Hygiène de chai : le pouvoir des enzymes
Quand la méthode chimique touche à ses limites, l’utilisation de produits à base d’enzymes peut résoudre des colmatages et lutter contre les biofilms. Un usage en routine aide à prévenir ces ennuis.

Depuis la publicité pour la lessive, plus personne n’ignore que les enzymes « gloutonnes » digèrent la saleté. En œnologie aussi, ces protéines non vivantes peuvent s’avérer de précieux auxiliaires. Grâce à leurs différentes activités lytiques, les cocktails d’enzymes présents dans les produits de nettoyage s’attaquent aux résidus organiques, mais aussi aux biofilms, dans les endroits les plus inaccessibles du matériel et des surfaces en cave.
Régénération des membranes des filtres
Utilisées dans les industries agroalimentaires depuis plusieurs décennies, les enzymes de nettoyage sont entrées dans les chais pour l’entretien des filtres et la régénération des membranes. Une tâche pour laquelle elles ont fait la preuve de leur efficacité. « Pendant le Covid, lorsqu’il y avait une pénurie de cartouches filtrantes, le nettoyage enzymatique a aidé à les faire durer le plus longtemps possible », rappelle Sami Yammine, œnologue chez Laffort.
Avec ses produits à base de protéase, cellulase et amylase, le laboratoire a obtenu de bons résultats pour régénérer des membranes avec plusieurs années d’utilisation. « Mais nous conseillons d’utiliser ces produits au quotidien », indique l’œnologue qui peut fournir des protocoles adaptés au cas par cas si nécessaire et sur demande.
« Souvent, les châteaux nous appellent lorsqu’ils ont un gros problème de colmatage. Nous leur proposons de tester le nettoyage enzymatique. Et ceux qui l’ont essayé ne le lâchent plus et l’utilisent en préventif périodiquement », témoigne Cédric Guézennec, chez Beverage technics, à Bordeaux. L’entreprise commercialise un produit composé de trois types d’enzymes : protéase, amylase, lipase. Selon son dirigeant, le nettoyage enzymatique est efficace à condition de respecter les conditions d’emploi : trempage long (au moins une heure), à moins de 60 °C, dans un matériel en marche, afin que toute l’installation soit en contact avec le produit et que les tuyaux soient totalement remplis.
Les enzymes luttent contre les biofilms
Longtemps « protégée » par des conditions relativement hostiles aux micro-organismes par rapport à d’autres secteurs agroalimentaires, la filière vin voit aujourd’hui les pH des vins augmenter et l’usage de SO2 se réduire. « Avec notre nouvel outil Nomad, qui mesure la contamination microbienne sur site, nous avons repéré de nombreux problèmes de biofilms difficiles à endiguer, nous avons même trouvé des brett à pH 3 en Alsace », indique Jérôme Schiacchitano, directeur d’Alimpex. Inspirée par les secteurs de la laiterie ou la brasserie, l’entreprise a souhaité adapter des produits de nettoyage enzymatique à la vinification.
« L’enzyme ne remplace pas le nettoyage chimique, elle le complète : elle va casser les biofilms pour que les produits désinfectants classiques puissent agir », explique le dirigeant. Selon lui, il existe actuellement une surconsommation de produits d’hygiène en cave, pour un résultat peu satisfaisant à l’arrivée. La solution qu’il propose ? Intercaler ponctuellement des enzymes dans les procédures de nettoyage, tout en réduisant les produits classiques. Et surtout, contrôler les résultats.
Ces produits ont des pH moins agressifs
Avec cette méthode, des utilisateurs ont amélioré l’efficacité de leurs procédures, tout en utilisant des produits aux pH moins agressifs pour le matériel et plus sûrs pour les opérateurs. Les nettoyants enzymatiques peuvent aussi générer des économies d’énergie car ils fonctionnent à des températures plus faibles.
La contrepartie de ces avantages est le prix, plus élevé que les nettoyants chimiques. Les produits enzymatiques sont couramment vendus entre 6 et 16 euros le kilo alors qu’une soude classique se négocie à partir de 2 euros le kilo. « Mais on en met moins et moins souvent », relativise Jérôme Schiacchitano. Par exemple, il est possible de travailler à des concentrations de 2 % et d’y rester si le résultat escompté est atteint.
Produit
Fabricant/Distributeur en France
Usage recommandé
Décapol Extra Life
Laffort
Pour les cartouches filtrantes et filtres tangentiels
Décapol Deep Clean
Laffort
Pour les filtres tangentiels uniquement
Basobionil Per
Beverage technics
Polyvalent, en trempage ou en circulation
Enzyfoam cold
Alimpex
Moussante, s’utilise « à froid », à partir de 20 °C, pour les sols, les surfaces ouvertes
Powerzym
Alimpex
Poudre pour nettoyage en place en circuit fermé
EnzyWine R10
Alimpex
Régénération des cartouches et des membranes des filtres tangentiels
Biorem
Alimpex
Pour le curatif
Comment ça marche ?
Cellulase, pectinase, lipase, saccharidase… chaque enzyme existe dans la nature pour décomposer une substance spécifique. En additionnant ces activités, les produits de nettoyage enzymatiques peuvent être polyvalents ou répondre à des besoins spécifiques. « En nettoyage chimique classique, le principe est de faire des chocs de pH en surface. Avec les enzymes, on travaille sur les biofilms en profondeur », complète Cédric Guézennec.
Philippe Géry, œnologue chez Hauller J et fils SA, à Dambach-la-Ville, dans le Bas-Rhin
« Nous avons incorporé les enzymes dans notre boîte à outils de nettoyage »
C’est après avoir constaté que les formulations traditionnelles de nettoyage (soude et peroxyde d’hydrogène) n’apportaient pas les résultats escomptés que Philippe Géry s’est intéressé aux enzymes. Dans cette filiale du groupe Intermarché qui vinifie 40 000 hl et conditionne 80 000 hl par an, « nous avons commencé à caractériser des biofilms dans les rampes vinaires et les surfaces des cuves de réception des jus. Or c’est là qu’il faut accentuer l’hygiène car c’est la porte d’entrée du chai », souligne l’œnologue.
Dès 2023, il a donc mis en place un trempage pour le matériel vinaire avec une formulation associant enzyme et soude : la poudre à mettre en solution retire les dépôts et facilite l’action de l’acide peracétique qui vient ensuite désinfecter. L’efficacité du procédé a été contrôlée par ATPmétrie et dans un deuxième temps, avec la technologie Nomad. Satisfait du résultat, Philipe Géry a depuis commencé à généraliser le recours aux enzymes pour les cuves à partir de la vendange 2024.
« Je n’y vois que des avantages, explique-t-il : nettoyage plus efficace, très bonne activité dérougissante, mise en œuvre simple et plus sûre, pour un coût maîtrisé. » Les enzymes sont, certes, un peu plus chères qu’une soude classique, mais elles vont peut-être rendre possible la diminution des doses d’acide peracétique. Autre point positif : les produits à un pH de 8,5 sont moins impactants que les soudes « traditionnelles » sur les effluents.
Ulysse Turlais, opérateur chez Oeno service, entreprise de conditionnement à Apremont, en Savoie
« Il n’y a plus de dépôt dans les filtres »
« Avec l’augmentation des pH des vins, j’ai souhaité faire un audit de l’hygiène il y a deux ans. Auparavant, je pratiquais une stérilisation à 90 °C, puis un passage de soude et de peroxyde, tous les dix jours, sur les trois groupes d’embouteillage. Suite à cet audit, j’ai ajouté des enzymes pour régénérer les filtres et dégrader les biofilms, plus de l’acide peracétique pour désinfecter. Nous avons bien vu la différence lorsque nous nettoyons manuellement les cloches qui contiennent les membranes, il n’y a plus aucun dépôt.
Je me suis aussi équipé en ATPmétrie (1 500 euros HT). Ce petit appareil portable me permet de vérifier l’efficacité du nettoyage au plan microbiologique en 10 secondes. Pour la ligne d’embouteillage, nous souhaitons un résultat inférieur à 50. Jusqu’à présent, nous sommes toujours en dessous. Comme nous avons ajouté des produits, le nettoyage coûte plus cher qu’avant, mais je ne le vois pas comme un coût, plutôt comme une assurance. Et je suis toujours en phase de test pour ajuster les doses de produits, guidé par l’ATPmétrie. »