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Les chèvres de la mer Égée

Parmi les 1 000 à 2 000 îles répertoriées en Grèce, seules 200 sont habitées de façon permanente. Pourtant, un animal domestique est partout présent : les chèvres donnent vie au moindre îlot.

Avant l’irruption du tourisme, les sociétés traditionnelles des îles grecques étaient constituées de paysans, pasteurs et pêcheurs. La plus grande partie des terres de la mer Égée est constituée d’une végétation très pauvre faite de broussaille gazonnante épineuse et de rocailles, le « phrygana ». Sans pluie pendant cinq mois, les îles sont battues par les vents. L’hiver est assez humide, permettant à une végétation herbacée de se développer pendant quelques mois. La chèvre s’est donc imposée très tôt comme le seul animal adapté à ces conditions extrêmes.

Un élevage allaitant avec une traite limitée

La production de chevreaux pour la consommation humaine est dominante dans les îles. La traite est limitée à quelques semaines, en fin d’hiver et au début du printemps, lorsque la végétation herbacée est présente.

L’apport d’eau est bien sûr une préoccupation majeure. Au-delà des réservoirs traditionnels par recueil des eaux de pluie en hiver et de quelques puits, le développement des réseaux a permis de sécuriser l’eau pour certains troupeaux proches des zones d’habitation. Mais elle reste une denrée rare et précieuse, apportée par bateau, ou désalinisée comme à Santorin.

Transhumance et alimentation sur parcours

L’été, les troupeaux sont nourris principalement sur parcours, et peuvent être complémentés en paille pour certains d’entre eux ou encore par des feuillages d’arbres, d’ailante notamment.

Les troupeaux sont souvent allotés et déplacés sur les parcours. Ils sont transportés sur d’autres îlots en pratiquant une transhumance maritime. L’alimentation peut y être alors exclusivement ligneuse et à base de plantes épineuses : euphorbe hérisson, pimprenelle épineuse, carline en corymbe, mais aussi le thym à tête.

Pour les animaux les plus exigeants, chèvres allaitantes, traites, et chevrettes, un peu de grain ou d’aliment est distribué.

Des abris contre les fortes pluies hivernales

Les abris pour les animaux sont le plus souvent très sommaires, à base de récupération de tôles, de claies, avec quelques râteliers pour distribuer de la paille ou des céréales. Ces abris sont souvent adossés à des rochers, à l’abri des vents dominants, et fermés pour pouvoir s’occuper des animaux. Ils peuvent s’y abriter durant les journées de fortes pluies hivernales. Les abris traditionnels, en pierre, avec des toits en végétaux, sont moins fréquents. Les clôtures traditionnelles sont constituées de murets en pierre, surmontés de branchages épineux transversaux pour empêcher le passage des chèvres. Mais ces murets disparaissent au profit de « grillages à béton », un matériau aujourd’hui partout visible et qui s’est imposé sur toutes les îles habitées par l’homme.

Diversité des races

Qu’il s’agisse de la couleur de la robe, de la longueur des poils, de la forme ou longueur des cornes, la diversité est totale, il n’y a aucun type dominant. Le mixage racial, au départ lié au déplacement d’île en île, est aujourd’hui amplifié par les facilités de transport, et on a vu arriver des alpines, par exemple, dans certains troupeaux. Pour quelques troupeaux d’une cinquantaine de bêtes aperçus, la plupart des troupes semblent se limiter à 15 ou 20 chèvres, c’est-à-dire pour pourvoir principalement aux besoins alimentaires des familles.

Une place à construire dans le monde de demain

Les sociétés pastorales traditionnelles sont aujourd’hui fragilisées par l’irruption d’un tourisme de masse, et une pression foncière sur des terres hier sans valeur. Les pasteurs et agriculteurs sont parfois devenus restaurateurs ou loueurs d’appartement, sans abandonner l’activité traditionnelle, au risque de creuser des écarts avec ceux qui n’ont pas accès à cette diversification.

La présence d’un animal aussi « gourmand » ne va pas sans conflits de voisinage, en particulier avec l’agriculture fruitière ou le maraîchage. Les signes de surpâturage, de dégradation de la végétation sur certains parcours sont parfois visibles et bien réels, et les défenseurs de l’environnement souhaitent limiter l’impact des troupeaux, en particulier sur certaines îles protégées.

En dépit de ces limites, ces éléments illustrent néanmoins la vitalité de l’activité d’élevage des chèvres sur ces îles, d’entretien d’une diversité de races et de types raciaux adaptés à des contraintes très fortes.

Une journée avec un fromager fermier grec

Michel Xarinos élève 200 chèvres laitières et fabrique des fromages traditionnels sur l’île de Léros.

Avec un troupeau de 200 chèvres laitières, Michel Xarinos vend ses fromages sur l'île de Léros, mais aussi sur une île « voisine », à 5 h 30 de bateau !
Avec un troupeau de 200 chèvres laitières, Michel Xarinos vend ses fromages sur l'île de Léros, mais aussi sur une île « voisine », à 5 h 30 de bateau ! © J.-M. Arranz
Il est 6 h 30, le soleil se lève, les chèvres reviennent paisiblement du parcours sur l’île de Léros dans le Dodécanèse. Ici l’histoire de la civilisation grecque est omniprésente : les chèvres peuvent s’abriter à l’ombre des ruines d’un temple dédié à Artémis, la déesse de la nature et de la chasse.

Michel Xirinos, éleveur sur l’île, et un berger rassemblent le troupeau de chèvres et se préparent pour la traite. Nous sommes début juin, et en dépit de l’aridité du parcours, les chèvres sont encore en lactation. Comme tous les matins, 200 chèvres à traire, pour une production de 200 litres environ. La traite est ici traditionnelle, comme cela se faisait dans la majorité des pays méditerranéens, les deux trayeurs, côte à côte, à califourchon sur les chèvres, courbés vers la mamelle, le dos à l’horizontal.

Féta et fromages type haloumi et ricotta grecque sont fabriqués ici

Un second employé nettoie les abords, s’occupe des jeunes chèvres qui reçoivent un peu de foin de luzerne, remplit les abreuvoirs. Il est près de midi, quand est allumé le feu sous le chaudron fixe, muni d’un tuyau de vidange du petit-lait. Le local de fabrication est assez sommaire, mais fonctionnel. La première fabrication est consacrée à la féta, qui sera ensuite préparée avec des herbes et un peu d’huile, conditionnée en pots de verre pour la vente. Le petit lait est ensuite chauffé à 95 °C pour les fromages de lactosérum, un type « haloumi » et une « ricotta grecque ».

La traite est ici traditionnelle : les deux trayeurs, côte à côte, à califourchon sur les chèvres, courbés vers la mamelle, le dos à l’horizontal. 3 heures de traite pour 200 litres de lait.
La traite est ici traditionnelle : les deux trayeurs, côte à côte, à califourchon sur les chèvres, courbés vers la mamelle, le dos à l’horizontal. 3 heures de traite pour 200 litres de lait. © J.-M. Arranz

Le caillé se présente comme un « greuil » ou une « brousse », à la surface du chaudron. Michel plonge les moules dans le caillé bouillant à la main. L’égouttage va durer quelques heures. Sitôt le caillé récupéré, le petit-lait, encore brûlant, est vidangé et envoyé vers les abreuvoirs en contrebas. De l’eau froide est ajoutée et les chèvres viennent s’abreuver au petit-lait rafraîchi.

5 h 30 de traversée pour commercialiser les fromages

La fourgonnette réfrigérée transporte les fromages dans les saloirs de Lakki, à 10 kilomètres, là ou vit Michel. Ce sont des centaines de fromages qui doivent être commercialisés rapidement. La population de Léros (10 000 habitants) n’y suffit pas, Michel prendra le ferry vers minuit avec la camionnette pour aller vendre au petit matin à Rhodes (5 h 30 de traversée), une île avec une population de 120 000 habitants en hiver, livrer aux magasins, marchés, restaurateurs, trois ou quatre produits différents vendus autour de 10 euros le kilo. Sous la marque « Katsikas », les produits de Michel sont réputés, l’étiquette met en avant son grand-père.

Les chèvres repartiront sur le parcours en milieu d’après-midi, la température n’est pas encore caniculaire en ce début juin.

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