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[Interview] Adrien Montefusco, alias Luna de Kereonnec, : « les éleveurs de porcs ne sont pas assez représentés »

Adrien Montefusco est éleveur de porcs dans le Finistère. Passionné par son métier, il aime le faire découvrir et communique depuis de nombreuses années au travers de la marque Cochon de Bretagne et de l’association Agriculteurs de Bretagne. Depuis quelques années, il est également présent sur les réseaux sociaux. Il présente son élevage de 140 truies sur Facebook et Twitter au travers de Luna, née sur la ferme de Kereonnec. Aujourd’hui, il se félicite de réussir à parler de sujets sensibles de manière apaisée. Comment-y-parvient-il ? Explications du naisseur engraisseur devenu porte-parole de sa profession sur Internet.

Luna et Adrien, une complicité au service de la vulgarisation scientifique sur les réseaux sociaux.
© Compte Facebook Luna de Kereonnec

Eleveur de porcs à Saint-Yvi dans le Finistère Sud, Adrien Montefusco s’est installé en 2005 en reprenant une exploitation hors cadre familial. Dans sa famille, l’agriculture a sauté une génération. C’est la proximité de la ferme de ses grands parents quand il était enfant qui lui a donné l’envie de se diriger vers l’agriculture et un BTS production animale. Il y a 17 ans, quand il s’est lancé dans ce métier, il était sans doute loin de s’imaginer qu’il serait un jour un acteur des réseaux sociaux. « Dans la vie, je suis très timide et très réservé », confie celui qui a découvert au fil des années que cela ne l’empêchait pas de communiquer sur sa profession. « Je suis plutôt à l’aise pour parler de mon boulot » constate aujourd’hui l’agriculteur de 42 ans. Investi dans la marque Cochon de Bretagne, membre de l’association Agriculteurs de Bretagne, il gère au quotidien son élevage de 140 truies qui produit 3800 porcs par an. Il pratique aussi la vente directe et cultive 35 ha de céréales, colza et maïs. Un élevage moyen, en système conventionnel, c’est ainsi que l’on peut décrire son exploitation. Pourtant, derrière les murs des bâtiments, se cache une truie qui n’a plus rien de standard (même si Luna est une truie parmi les autres et qu’elle n’est que la représentation de l’ensemble du troupeau). Luna de Kereonnec, du nom de la ferme, est devenue une vedette sur les réseaux sociaux. Sa vie captive aujourd’hui des milliers d’internautes. Et c’est en racontant son histoire que l’éleveur a trouvé son public et diffuse des informations sur la filière porcine. Entretien avec l’auteur de cette communication efficace.

Pourquoi êtes-vous sur les réseaux sociaux ?

Adrien Montefusco – « Cela a été tout un cheminement. Il y a une vingtaine d’années que je suis rentré dans Cochons de Bretagne et c’est avec cette association que j’ai commencé à communiquer. C’était dans les années 2000. Il y avait déjà les débats sur les algues vertes, les antibiotiques… La démarche de Cochon de Bretagne était d’avoir un cahier des charges qui allait au-delà des attentes réglementaires. On voulait valoriser ce qui était en place dans les élevages mais il y avait besoin d’un gros travail en communication sur le porc standard. Je me suis rendu compte que j’étais à l’aise pour parler de mon travail et j’ai été repéré par l’association. Je présentais mon métier sur les salons agricoles, dans les grandes surfaces, dans les festivals comme le festival interceltique de Lorient… Chaque situation correspond à une façon différente d’aborder le public. J’ai suivi des sessions de formation pour apprendre ce métier à part. Et ça m’a plu de communiquer, de me retrouver en face de mes consommateurs, d’être dans une grande surface dans le rayon de la viande sous vide et d’interpeller les gens qui font leurs courses, d’instaurer une discussion entre le jambon et le fromage. Même si quelquefois, les gens ont des choses à nous reprocher et on s’en prend " plein la gueule ". Ensuite, je suis rentré dans l’association Agriculteurs de Bretagne, qui fait la promotion des métiers de l’agriculture en représentant tous les modèles : extensif, intensif, porc, lait, céréales, légumes… Fin 2017, l’association a commencé à communiquer sur les réseaux sociaux avec une page Facebook et un compte Twitter @agribretagne. Chaque semaine, il y a un agriculteur qui prend la main avec un discours qui n’a pas vocation à être trop technique. C’est comme ça qu’à l’automne 2017, j’ai fait ma 1ère communication sur les réseaux sociaux. Ca m’a bien plu mais j’étais finalement un peu frustré de ne pas en dire plus. Et c’est comme ça que j’ai lancé ma page Facebook en commençant à raconter l’histoire de Luna, une truie née sur la ferme puisque nous sommes en auto-renouvellement. J’ai voulu jouer le jeu, ne pas tricher. Luna existe vraiment et elle en est à sa 8e portée. Cela me permet d’expliquer plein de choses en étant le plus franc et le plus transparent possible. Je parle de croissance, d’alimentation, de vaccins, de la manière de sélectionner une cochette… »

 

Quelle est votre meilleure audience ?

A. M. « Sur Facebook, j’ai 2240 " amis " et sur Twitter, où je suis présent depuis 3 ans, j’ai 2850 " followers ". Et il y a des gens qui suivent la page sans être abonnés. Je n’ai pas de page institutionnelle donc je n’ai pas de stats. Je ne regarde pas trop les audiences même si le but du jeu, c’est quand même d’être vu. Sur Facebook, quand j’ai 150-200 " like ", c’est un post qui marche bien. Sur Twitter, certains posts font 40 à 50 000 vues. C’est difficile à prévoir. Quelquefois quant on écrit un texte, on se dit que ça va bien marcher et on fait un flop. Et quelquefois un message posté rapidement cartonne. Il faut être là au bon moment et être relayé par un grand compte, ça aide. »

Y-a-t-il un post dont vous êtes vraiment fier ?

A. M. « Non, pas particulièrement. Ce que j’estime être une belle réussite, c’est d’avoir pu parler de sujets comme la coupe des queues, la castration. Je suis très content de pouvoir aborder ces questions un peu " touchy " et de pouvoir passer des messages sans rentrer dans les débats qui tournent autour de " manger des animaux, bien ou mal ? " ».

 

Votre démarche de communication sur les réseaux est-elle personnelle ou collective ?

A. M. « Je parle de moi mais mon intention est collective. Il y a des retombées personnelles pour l’exploitation mais je communique pour l’ensemble de la profession. Sur Twitter, on a un groupe de discussion et il faut faire attention à ne pas mettre la profession en porte à faux. 40 % des personnes qui me suivent sur Facebook sont éleveurs ou proches de la profession. Je considère qu’on n’est pas juste là pour donner des infos mais aussi pour permettre des évolutions. Il faut être poreux et savoir se remettre en question. Je veux changer un peu le regard du public sur l’éleveur qui ne prendrait pas assez soin de ses animaux. »

« Ce que j’estime être une belle réussite, c’est d’avoir pu parler de sujets comme la coupe des queues, la castration. »

Avez-vous déjà subi un bad buzz ?

A. M. « On en a forcément. Celui qui m’a le plus choqué, c’est celui qui a suivi un post sur le suicide des agriculteurs. Le lendemain du message, une personne me disait que " vu le mal que je fais aux animaux… ". Ca m’avait pas mal bousculé. Mais c’est purement idéologique. Quand les " anti " débarquent, ils ramènent une meute et ils ne cherchent pas à discuter. A l’époque, j’avais envoyé un message privé à une personne qui avait fini par s’excuser. Aujourd’hui, je ne réagis plus tout à fait de la même manière avec ces gens-là. Tant que la discussion est positive, je veux bien échanger. Si ce sont simplement des invectives, je bloque. Il faut penser aux autres lecteurs et ne pas embarquer tout notre lectorat dans ce genre de discussion. J’ai même dû bloquer des agriculteurs quelquefois parce qu’ils remettaient de l’huile sur le feu. Aujourd’hui, je suis plus habile, j’ai amélioré ma façon de communiquer. Je suis le plus factuel possible. Je donne des faits indiscutables et je ne laisse pas de place aux doutes. En étant le plus précis possible, il n’y a pas d’arguments pour démonter ce qui est dit. »

Y-a-t-il un post que vous regrettez ?

A. M. « Non. Je pense que j’assume tout ce que je dis. »

« J’ai amélioré ma façon de communiquer. Aujourd’hui, je suis plus habile. »

Qu’est-ce qui vous énerve sur les réseaux sociaux ?

A. M. « En période de campagne électorale en particulier, ce qui m’énerve c’est de voir beaucoup de clichés, de raccourcis, sur l’élevage en particulier. Quand on passe du temps à essayer d’expliquer aux gens, c’est un peu déprimant. Mais il faut répéter, répéter, répéter. C’est usant. Une fois, j’ai discuté au téléphone avec Cédric Villany de l’élevage en plein air et du bien-être animal. Il était dans son idéologie, dans ses croyances un peu utopiques. Il faudrait trouver des passerelles entre le conventionnel et le plein air. Il y a un fossé énorme à combler. Il y a beaucoup de candidats qui se disent contre l’élevage intensif et industriel mais personne n’est capable de dire où ça commence, sauf Mélenchon qui a fixé la barre à 150 truies. Je suis en dessous du seuil mais pour moi, il n’y a pas de différence entre mon élevage et un élevage à 250 ou 500 truies. Il y a aussi des clichés sur le soja importé. En porc, il ne représente que 5 % de l’alimentation des animaux. Le reste, ce sont des céréales, en grande partie françaises. Ca sert les mouvements des candidats de diffuser ces clichés. Nous écouter ne les intéresse pas mais on se bat pour apporter une autre vérité. » 

 

Avez-vous des exemples que vous suivez ?

A. M. « Non pas vraiment. Il y a des comptes que j’aime particulièrement comme @AgriSkippy, @Jolies rousses, @agrikol, @Agritof80…  Il y a plein de comptes intéressants mais je n’arrive pas à les suivre tous. J’essaie plutôt de créer de nouveaux modèles. Comme par exemple le #BAbaducochon que j’anime avec Céline Tallet, une chercheuse de l’Inra en Bretagne. On parle de tout ce qui a trait au cochon : les races, les vocalises, les comportements, les cousins sangliers… Normalement, on publie tous les 15 j. On a fait une pause depuis le mois de janvier mais on va revenir. »

Combien de temps passez-vous sur les réseaux sociaux ?

A. M. « C’est difficile à chiffrer. On a toujours un peu le téléphone dans la main. Sur Twitter, je fonctionne plutôt au fil de la journée. J’envoie des photos ou des petits films. C’est très instinctif. Sur Facebook, je fais des textes assez longs, ça prend plus de temps. Globalement, je suis sur les réseaux quand je travaille. Ca ne m’empêche pas de travailler, ça fait partie de mon boulot. »

« Je conseille de ne pas " se prendre la tête " avec les " anti-tout ". »

Quels conseils donneriez-vous à un agriculteur qui veut se lancer ?

A. M. « D’y aller, c’est sûr ! Les agriculteurs ne sont pas assez nombreux sur les réseaux sociaux et les éleveurs de porcs ne sont pas assez représentés par rapport aux autres productions. Je conseille aussi de ne pas " se prendre la tête " avec les " anti-tout ". Personnellement, je ne suis plus embêté parce que je ne vais plus les chercher. Il ne faut pas être dans la réponse, il faut savoir ce qu’on a envie de dire, prendre ses repères et y aller tranquillement. Sur Twitter, il faut commencer par observer les sympathisants et les comptes d’autres agriculteurs. Quand on subit des attaques, c’est un coup au moral, c’est bien d’avoir quelques personnes à qui se confier, avec qui échanger. C’est l’intérêt aussi de l’association FranceAgriTwittos dont je suis membre. Je conseille aussi d’y aller avec bienveillance pour avoir de la bienveillance en retour, d’être ouvert et à l’écoute. Il m’arrive de discuter avec des vegans et des anti-élevage. On peut se respecter même si on a des convictions différentes. Il faut avoir des discussions apaisées. »

 

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