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Bien cadrer le recours à la prestation de service viticole
Nathalie Tourrette et Matthieu Chirez, avocats, experts en droit viticole chez JP Karsenty & Associés, reviennent sur la distinction entre la prestation de service et le prêt de main-d’œuvre illicite. Un point particulièrement crucial en période de vendanges.
Comment est définie la prestation de service ?
La prestation de service est le fait, pour un vigneron, de faire réaliser une tâche sur son exploitation par une autre entreprise, laquelle l’effectue avec son propre personnel, son savoir-faire et son matériel. Elle est donc autorisée si elle ne constitue pas un prêt de main-d’œuvre à but lucratif, ce que le Code du travail interdit par principe. Cette interdiction suppose de caractériser une prestation de service distincte du prêt de main-d’œuvre.
Quels critères clés évitent la requalification d’une prestation de service ?
La jurisprudence a dégagé plusieurs conditions pour considérer que la prestation de service est légale :
- Le contrat de prestation de service est écrit et il définit avec précision les tâches à accomplir ;
- L’activité sous-traitée implique une spécialisation ou un savoir-faire que n’ont pas les salariés du vigneron ;
- Le prestataire utilise son propre matériel pour accomplir la mission ;
- Les salariés restent sous la responsabilité et la direction du prestataire qui donne les ordres, fixe les horaires, veille à leur sécurité ;
- Le prix de la prestation est fixé en fonction de la prestation réalisée et non en fonction du nombre d’heures de travail effectuées ou de salariés mis à disposition.
Cependant, ces conditions sont appréciées distinctement et avec rigueur par l’administration du travail et les juges.
Comment est appréhendée la notion de savoir-faire spécifique dans le secteur viticole ?
Il y a quelques années, les juges ont considéré que la cueillette du raisin et l’ensemble des travaux liés à la viticulture ne relevaient d’aucune spécificité ou savoir-faire que ne détiendraient pas les viticulteurs et donc qu’une exploitation viticole ne pouvait avoir recours à une prestation de service pour de tels travaux.
Cette jurisprudence isolée a conduit l’inspection du travail à appréhender de façon différente la technicité des travaux agricoles, en particulier les vendanges manuelles, qui obéissent à des contraintes multiples, créant des inégalités territoriales injustifiées.
Cela est notamment le cas dans le Vaucluse où la réalité du terrain n’est pas prise en compte lors des contrôles, par exemple lorsque le cahier des charges d’une appellation impose la vendange et le tri à la main ce qui nécessite une main-d’œuvre qualifiée importante.
Or, lorsque les conditions de la prestation de service ne sont pas respectées, le vigneron est exposé à des sanctions qui peuvent être lourdes. Il risque de voir la relation entre les salariés et lui-même requalifiée en contrat de travail, ce qui entraîne des conséquences financières importantes : rappel des salaires, indemnités de licenciement, régularisation des cotisations sociales, etc.
Par ailleurs, le prêt de main-d’œuvre illicite peut être poursuivi pénalement.
Le vigneron a-t-il des obligations en cas de prestation de service ?
Même lorsque la prestation de service apparaît licite, il pèse sur le vigneron une obligation de vigilance. Il doit ainsi vérifier lors de la conclusion du contrat puis tous les six mois, et dès que le contrat dépasse 5 000 euros, que le prestataire est en règle avec la MSA ou l’Urssaf, via une « attestation de vigilance ». Lorsque le prestataire est étranger, les obligations du vigneron sont renforcées et il doit notamment s’assurer que les salariés étrangers sont régulièrement détachés en France et que le droit du travail français est respecté par le prestataire. En cas de non-respect de ses obligations, le vigneron encourt de nouvelles sanctions et notamment une responsabilité solidaire avec le prestataire, outre des sanctions pénales et administratives.
Les écarts d’interprétation de la loi par les DDETS (1) vont-ils cesser ?
L’écart d’application de la loi par les DDETS expose les vignerons à une insécurité qui rend une prise de position par le législateur indispensable. D’autant que les exploitations viticoles souffrent chaque année d’un manque de main-d’œuvre pour les travaux à la vigne. Rappelons que les métiers de la viticulture sont reconnus comme « caractérisés par des difficultés de recrutement » par l’arrêté du 1er mars 2024. C’est le cas cette année encore. En février 2024, des députés ont déposé une proposition de résolution invitant le gouvernement à harmoniser le régime relatif à l’emploi des prestataires de services pour les travaux viticoles exigeant une technicité particulière, mais il n’y a pas eu de suite pour l’instant.
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