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La filière vin face à une flambée historique des coûts

La pandémie et la guerre en Ukraine génèrent une ambiance de pénurie d’énergie et de matières premières. Tour d’horizon des conséquences pour notre filière.

Hausse des coûts de l'énergie et de nombreuses matières premières pèsent sur les relations avec les fournisseurs de la filière.
Hausse des coûts de l'énergie et de nombreuses matières premières pèsent sur les relations avec les fournisseurs de la filière.
© J.-C. Gutner

Le 10 mars, le prix moyen du GNR a atteint 2 euros TTC par litre. Un choc. La guerre en Ukraine a brutalement accentué la hausse engendrée tout au long de l’année 2021 par la reprise de l’économie mondiale. Le 18 mars, plus de 500 personnes se réunissaient à Carcassonne dans l’Aude, à l’appel de syndicats viticoles et agricoles pour dénoncer cet embrasement des coûts. « On utilise le GNR qui a augmenté de 186 % en un an et demi, tout le reste a augmenté aussi, on n’est plus rentable », déplorait Frédéric Rouanet, président du Syndicat des vignerons de l’Aude, au micro de l’AFP.

 

 
Selon les données publiées dans le rapport Agriculture et efficacité énergétique, les carburants représentent près de 70% des charges d'énergie des exploitations viticoles.
Selon les données publiées dans le rapport Agriculture et efficacité énergétique, les carburants représentent près de 70% des charges d'énergie des exploitations viticoles. © Infographie Réussir

 

Selon le relevé hebdomadaire du ministère de l’Écologie, le prix national du litre TTC de GNR au détail a grimpé de 65 centimes entre le 2 janvier et 13 mars. Face à l’ampleur du phénomène, le gouvernement a aménagé le remboursement de la TICPE (voir page 8) et mis en place, pour quatre mois, une remise de 15 centimes par litre de GNR acheté à partir du 1er avril. Frédéric Plan, délégué général de la Fédération française des combustibles, carburants et chauffage (FF3C) alertait le 15 mars sur un probable effet « entonnoir » et « un allongement considérable des délais de livraison » dû au report de commandes pour bénéficier du tarif réduit.

Les ETA sous la pression de l’énergie et du métal

Même si, depuis, le cours du GNR est un peu redescendu (1,32 euro TTC/l le 3 avril selon le ministère de l’Écologie), le prix élevé de l’énergie est parti pour durer, avec un effet boule de neige évident sur tous les coûts de production. « Notre profession a l’obligation de coller aux hausses de prix du carburant et de l’acier, il en va de la viabilité de nos entreprises », déclarait Gérard Napias, président de la Fédération nationale des entrepreneurs des territoires (FNEDT) en février dernier.

La fédération, qui réunit les entreprises de travaux agricoles, forestiers et ruraux, prévenait d’une hausse nécessaire des tarifs de l’ordre de 8 à 15 %. Stéphane Granger, dirigeant de la SARL Granger, entreprise de travaux agricoles (ETA) basée dans le Vaucluse, a pour sa part augmenté les tarifs des travaux viticoles de 4 % au 1er janvier 2022. « En un an, nous avons pris une hausse du GNR de 90 %, nous avons eu deux augmentations du Smic », énonce-t-il. Il craint de devoir à nouveau modifier ses tarifs si la situation persiste. « J’avais anticipé un peu la hausse du GNR mais pas à 2 euros », résume-t-il. Pour lui, la remise de 15 centimes d’euros n’est pas suffisante. Il observe que « les pneumatiques viennent de prendre 15 % au 1er avril ; depuis fin octobre, les tracteurs ont pris 15 000 euros ». Sans oublier les pièces de rechange. « On est entre le marteau et l’enclume, les fournisseurs augmentent leurs prix et les clients ne veulent pas voir nos tarifs progresser. Déjà avec 4 %, nous avons eu un retour de clients mécontents », s’inquiète-t-il, craignant une concurrence acharnée.

La bouteille en verre gourmande en gaz

Le prix du gaz bat aussi des records compte tenu du poids de la Russie dans la production mondiale. L’impact est majeur pour l’industrie du verre. « 75 % de notre énergie provient du gaz », indique Jacques Bordat, président de la Fédération des industries du verre. La proportion vaut bien sûr pour la production française tout autant que pour le tiers des bouteilles importées. Ce secteur est aussi fortement dépendant du coût des carburants à travers le transport.

Mais pour Jacques Bordat, les problèmes actuels de délais sont une conséquence directe de la pandémie : « tout notre écosystème a été perturbé par la crise sanitaire avec une capacité de production qui a été réduite. Actuellement, on est sur un phénomène de restockage. Les usines tournent 7 jours sur 7 ». La profession se défend d’un soupçon de contingentement de la production. Pour ce qui est de l’impact direct de la guerre, Verallia a suspendu la production de son usine ukrainienne, dont la moitié de la production était exportée.

Le bouchon technique victime de son succès

Fabriquer des bouchons est également énergivore. « Les mouleuses des bouchons techniques réclament une grosse quantité d’énergie. Or les prix de l’énergie se sont multipliés par deux ou par trois, illustre Valérie Noray, directrice chez Lafitte liège. Au Portugal, il n’y a aucune régulation sur le marché de l’énergie ». « Nous avons un problème de transport en Europe », ajoute Franck Autard, directeur général d'Amorim France. En plus du coût du gazole, il mentionne la pénurie de main-d’œuvre et les hausses de salaires. « Le transport par camion coûte 300 à 500 euros de plus qu’il y a deux ou trois mois. Nous avons sept à dix camions par semaine de bouchons bruts qui circulent vers les sites de finition », décrit Valérie Noray. Mais la tension sur les prix commence dès l’origine des bouchons : la sécheresse réduit la durée de levée du liège. « Face à la baisse prévisible de récolte, il y a une spirale spéculative, analyse Valérie Noray. Nous savons déjà que l’achat sur arbre va gagner 15 à 20 % par rapport à l’an dernier ».

Le bouchon technique est encore plus touché car sa demande s’accroît très fortement. Le volume de déchets de liège qui servent à l’élaborer peine à suivre. « On a un manque de matière, le prix a doublé avec deux années de faible récolte », résume Franck Autard. Et comme partout, les fournitures sont toujours plus rares et chères : « les encres, les poches plastiques, + 20 % ; les cartons, + 45 % en cumul de septembre 2021 à début 2022 », cite Valérie Noray. Résultat, si les bouchons naturels devraient pouvoir tenir l’année sans hausse, elle n’exclut pas une augmentation dès juillet sur les bouchons techniques.

Un impact important pour les pépinières viticoles

À la Fédération française de la pépinière viticole (FFPV), la hausse annoncée est de 5 à 10 centimes par plant de vigne. « Les prix des matières premières comme les plastiques ou les cires ont progressé de 30 à 40 %, mais on ne peut pas augmenter d’autant », souligne Fanny Mey à la FFPV. La production de plants en pot va manquer de contenants et de terreau. Pour les pépiniéristes, la guerre a une conséquence directe car la Russie se fournit en plants français. Le chiffre d’affaires était de 2 millions d’euros en 2021. « Certaines commandes ont été diminuées vu le contexte, mais globalement tout a été expédié malgré la difficulté à trouver des transitaires », indique la FFPV. Les paiements ont pu se faire avant le conflit dans la majorité des cas. L’inconnu plane sur les contrats conclus pour l’année prochaine. « Les exportateurs hésitent à mettre en œuvre des plants qui risquent de ne pas pouvoir être livrés », pointe Fanny Mey.

Corollaire de cette situation inflationniste, l’installation à chaque étape d’un climat de méfiance entre clients et fournisseurs soupçonnés de surprotéger leurs marges. Et pour le vigneron, en bout de chaîne, l’irrépressible sentiment d’être le dindon de la farce.

« Il faut s’attendre à une année moins flamboyante que 2021 pour les exportations de vin »

Quel peut être l’impact du contexte économique engendré par la guerre en Ukraine sur le commerce du vin ? Nous avons interrogé Jean-Marie Cardebat, professeur d’économie à l’université de Bordeaux et président de l’European Association of Wine Economists.

L’année 2021 a été exceptionnelle pour les exportations françaises de vin. À quoi peut-on s’attendre pour 2022 ?

Les prévisions de croissance sont tombées d’un point pour le Monde mais aussi pour la France et l’Union européenne, sur fond d’inflation. Le vin va en souffrir car ce n’est pas un produit de première nécessité. Il va y avoir des réajustements de consommation. L’élasticité prix est plus forte pour les entrées de gamme. Les grands crus sont moins sensibles.

Indépendamment de la guerre en Ukraine et de la pandémie, il faut s’attendre à une année moins flamboyante que 2021 pour les exportations de vin. L’an dernier, elles ont bénéficié de phénomènes de restockage suite aux effets de la pandémie et de la taxe Trump, et de stockage par anticipation face à la faible récolte 2021.

Les flux d’exportation vont-ils se modifier ?

La tendance lourde depuis dix ans va dans le sens d’un recentrage sur les marchés régionaux. C’est plus que jamais d’actualité. Sur le grand export, soyons opportunistes, car ça ne va pas continuer à être un eldorado.

On voit que des tensions avec la Chine peuvent survenir. Il y aura toujours des grands crus qui passeront les frontières mais pour les vins de volume, ça sera plus compliqué. Mais aux États-Unis, on peut toutefois espérer voir les relations apaisées sur le plan commercial, avec un réflexe de repli sur le modèle occidental.

 

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