« Il faut complexifier le sujet de la gestion de l’eau : la ferme France d’un point de vue climatique n’existe pas ! »
La gestion de l’eau par les agriculteurs face au changement climatique s’avère de plus en plus complexe. Arvalis, Inrae et la start-up Weenat ont expliqué le 3 juin lors de l’assemblée générale de l’Acta quels leviers existent pour une adaptation des modèles agricoles au plus près des contraintes géographiques et temporelles.
La gestion de l’eau par les agriculteurs face au changement climatique s’avère de plus en plus complexe. Arvalis, Inrae et la start-up Weenat ont expliqué le 3 juin lors de l’assemblée générale de l’Acta quels leviers existent pour une adaptation des modèles agricoles au plus près des contraintes géographiques et temporelles.

Les agriculteurs confrontés à des changements de scénarios climatiques
« Comme nos mandants, nous sommes percutés par la complexité de ce qu’il se passe au niveau du changement climatique. Sur le sujet de l’eau, il est désormais essentiel de sortir de la moyenne et des tendances générales pour s’attacher aux détails temporels et géographiques », explique Jean-Pierre Cohan, directeur recherche et développement d’Arvalis-Institut du végétal, intervenant dans un débat sur l’eau et l’agriculture lors de l’assemblée générale de l’Acta (Instituts techniques agricoles), le 3 juin à Paris. « L’eau n’est pas qu’une question d’alimentation hydrique, il faut aussi gérer les excès d’eau et l’afflux consécutif de pathogènes », rappelle-t-il.
Les agriculteurs sont confrontés à un changement de scénarios avec quelques paradoxes
Et le directeur R&D d’Arvalis de rappeler la « complexité interannuelle » des trois dernières campagnes pour la production de céréales : avec un hiver 2022-2023 assez classique suivi d’un stress hydrique en fin de campagne, puis 2023-2024 qualifié de « pire campagne depuis 40 ans » avec un excédent pluviométrique tout au long de l’année et enfin la campagne 2024-2025 avec « un excédent pluviométrique à l’automne, puis une inversion de la géographie pluviométrique avec un excédent d’eau au sud et un déficit au nord ». « Actuellement les agriculteurs sont confrontés à un changement de scénarios avec quelques paradoxes. Le défi à relever pour les cultures à cycles longs comme le blé d’hiver c’est l’apparition de scénarios avec excédents d'eau en hiver et manques au printemps et en été » poursuit-il.
Illustration de la variabilité des campagnes de blé par Arvalis

« La ferme France d’un point de vue climatique n’existe pas : il faut complexifier le sujet de la gestion de l’eau » avance-t-il.
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Un modèle agricole à repenser selon l’Inrae
Un constat partagé par Sami Bouarfa, chef de département adjoint au département Aqua de l’Inrae. « Arroser au plus juste au meilleur moment c’est très bien mais pour penser l’avenir de la France, cela ne va pas suffire. Il faut repenser notre modèle agricole », avance-t-il le 3 juin lors de l’assemblée générale de l’Acta. Pour mieux comprendre la complexité du changement climatique et des conséquences sur l’eau, l’Inrae travaille sur des prospectives hydrologiques d’ici à 2100 et a mis en place une dizaine de modèles sur 36 bassins versants.
Une prise de conscience tardive de la part des agriculteurs
Jérôme Le Roy, président de Weenat et de la Ferme digitale, indique que son entreprise travaille depuis dix ans avec les instituts techniques à une meilleure compréhension des écosystèmes locaux, sur environ 200 zones climatiques identifiées en France. Il constate toutefois une prise de conscience tardive des agriculteurs.
« Le téléphone de Weenat sonne beaucoup trop tard, les agriculteurs s’équipent après des évènements climatiques »
« Le téléphone de Weenat sonne beaucoup trop tard, la prise de conscience ne vient que lors des évènements climatiques », regrette-t-il. « A chaque fois qu’il y a des inondations ou de grands stress hydriques, les agriculteurs s’équipent, mais il faut deux à trois ans pour comprendre le comportement de son sol par rapport à l’apport en eau de pluie et l’irrigation. Or en agriculture on a une chance par an », alerte-t-il. Il rappelle que Weenat réalise depuis quatre ans plus de 5000 prélèvements de sols suivis d’analyses mécaniques sur des zones équipées de capteurs de la teneur en eau des sols.
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Quelles adaptations ? De l’irrigation de résilience à l’« irrigation multiservices »
Au-delà de l’irrigation de précision
Quelles solutions les instituts techniques et de recherches peuvent-ils apporter aux agriculteurs pour mieux gérer l’eau ? « Jusqu’à présent on travaillait sur des logiques d’irrigation de précision avec l’apport de la bonne goutte au bon moment, grâce à des capteurs, puis on est passés à l’automatisation », rappelle Sami Bouarfa, chef de département adjoint au département Aqua de l’Inrae. « Aujourd’hui on reconceptualise sur le fond, on ne parle plus d’irrigation de résilience mais d’irrigation multiservices » poursuit-il.
On peut encore gagner jusqu’à 30% d’apports plus rationnels en eau
« Sur la « smart irrigation » (ou irrigation de précision, ndlr) on a encore des marges d’économie d’eau, on peut encore gagner jusqu’à 30% d’apports plus rationnels en eau mais on pense qu’il faut franchir un cap et voir les autres leviers à actionner », avance-t-il. Pour l’Inrae, le sol ne doit pas être simplement vu comme un « simple réservoir d’eau », l’irrigation doit s’inscrire dans la fonction écologique des sols, afin de reconstituer une certaine faune par exemple, et ainsi améliorer sa résilience. « Nous avons de grands programmes sur l’agriculture de conservation des sols en Occitanie et en Nouvelle Aquitaine. Et on s’interroge par exemple sur la question de l’arrosage des cultures de couverture », ajoute encore Sami Bouarfa.
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Quelles solutions d’adaptation en fonction de l’échelle d’espace et de temps ?
« Quand une exploitation agricole veut adapter ses systèmes de production pour gérer la question de la ressource en eau, il faut qu’elle s’interroge sur l’échelle : est-ce à l’échelle de la parcelle, de l’exploitation, du territoire ? Elle doit aussi s’interroger sur la notion temporelle : quelle rapidité de l’action du levier et quel temps pour élaborer ce levier ? », avance pour sa part Jean-Pierre Cohan, directeur recherche et développement d’Arvalis. Il met en avant trois outils d’adaptation pour les agriculteurs :
- la stratégie d’optimisation des assolements (avec beaucoup de projets régionaux qui étudient la sensibilité des différentes espèces au stress hydrique)
- la valorisation du progrès génétique avec « des variétés plus résilientes » « avec un effet immédiat sur l’exploitation mais 10 à 20 ans de recherche avant » (« il faut préparer la génétique de demain », précise le directeur R&D d’Arvalis)
- l’évaluation du réservoir en eau utilisable du sol, avec la mise en place d’un outil gratuit sur le site de l’institut du végétal.
Des leviers d’adaptation à différentes échelles selon Arvalis

Données satellitaires et modèles à petite échelle pour évaluer le réservoir utilisable
Jérôme Le Roy, président de la Ferme digitale, met pour sa part en avant des services de calcul du réservoir utile des sols grâce à des données satellitaires. Plus précis, « des modèles sont aussi développés en combinant images satellitaires et données des capteurs ». « Nous développons de petits modèles sur 8 à 10 ans, qui fonctionnent pour 200 agriculteurs mais ne sont pas forcément diffusables à d’autres », précise celui qui préside aussi Weenat.