu’une installation de thermorégulation sur toutes ses cuves.

Un facteur de maîtrise de la couleur des rosés et de souplesse d’organisation

Albéric Philipon, du château Carpe Diem, à Cotignac dans le Var, dispose également d’une chambre froide d’environ 80 m2, où il entrepose tous ses raisins, que ce soit pour du rosé, du blanc ou du rouge. « Sur les rouges, le refroidissement nous autorise à prolonger les macérations, ce qui est bénéfique du point de vue aromatique, précise-t-il. Pour les blancs et les rosés, les consommateurs veulent des vins de plus en plus clairs ; la température est un facteur clé pour y arriver. » Il voit un autre avantage à ce système : la souplesse d’organisation. Sa chambre peut contenir l’équivalent de quatre jours de vendange, ce qui permet de s’adapter à la météo. « Quand il y a un risque de détérioration de la météo, on peut se dépêcher de tout rentrer, on a la place de tout conserver dans de bonnes conditions », observe-t-il.

La vendange est disposée en chambre froide réglée sur 5 °C dès son retour des vignes, entre 3 et 9 heures du matin. Elle y reste 18 à 24 heures, jusqu’au lendemain matin 3 heures, où elle est pressée ou encuvée pour une macération préfermentaire. Ce qui libère alors les palox pour la vendange du jour. « Ainsi, nous arrivons à une température des raisins à cœur de 8 ou 9 °C », détaille le vigneron. En revanche, il souligne que cette organisation alourdit la manutention ; une logistique à ne pas sous-estimer selon lui. « Vu que les raisins passent 24 heures au frais, il faut multiplier les contenants, et disposer de deux à trois fois le volume habituel de palox », prévient-il.

Davantage de couleur et d’arômes sur les rouges

Par ailleurs, la chambre froide engendre un surcoût énergétique, mais qu’Albéric Philipon considère comme étant indispensable à la qualité qu’il recherche ; ainsi qu’un coût de main-d’œuvre pour la manutention des palox au chariot élévateur. « Il faut aussi faire attention au contenant, note le vigneron. Il doit être ajouré sur les côtés et le dessous pour favoriser l’aération, et ne pas être trop grand pour ne pas provoquer d’écrasement des baies. »

Un constat que partagent le champenois Fabrice Pouillon et Franck Renouard, du domaine Scamandre à Vauvert dans le Gard. Ce dernier dispose lui aussi d’une chambre froide. Tout comme Albéric Philipon et Laurent Fournier, du domaine Jean Fournier à Marsannay-la-Côte en Côte-d’Or, il a commencé par louer des camions frigorifiques. Mais comme eux, il a vite trouvé les limites de ce fonctionnement : refroidissement insuffisant du fait d’une faible distance, complexité des manipulations, capacité de stockage limitée. En 2005, il a donc sauté le pas et construit sa chambre froide, d’une capacité de 600 caisses de 10 kg, soit l’équivalent d’une journée de vendange. La chambre est réglée sur 10 ou 11 °C. Les baies arrivent à 25 ou 30 °C et y descendent jusqu’à 14 ou 15 °C. Ce qui permet au vigneron de mieux contrôler la vinification et d’extraire davantage de couleur et d’arômes sur les rouges.

Vendanger un jour sur deux et vinifier l’autre jour

Cette chambre favorise aussi la régulation du travail, le pressoir faisant 400 kg. « Nous vendangeons un jour, décrit Franck Renouard. Nous rentrons les raisins, qu’ils soient rouges ou blancs, en chambre froide. Et nous pressons ou égrappons le lendemain. C’est plus pratique et plus simple. Et même si cela consomme de l’énergie, cela nous amène à réaliser de grosses économies d’eau, puisque le matériel n’est lavé qu’un jour sur deux. » Il pointe lui aussi l’importance de disposer de cagettes adéquates et ajourées.

 

 
En absence de chambre froide, il est possible d'utiliser un frigo à fruits, comme ici au domaine des Granges dans la Drôme.
En absence de chambre froide, il est possible d'utiliser un frigo à fruits, comme ici au domaine des Granges dans la Drôme. © Domaine des Granges
En absence de chambre froide ou de possibilité d’en construire une, il est aussi envisageable de détourner les frigos à fruits de leur usage. C’est par exemple le cas au domaine des Granges, à La-Roche-de-Glun, dans la Drôme. Le vieux frigo à pêches de l’exploitation, autrefois fruitière, permet de refroidir la vendange à moindre coût.

 

En Bourgogne, Laurent Fournier a pour sa part recours à deux containers frigorifiques de 40 pieds, pouvant contenir 16 palettes. « Je suis parti du constat que lorsque j’éraflais tôt le matin, le pinot noir dégageait une odeur plus agréable que l’après-midi, relate le vigneron. Les baies étaient plus entières, il y avait moins de jus. » À cet aspect qualitatif s’ajoute une cuverie très petite, où il est difficile de refroidir les cuves pour la macération préfermentaire à froid. « L’un dans l’autre, je me suis dit : pourquoi ne pas refroidir dès la récolte », se remémore-t-il.

 

 
Laurent Fournier emploie deux containers frigorifiques de 40 pieds, pouvant contenir 16 palettes.
Laurent Fournier emploie deux containers frigorifiques de 40 pieds, pouvant contenir 16 palettes. © L. Fournier
Outre les aspects qualitatifs indéniables, Laurent Fournier apprécie de travailler avec les containers pour des questions de capacité de cuverie. « Je vois mieux le volume que j’ai sur chaque parcelle, et donc je mets les raisins dans une cuve de la bonne capacité », analyse-t-il. En outre, cela l’aide à choisir le pourcentage de grappes entières qu’il souhaite conserver. Il signale néanmoins que cette organisation implique l’emploi d’une personne qui charge et décharge les containers à l’aide d’un chariot élévateur. « Mais sur le reste de la ligne, cela nous fait gagner du temps, tempère-t-il. Avant, les trieurs attendaient l’arrivée des raisins. À présent, il n’y a plus de moments creux, l’équipe termine une heure voire une heure et demie plus tôt tous les jours. »

 

Laurent Fournier insiste néanmoins sur l’impact environnemental du refroidissement qui, tout comme la thermorégulation, n’est pas neutre, et sur l’investissement de base : aux 17 000 euros des containers (8 500 euros l’unité, d’occasion), se sont ajoutés environ 10 000 à 15 000 euros pour les caisses et les palettes. Mais pour lui, le gain qualitatif et organisationnel en vaut la chandelle.

Le froid inhibe l’activité des polyphénols-oxydases

En 2016, l’Inrae de Pech Rouge, à Gruissan dans l’Aude, s’est penché sur le refroidissement rapide et précoce de la vendange. L’institut a pour cela comparé deux lots de bourboulenc, l’un des deux étant passé sur une ligne de refroidissement au CO2 liquide et étant tombé de 23 °C à 7-8 °C ; l’autre pas. Avec de bons résultats. « Au final, le lot refroidi affichait une DO (densité optique) 320 supérieure, ce qui montre une oxydation des acides phénols moins importante », expliquaient les chercheurs dans leur publication d’octobre 2017. Par ailleurs, la modalité non refroidie arborait une couleur plus brune. En bouche, le lot refroidi était plus acide et plus vif, avec une palette aromatique plus fine, et un côté floral et fruité plus prononcé. Et les chercheurs de conclure : « nous obtenons des résultats analytiques et gustatifs qui nous permettent de conclure favorablement à l’utilisation de cette technologie ».

voir plus loin

Le refroidissement des cuves par pulsation économise de l’énergie

L’entreprise américaine VinWizard, spécialisée dans l’automatisation de la cuverie, teste depuis plusieurs années le refroidissement discontinu des cuves en collaboration avec l’université UC Davis. Le principe est simple : au lieu de refroidir la cuve en permanence, elle est refroidie par intermittence, selon des cycles choisis. L’Institut de recherche néo-zélandais Bragato Research Institute, a testé ce procédé. Il a comparé deux cuves de 200 litres à 16,7 °C. L’une d’elles, refroidie normalement. La seconde par « pulsation », à raison d’une minute de refroidissement et trois minutes d’arrêt. Selon l’Institut, le refroidissement par pulsation a permis de diminuer la consommation énergétique de 30 %. Il a en revanche mis 155 minutes à atteindre la température recherchée de 8 °C, contre 75 minutes pour la cuve refroidie classiquement. Le « pulse cooling » permet en outre de mieux contrôler la baisse de température, qui est plus graduelle.

Le tunnel de refroidissement, intéressant pour les grosses structures

 

 
Les tunnels de refroidissement envoient de l'azote ou du dioxyde de carbone liquide sur les baies, ce qui permet de faire chuter leur température.
Les tunnels de refroidissement envoient de l'azote ou du dioxyde de carbone liquide sur les baies, ce qui permet de faire chuter leur température. © X. Delbecque
Dans le Bordelais, Alix Combes, responsable d’exploitation du château La Tour Carnet, à Saint-Laurent-Médoc, emploie lui aussi le froid pour maîtriser les départs en FA. S’il a recours à la thermorégulation pour ses cuves inox à double paroi, ce n’est pas le cas pour ses cuves ciment et bois. Il utilise donc un tunnel de refroidissement Serap-Linde pour les lots qui y sont destinés. « Les drapeaux et serpentins n’étaient pas suffisants pour bien refroidir », explique le responsable. La ligne, en place depuis une dizaine d’années, passe environ 1 800 hl par an et fonctionne avec une consigne de température de 8 °C en sortie. « C’est un matériel assez fiable, rapporte Alix Combes. Mais il est difficile à nettoyer et compliqué à installer : Linde doit venir faire les branchements tous les ans. » Par ailleurs, c’est un appareil volumineux, qui nécessite d’être couplé à une cuve d’azote liquide de 4 m de diamètre. Cette dernière doit régulièrement être remplie et doit donc être située dans une zone ne gênant pas les vendanges. « Pour les grosses quantités, ce tunnel est bien adapté, résume le responsable. En revanche, pour de plus petites vendanges, mieux vaut opter pour de la carboglace, plus simple et plus souple d’utilisation. »

 

L’italien Siprem international propose lui aussi un tunnel de refroidissement nommé Alcryo, en collaboration avec Air Liquide. Ce matériel, ayant un débit d’environ 10 tonnes par heure, injecte du CO2 en phase liquide sur les baies, leur permettant de descendre de 20 ou 25 °C met en avant l’entreprise.

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