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Que devient Jean-Baptiste Moreau : éleveur, puis député, reconverti dans le lobbyisme

L’ex-député LREM de Creuse est retourné sur son exploitation agricole après son échec aux élections législatives l'été dernier. Mais le retour n’a pas été si simple et désireux d’avoir un nouveau défi intellectuel, Jean-Baptiste Moreau s'est décidé à travailler pour un cabinet de lobbying. Rencontre.

Jean-Baptiste Moreau, éleveur en reconversion dans le lobbyisme
Jean-Baptiste Moreau, éleveur et ex-député en reconversion dans le lobbyisme
© Nathalie Marchand

Mercredi 29 mars, Jean-Baptiste Moreau vient d’enchaîner une interview sur RTL puis une émission sur Sud Radio où il a notamment évoqué la question des « méga-bassines ». Il nous retrouve dans les bureaux parisiens du cabinet de lobbying RPP avec lequel il est désormais en contrat. L’éleveur devenu député LREM de la Creuse en 2017 nous raconte sa reconversion depuis ses derniers mois.
 

Vous avez été battu l’an dernier aux législatives, comment avez-vous vécu cette défaite ?

C’est dur évidemment ! Au début on est triste mais on sent aussi une espèce de soulagement de ne plus être en responsabilité. L’été s’est plutôt bien passé, je suis retourné sur l’exploitation pour les moissons, les vêlages, les foins…. J’étais plus apaisé, avec moins de pression et j’avais de gentils messages c’est plutôt agréable. Et puis fin août c’est devenu plus compliqué psychologiquement. Je sentais plus la même passion que j’avais pour l’élevage et intellectuellement je ressentais le besoin d’un nouveau défi.

Voir aussi : l'interview vidéo décalée de Jean-Baptiste Moreau


Le retour à la ferme a été difficile ? Pourquoi ?

Je suis très fier d’avoir repris l’exploitation familiale, de l’avoir développée, pérennisée (dans la Creuse, un élevage de limousines naisseur-engraisseur reproducteur avec 115 vaches mères et 180 hectares, ndlr) et d’avoir installé un jeune. Mais j’ai ressenti le besoin de voire autre chose. Ce n’était pas une question de salaire, contrairement à ce que certains ont dit. Effectivement pour que l’exploitation puisse fournir deux salaires, il aurait fallu agrandir - ce n’était pas infaisable mais il n’y avait pas de terrain disponible à proximité - ou alors investir dans un atelier hors-sol par exemple.

J’ai tout fait dans l’agriculture, à part ministre

Mon salarié est arrivé fin 2017, il est devenu mon associé il y a un an. Mais on n’avait jamais travaillé ensemble de façon assidue, excepté les week-ends et lors des pics de travail. C’était compliqué pour lui de se retrouver avec un co-chef d’exploitation. Ce n’était simple ni pour lui ni pour moi, on s’est vite dit qu’il fallait trouver une solution. Sachant qu’il avait envie de rester, j’ai décidé d’aller chercher du travail. J’avais besoin d’une autre motivation, toujours en lien avec l’agriculture mais j’avais besoin d’un nouveau défi. J’ai tout fait dans l’agriculture, à part ministre, ça restera toujours particulier pour moi. Mais j’ai un peu envie de voir autre chose. Ce n’est pas un renoncement. C’est un métier que l’on doit faire avec passion, je l’ai exercé avec passion pendant 16 ans, aujourd’hui je l’ai beaucoup moins.

J'ai exercé le métier d'agriculteur pendant 16 ans avec passion, aujourd'hui je l'ai beaucoup moins

J’ai fait d’autre chose avant d’être agriculteur, j’avais toujours dit même au moment de mon installation que je n’étais pas sûr d’être agriculteur toute ma carrière. J’ai repris l’exploitation parce que j’avais envie mais aussi pour mes grands-parents et mon père. Le décès de mes grands-parents en 2019 et 2020 m’a aussi permis de me détacher de cet héritage familial.


Est-ce que vous êtes encore agriculteur ?

La transmission n’est pas finie, c’est encore en cours. Le Gaec est devenu une EARL dont je vais rester associé minoritaire, mon associé n’a pas les moyens encore d’acquérir la totalité des parts. On va sûrement transformer une partie des parts sociales en compte associé pour ne pas le grever au niveau de sa trésorerie. Nous n’avons pas de conflit.
 

Qu’avez-vous fait après l’été 2022 ?

J’ai d’abord donné un coup de main à la coopérative Celmar qui avait des difficultés avec son abattoir de Montmorillon, avec un manque de volume. J’ai agi en faveur d’un rapprochement avec Carnivor (devenu T’Rhea), et la coopérative a trouvé pertinent de vendre l’abattoir à ce groupe qui avait déjà repris l’abattoir de Brive et les anciens sites d’Arcadie.

J’ai donné un coup de main à la coopérative Celmar

Le groupe a repris Covilim et a aussi pris des parts de Celmar et donc d’UFL (Union France Limousin), devenant le seul exportateur de jeunes bovins limousins vers l’Italie. Cela s’est négocié il y a quelques temps, j’ai aidé au démarrage des discussions. Je suis revenu à plein temps en octobre-novembre sur mon exploitation et j’ai cherché du travail avec des contacts très positifs. Des coopératives en Bretagne m’ont notamment proposé des postes. Mais je n’avais pas envie de quitter la Creuse où j’ai mes attaches, mes parents, ma femme et ma fille de 10 ans.
 

Comment êtes-vous arrivé au cabinet de lobbying RPP ?

Le président de la République m’avait dit en septembre qu’il comprenait mon envie de prendre du recul et qu’il m’aiderait. Mais je n’avais pas envie qu’il me donne un poste, d’attaché agricole en Ambassade notamment, sachant que je ne voulais pas quitter la Creuse. Et en sortant de l’Elysée, un jour Salomé (Chelli-Enriquez, directrice de RPP Paris) m’a contacté. J’avais travaillé avec le cabinet pour un évènement One Health avec leur gros client MSD (spécialisé dans les médicaments vétérinaires, ndlr), j’avais participé à leur livre blanc. Elle m’a dit qu’elle avait quelque chose à me proposer et c’est parti comme ça. Ce n’est pas un cabinet de lobbying à l’ancienne, on travaille sur le fond des dossiers avec une certaine éthique du travail. Je suis aujourd’hui autoentrepreneur avec un contrat avec RPP.

 

Avant de parler de votre nouveau job, peut-on revenir à votre mandat de député ? Quels ont été votre meilleur et votre pire souvenir ?

J’ai beaucoup aimé être député. Mon meilleur souvenir c’est d’avoir été rapporteur de la loi Egalim, c’est certain ! J’ai eu l’impression d’arriver à faire bouger les lignes. Comme le jour où en commission des affaires économiques j’arrive à exclure les produits agroalimentaires des négociations annuelles commerciales, et que derrière tout le monde s’affole, personne ne l’avait vu venir ! J’ai travaillé avec les autres groupes parlementaires avec des élus comme André Chassaigne et Julien Dive, j’ai énormément appris, et puis j’ai aussi travaillé avec le ministre, le cabinet du Président. Sur le glyphosate, on s’est réuni à l’Elysée avec le ministre de l’Agriculture et le président, c’est assez rare.

Si le glyphosate n’a pas été interdit c’est en partie grâce à moi

Et si la molécule n’a pas été interdite c’est en partie grâce à moi. Après les premières prises de paroles du président, j’ai essayé d’infléchir sa décision même si je militais publiquement pour l’interdiction. En réalité j’essayais de faire évoluer vers « pas d’interdiction s’il y a une impasse ».

Le pire souvenir c’est incontestablement au Sommet de l’élevage quand en 2019 on s’est fait sortir avec la commission des affaires économiques pour avoir voté pour le Ceta. C’était de l’incompréhension de la part des éleveurs, plus quelques haines recuites de responsables syndicaux datant d’avant mon mandat de député. Le Ceta, je l’ai voté en mon âme et conscience, car je savais qu’il ne représentait aucun danger pour les filières bovines. On le voit bien depuis qu’il s’applique, en 2015. L’accord a même plutôt apporté des effets positifs sur les produits laitiers français. Je savais que les Canadiens n’avaient pas pour ambition d’envahir l’Europe avec leur viande bovine.
 

J’ai vraiment regretté cette posture syndicale qui relevait plus du dogme. Alors que sur le Mercosur, contrairement à ce qui a été dit, je me suis opposé y compris face à Emmanuel Macron publiquement. Je lui ai dit qu’il se trompait que ça allait détruire les filières allaitantes. Je me rappelle : il a fait son annonce sur le Mercosur au Japon le lundi, le soir même Elisabeth Martichoux (qui a une maison dans la Creuse et que je connais) m’appelle pour me demander si je veux réagir le lendemain dans la matinale. Je suis venu et j’ai dit ce que j’en pensais. Je me suis pris une sacrée soufflante mais j’ai tenu, on a discuté avec Julien Denormandie et on l’a convaincu de venir dans notre sens. Donc oui pour revenir à ce qui s’est passé au Sommet de l’élevage, ça m’est resté coincé dans la gorge.

Vous changez de nouveau aujourd’hui de carrière pour devenir lobbyiste…

J’assume complètement ce terme, mais je dénie de faire une différence avec le métier de chargé de plaidoyer dans une ONG. C’est le même métier ! On défend et on essaie d’expliquer aux pouvoirs publics les enjeux pour nos clients d’une loi, d’une décision, ou d’un décret.
 

Quelle est votre journée type ?

Je vais rencontrer des parlementaires, des membres du gouvernement, des cabinets de ministres pour exprimer les attentes de mes clients et mettre en avant leurs avertissements sur tel ou tel type de problème. Cela se passe à Paris mais aussi à Bruxelles. Sur la question des biotechnologies végétales, on discute avec l’UFS et producteurs de semences pour voir comment pousser ce sujet à Bruxelles. Dans une journée type on va aussi préparer des notes de synthèse pour nos clients et les élus. On fait aussi de la mise en relation.
 

On vous voit encore beaucoup dans les médias…

Les médias me sollicitent encore beaucoup, sûrement parce que j’ai un style et une voix différents et comme soutien du président.

J’ai encore un contact régulier et direct avec le président de la République

 J’ai encore un contact régulier et direct avec le président de la République, je continue à échanger avec lui. Les médias ne m’invitent pas en tant que lobbyiste mais en tant que proche du président.
 

Quels dossiers allez-vous défendre ?

Je suis les dossiers agricoles, alimentaires et santé (RPP compte de gros laboratoires européens et américaines parmi ses clients). Au salon de l’agriculture par exemple j’ai organisé deux jours de visite pour les équipes de MSD, notamment avec la filière volaille. J’ai aussi des contacts dans les énergies renouvelables.
 

Les organisations professionnelles agricoles et syndicales ne font pas un assez bon boulot pour défendre les sujets agricoles auprès des députés, selon vous ?

J’ai voulu aller dans les affaires publiques car j’ai vu la façon dont elles abordent les élus. Je pense que cette méthode a été très bonne quand les élus connaissaient assez bien le monde agricole, mais aujourd’hui ce n’est plus le cas. Certains élus y compris dans les zones rurales ne connaissent plus rien du tout au monde agricole. Alors certes les professionnels apportent une parole plus vraie mais parfois trop technique. Sur certains dossiers, j’ai dû intervenir derrière car les élus n’avaient pas compris.

Les bennes de fumier devant les permanences ça avait une efficacité quand le monde agricole représentait un poids électoral élevé

Les bennes de fumier devant les permanences ça avait une efficacité quand le monde agricole représentait un poids électoral élevé. Aujourd’hui ce n’est plus le cas. Il faut sans doute aborder les politiques de façon différente, ce que les ONG font très bien avec leurs responsables de plaidoyers en reprenant à la base, et que le monde agricole n’arrive pas encore à faire à mon avis.

J’espère pouvoir aider dans ce sens-là.

J’ai de très bonnes relations avec Arnaud Rousseau (futur président de la FNSEA) depuis longtemps, on a une vraie proximité. Je connais aussi très bien Dominique Chargé (président de la Coopération agricole). Je les vois déjà régulièrement.
 

Et la politique vous la mettez juste entre parenthèse ? Vous restez proches d’Emmanuel Macron ?

Je reste conseiller municipal mais je n’ai pas de fonction officielle au sein du parti Renaissance, si ce n’est délégué de circonscription en Creuse. Au niveau national, je fais des offres de service à Renaissance et on réfléchit avec un certain nombre de personnalités à créer un cercle de réflexion autour de l’agriculture, l’aménagement du territoire et la transition écologique. Pour l’instant on a l’impression que les décisions politiques vont bien aux urbains mais du tout aux ruraux, du coup on met toute une partie de la population en résistance. Si on veut être efficace contre le réchauffement climatique, c’est tout le monde qu’il faut emmener. Il faut trouver le moyen de concilier ruralité avec les préoccupations environnementales. Je suis en contact avec François de Rugy notamment sur le sujet.

Je ne suis pas un courtisan

J’ai encore la confiance d’élus et de décideurs nationaux et il faut que j’en profite, ça ne durera pas toujours. Si je veux pousser mes sujets c’est le moment ou jamais. Je sais que le président compte encore sur moi. On échange très régulièrement, on n’est pas toujours d’accord loin de là, mais c’est ce qu’il apprécie un peu chez moi je ne suis pas un courtisan. Je le défends à chaque fois que c’est nécessaire mais je sais aussi dire quand je ne suis pas d’accord.

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