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Tomate sous serre chauffée : la filière réagit à la crise énergétique

La flambée du prix de l’énergie et les incertitudes sur les approvisionnements en gaz viennent perturber le modèle de la production de tomate sous serre chauffée. Les inquiétudes sont fortes pour cet hiver et l’investissement dans les énergies renouvelables semble inéluctable.

En France, huit tomates sur dix sont produites sous serre chauffée, avec 1 129 ha de serres principalement dans le Nord-ouest, le Sud-est et le Sud-ouest. « En moyenne, la consommation en énergie d’une serre est de 300 kWh/m² », indique Eric Brajeul, directeur du centre CTIFL de Carquefou qui a organisé le 22 septembre une journée tomate-concombre axée sur l’énergie. 80 % des surfaces utilisent le gaz naturel, dont 70 % avec une cogénération qui permet de produire de l’électricité à partir du gaz tout en utilisant la chaleur des moteurs pour chauffer les serres. 12,2 % sont chauffées avec de la biomasse, 6,8 % par récupération d’énergie de procédés industriels (incinérateur d’ordures ménagères…) et 1 % au propane. La flambée du prix du gaz depuis un an et les incertitudes sur les approvisionnements en gaz ont donc de lourdes conséquences pour les serristes.

Plutôt stables depuis dix ans, entre 15 et 20 €/MWh, les prix du gaz ont commencé à s’envoler au 4e trimestre 2021 avec la reprise d’activité post-Covid. Fin 2021, ils atteignaient déjà 80 €/MWh. L’invasion de l’Ukraine par la Russie et l’arrêt progressif des exportations de gaz russe vers l’Union Européenne ont fortement aggravé la situation. Fin septembre, les prix dépassaient 100 €/MWh, après des pics à plus de 300 €/MWh. Alors qu’à 20 €/MWh, l’énergie représentait déjà un tiers des charges des serristes. Et pour les mois à venir, dans un contexte politique qui semble encore s’aggraver, l’incertitude est totale, tant sur les prix que sur la disponibilité en gaz. S’y ajoute la forte augmentation du prix de l’électricité, jusqu’ici corrélé au prix du gaz du fait de la réglementation européenne, avec comme facteur aggravant en France la mise à l’arrêt momentané d’une grande partie du parc nucléaire français. En un an, le prix de l’électricité a ainsi été multiplié par plus de dix en un an, impactant lourdement tous les serristes et plus encore ceux qui éclairent. Et tout cela dans un contexte de forte augmentation de tous les intrants depuis deux ans : main-d’œuvre, substrats, plants, engrais, emballages, matériaux de construction…

Des décalages en 2022

En 2022, des ajustements des calendriers et des modes de production ont déjà été réalisés. « Quelques producteurs ne disposant pas de cogénération ont décalé la moitié des plantations en mars au lieu de janvier », indique Christophe Rousse, président de Solarenn. « Une minorité de producteurs uniquement équipés de chaudière gaz ont décalé leurs plantations en mars, rapporte Bruno Vila, président de Rougeline et secrétaire général de Légumes de France. Et certains équipés de cogénération les ont décalées d’un mois et ont un peu moins chauffé. » « A peu près tous les producteurs ont un peu moins chauffé et la météo a été plutôt favorable, ce qui a permis de ne pas exploser les coûts de production », résume Jean-Pierre La Noë, président de Sopa et de l’AOP Tomates-Concombres de France. L’éclairage des serres a également été réduit. « 5 ha de serres de tomate sont éclairés au sein d’Océane, indique Antoine Cheminant, responsable tomate à Océane. En 2021-2022, les producteurs ont réduit les heures d’éclairage. »

 

Ces décalages et la baisse du chauffage et de l’éclairage ont fait que la production précoce a été un peu limitée. Et comme les Belges et Hollandais, encore plus impactés par la flambée du prix de l’énergie, ont aussi réduit leur production de tomate précoce en 2022, le marché s’est plutôt bien tenu ce printemps. Mais pour la saison à venir, la situation est beaucoup plus compliquée. Le prix du gaz qui change chaque jour et a encore fortement augmenté ces derniers mois, le manque de visibilité sur l’évolution des prix du gaz et de l’électricité et les incertitudes sur les approvisionnements en gaz rendent les choix des calendriers, voire la décision de planter ou de ne pas planter, très difficiles.

Peu de changements chez les cogénérateurs en 2023

Une possibilité est de décaler les plantations pour devoir moins chauffer. Chez les producteurs équipés de cogénération, qui doivent les faire fonctionner en hiver pour produire de l’électricité, les changements devraient être limités, avec au plus sans doute une à deux semaines de décalage des plantations et une baisse de l’éclairage pour les serres éclairées. « Trop décaler les plantations entraîne des problèmes de personnel et des problèmes commerciaux, souligne Jean-Pierre La Noë. De plus, si la production française arrivait trop tard, cela laisserait plus de place à la concurrence espagnole. » « Il n’y aura pas de décalages chez Savéol », indique Laurence Rault, directrice commerciale de Savéol. « Quand on a beaucoup de permanents, ce qui est le cas en général, il est très compliqué de décaler les calendriers, estime Antoine Cheminant. Et nous devons continuer à générer du chiffre d’affaires. »

« Il ne devrait pas y avoir de changement à Prince-de-Bretagne », prévoit Camille Aguer, chef produit tomate à Prince-de-Bretagne. « Les producteurs équipés de cogénération vont planter comme d’habitude, même s’ils sont incertains sur le fait qu’ils pourront faire fonctionner les cogénérations cet hiver », indique Christophe Rousse. « Nous n’observons pas pour l’instant de décalages dans les commandes, parfois seulement d’une à deux semaines », indique Hervé Bonich, chef de produit Solanacées France chez Syngenta. Les producteurs fonctionnant uniquement au gaz, sans cogénération, pourraient davantage décaler les plantations. « Les petits producteurs qui cultivent surtout des variétés anciennes qui se consomment principalement en été et avaient déjà décalé la moitié des plantations en mars en 2022, vont sans doute toutes les décaler en mars en 2023, prévoit Christophe Rousse. Plutôt que de planter en janvier, de moins chauffer, avec des problèmes de qualité et une production moindre, ils préfèrent planter en mars où ils n’ont pas besoin de chauffer. » La crainte de tous est cependant que trop de producteurs français mais aussi belges et néerlandais décalent leurs plantations à mars et arrivent en même temps sur le marché en mai-juin.

Economiser encore plus l’énergie

Depuis 15 ans, de gros efforts ont été faits par les serristes pour économiser l’énergie. « De 2007 à 2021, la consommation d’énergie pour produire 1 kg de tomate est passée de 8 kWh à 5,7 kWh », indique Ariane Grisey, du CTIFL. Et des optimisations sont encore possibles chez certains producteurs. Alors qu’un double écran thermique permet d’économiser 32 à 37 % d’énergie par rapport à une serre verre sans écran (20 à 25 % pour un simple écran), seules 10 % des surfaces en étaient équipées en 2021. Des expérimentations sont également menées sur des triples écrans. Des possibilités existent aussi avec l’isolation des parois (polycarbonate, papier bulle…), l’intégration de température, l’augmentation des capacités de stockage d’eau chaude… En 2022, des aménagements ont été réalisés, les écrans thermiques changés… pour économiser le moindre kWh. « Chez la plupart des producteurs, la plus grosse partie des économies d’énergie possibles a déjà été faite », assure Bruno Vila.

Dans l’avenir, les serres semi-fermées, qui limitent la consommation d’énergie, devraient se généraliser. Des solutions sont à l’étude aussi pour la déshumidification, responsable de 20 à 30 % de la facture énergétique des serres, avec diverses pistes permettant des économies d’énergie de 5 à 15 % (serre semi-fermée, ventilation active, brasseurs au-dessus de l’écran, déshumidification thermodynamique, roue dessicante). Une autre piste est de baisser les consignes de température. « En baissant la température de 1°C, on économise 17 à 18 % d’énergie, indique Eric Brajeul, mais avec en général une baisse de précocité, plus de problèmes sanitaires, notamment de botrytis, des difficultés pour installer les auxiliaires… et au final une baisse de production. »

L’impact pourrait toutefois varier selon les variétés. « Nos essais dans le cadre du programme Invite montrent que quand on diminue la consigne de température, même seulement de 1°C, certaines variétés s’écroulent mais d’autres gardent le même rendement », rapporte Landry Rossdeutsch, du CTIFL. « Les semenciers doivent s’attendre à ce que les producteurs baissent leur consommation de gaz et proposer des variétés peu coûteuses en énergie, faciles à travailler en jouant sur la générativité, le volume foliaire et la vigueur de plante et en y apportant des résistances aux maladies comme l’oïdium ou la cladosporiose, la baisse du chauffage sensibilisant les variétés », estime Hervé Bonich.

Investir dans le mix énergétique

 
L’investissement dans les énergies renouvelables et un mix énergétique semble inéluctable. © V. Bargain

De nouvelles organisations se développent pour réduire le coût du gaz, comme les achats groupés de gaz, les contrats d’approvisionnement sur un, deux ou trois ans. Mais pour l’avenir, les producteurs sont bien conscients qu’ils devront trouver de nouvelles solutions ne faisant plus uniquement appel au gaz naturel, voire plus du tout. Des chaudières à bois existent déjà, avec la limite de l’approvisionnement et du coût du bois et peut-être à l’avenir d’une réglementation renforcée. La récupération d’énergie fatale (incinérateurs, industrie, data centers à l’avenir) est également une solution, limitée quantitativement toutefois et lourde à mettre en œuvre. Et d’autres pistes existent avec le solaire thermique, les panneaux photovoltaïques, la géothermie, la méthanisation, la gazéification du bois, l’hydrogène. Des solutions en serre semi-fermées utilisant le solaire thermique, le photovoltaïque ou des sondes géothermiques avec pompe à chaleur ont été étudiés dans le cadre du projet Solarsorp (CTIFL/Agrithermic).

L'avenir passera par un mix énergétique

« Ces solutions permettent de réduire la consommation de gaz de 30 à 70 %, rapporte Ariane Grisey. Elles nécessitent toutefois des investissements importants, supérieurs à 1,5 M€/ha. » Un projet, Serres +, cofinancé par les Régions Bretagne et Pays de la Loire, a également été lancé en 2020 pour trois ans pour définir un système de production sous serre chauffée indépendant des énergies fossiles, en revoyant l’architecture des serres, les matériaux, la ventilation autour des plantes et par des dispositifs de capture et stockage de l’énergie pour une utilisation ultérieure. Car alors que les besoins en chauffage sont importants surtout en hiver et la nuit, le solaire par exemple fournit surtout de l’énergie en été et en journée. « L’avenir passera par un mix énergétique et le stockage de l’énergie sous forme d’eau chaude ou d’hydrogène, estime Stéphane Olivier, serriste en région nantaise. Et pour cela, nous avons besoin de financements. »

L’intégration dans des réseaux de chaleur avec les collectivités et les autres acteurs du territoire est également une piste pour utiliser des énergies renouvelables. Pour 2023, les producteurs espèrent tout de même une détente sur les prix de l’énergie et une météo clémente. Les prix d’achat du gaz proposés actuellement pouvant dépasser le chiffre d’affaires, certaines exploitations, notamment celles n’étant pas équipées de cogénération, pourraient s’arrêter. Un changement complet de modèle, avec des serres peu ou pas chauffées, ne semble par contre pas à l’ordre du jour, alors même que les particuliers sont appelés à moins chauffer les habitations, ce qui pourrait impacter l’acceptabilité des serres chauffées.

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