L’aval de la filière porcine bretonne relève les défis

Sur fond de baisse structurelle de la consommation de viande, le maillon de la transformation compose avec les perturbations du marché de la viande porcine. Les tensions dans le cadre des négociations commerciales avec la distribution font toujours l’actualité, malgré le déroulement des États généraux de l’alimentation (EGA) et la parution de la loi Egalim qui devait garantir plus d’équilibre dans les relations entre ces deux maillons. Les acteurs industriels réajustent donc leurs stratégies en termes de positionnement dans la chaîne alimentaire et des liens qu’ils entretiennent entre maillons, de la production à la distribution.

Investir pour plus de performances

En ce qui concerne les investissements industriels, cette année 2018 ne constitue pas un millésime exceptionnel. De gros projets d’investissement pluriannuels ont été finalisés. Ils permettent aux industriels de se doter d’outils de transformation performants, en phase avec les nouveaux marchés. C’est le cas d’Abera (investissement total de 15 M€), Kermené (40 M€), Bigard à Quimperlé et dans sa filiale Socopa viandes (montants non communiqués). À retenir aussi, la stratégie innovante du groupe Cooperl arc atlantique de constituer un véritable complexe environnemental avec notamment son méthaniseur lamballais Émeraude bio-énergie (16 M€) pour valoriser conjointement des coproduits d’abattoir et d’effluents d’élevages, ainsi que ses nouvelles installations pour améliorer son autonomie énergétique. Le groupe de distribution Intermarché renforce son arsenal industriel, à Gatine viandes (20 M€ en 2017-2020) et Josselin porc abattage (20 M€). Il va également renforcer son implantation sur le territoire régional avec, en 2019, le rassemblement de ses équipes (150 salariés) de sa branche industrielle Agromousquetaires dans un Agrohub(1) à Vitré. Suite à la fermeture de son site de Liffré début 2018, SVA Jean Rozé a transféré l’activité sur Trémorel et Vitré qui bénéficient d’investissements (5 M€). Le groupe Jean Floc’h poursuit son plan de modernisation à Moréac (25 M€) dans son abattoir et son unité de salaison, après sa conserverie à Baud (10 M€) et plus récemment l’extension de son unité de salaison Clermont à Liffré (2 M€).

Le secteur rassemble aussi beaucoup d’entreprises de taille modeste qui maintiennent une activité sur le territoire et investissent en 2018, comme l’Atelier de l’Argoat à Plélan-le-Grand en Ille-et-Vilaine (1 M€) et le Rôtisseur de Guerlédan à Mûr-de-Bretagne dans les Côtes-d’Armor (1,20 M€). A contrario, d’autres opérateurs ne résistent pas comme les Charcuteries gourmandes à Josselin, devenues une filiale du groupe sarthois Cosnelle en 2013.

Les grandes manœuvres de la charcuterie-salaison

Quant au secteur de la charcuterie-salaison en Bretagne, malmené ces dernières années par un marché en recul, il connaît une hausse des prix d’approvisionnement début 2019. L’année 2017 avait été marquée par l’arrivée sur le territoire breton d’acteurs issus d’autres régions. Le groupe charcutier isérois Popy a repris l’entreprise normande Amand Bianic qui détient notamment deux sites à Saint-Martin-des-Champs dans le Finistère et à Beignon dans le Morbihan. Tout début 2019, il renforce son implantation avec AT France à Plouay dans le Morbihan, par le biais de la reprise de sa maison mère Gilbert Lemelle à Troyes, dans l’Aube. Quant au groupe coopératif normand Agrial, il complète sa branche viande avec l’acquisition des sociétés Tallec (deux sites à Bannalec dans le Finistère) et Brient (à Antrain et Mordelles en Ille-et-Vilaine). Dans le cadre de leur réorganisation suite à leur reprise par Agrial, les sociétés Tallec et Brient bénéficient en 2018 de 3 M€ d’investissements chacune. Toutefois, le fait le plus marquant du secteur avait été le renforcement en 2017 de Cooperl arc atlantique avec la reprise des sites spécialisés en charcuterie, en France, du Groupe Financière Turenne Lafayette. Le dossier se finalise avec le rachat de la marque Jean Caby début 2019. Fin 2018 Grand saloir Saint-Nicolas reprend l’aveyronnais Breton distribution grossiste de charcuteries, salaisons et produits traiteurs en Midi-Pyrénées. L’entreprise, également localisée à Bédée (Ille-et-Vilaine), bénéficie dorénavant d’une toute nouvelle unité de charcuterie à Breteil (18 M€ d’investissement) depuis 2017.

Faire des marchés à l’export un véritable axe stratégique

Si les marchés à l’export ne représentent que 15 % des débouchés des industriels régionaux(2), ils deviennent des terrains de conquête. Certains acteurs s’y positionnent comme Cooperl arc atlantique qui construit en Chine une usine de produits de salaison dans le cadre de son partenariat avec l’opérateur local New Hope Liuhe. D’autres font le choix de renforcer leurs compétences par des acquisitions : Bigard reprend son partenaire Cipa International Food, une société spécialisée dans le négoce de viande à l’export. De son côté, Hénaff devrait bénéficier de l’expérience acquise à l’export par la société spécialisée dans les algues Globe export, qu’il a reprise en 2017. La performance de ces outils ne pourra s’exprimer que si les transformateurs parviennent à recruter une main-d’œuvre qualifiée, un défi en soi. C’est pourquoi les industriels redoublent d’efforts dans la formation (Académie Jean Rozé à Vitré) et le développement de l’attractivité de leurs métiers (marque employeur…).

Se connecter au consommateur

Pour capter davantage de volumes et de valeur sur le marché intérieur, certains acteurs développent des partenariats avec la restauration hors domicile. Bigard et Sodexo, par exemple, s’engagent conjointement dans un nouveau concept de restauration commerciale. Cooperl arc atlantique contractualise avec Passion froid de Pomona, le grossiste distributeur alimentaire pour les professionnels de la restauration hors foyer. Le groupe coopératif reprend aussi cette année Siba, un fonds de commerce de vente de viande en gros, demi-gros, triperie et viande de porc frais situé au Min de Rungis. Mais, il s’illustre plus particulièrement avec sa stratégie de rapprochement du consommateur via le développement d’enseignes dédiées aux particuliers (enseignes Aurélien, Maxiviande, Maxiviande éco) ou des magasins directement implantés à la ferme (Coop chez nous). Au service de ces ambitions, Cooperl arc atlantique finalise la construction de sa plate-forme de préparation de commandes à Plestan (25 M€). De son côté, Hénaff se lance avec l’ouverture d’une première épicerie fine sous enseigne Hénaff & Co en gare de Rennes.

Pour répondre aux attentes sociétales, l’une des voies possibles consiste à développer l’offre bio, avec notamment la reprise de la société bio Kervern par Hénaff, qui décline en parallèle son fameux pâté en version bio… Autre piste, c’est dans le cadre d’une alliance terre et mer aux couleurs bretonnes qu’Hénaff lance un partenariat industriel et commercial avec l’armement de pêche Apak. Bigard développe ses aides culinaires et Charal propose également une offre de box trimestrielle livrée à ses clients. Gammes apéritives, sans nitrite, réduites en sel et même sans viande !… SCO Monique Ranou et d’autres acteurs, parfois extérieurs au secteur comme Kokiriki du morbihannais AB Technologies, s’y essayent.