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Un gros défi sanitaire pour les AOP au lait cru

Face à la pression sanitaire, l’un des grands enjeux pour les AOP est de maintenir le lait cru, créateur de richesse dans beaucoup de régions. En particulier dans les Savoie qui ont mis en place tout un dispositif pour sécuriser les producteurs et les filières lait cru.

Même si toutes les AOP ne sont pas au lait cru, la majorité le sont : les trois quarts des fromages sous AOP et deux tiers des fromages sous IGP. Cela suffit à en faire « un marqueur identitaire. C’est une mention connue et reconnue des consommateurs », souligne Michel Lacoste, président du Cnaol. Derrière le lait cru se cache une promesse de goût et de typicité, de lien au terroir. Il est créateur de valeur, de différenciation sur les marchés.

Ces bénéfices économiques, territoriaux et organoleptiques, les fromages au lait cru les doivent au développement d’une microflore variée. Une diversité microbienne qui a aussi un rôle bénéfique sur notre santé, comme l’a montré un colloque sur « les bénéfices et risques du lait cru » organisé en janvier 2020 (voir Réussir Lait, n°344, mars 2020, p. 6). Certaines études semblent en effet montrer que le lait cru freine le développement des allergies et autres maladies de la modernité comme le diabète. D'après Christophe Chassard, directeur Inrae de recherche sur le fromage, « avec les connaissances accumulées sur le microbiote intestinal ces dernières années, il y a un vrai basculement du regard sur les fromages au lait cru ».

L’enjeu aujourd’hui est d’arriver à maîtriser le risque sanitaire tout en préservant cette diversité microbienne. Le tout à un coût qui reste acceptable. Les années 2018 et 2019 ont été particulièrement compliquées pour les fromages à pâtes molles et à pates pressées non cuites au lait cru, les plus sensibles. Les alertes pour causes de salmonelles, Listeria mais surtout de Stec s’étaient multipliées entrainant de nombreux rappels et retraits de fromages, et mettant en danger les filières.

Pass’ lait cru, une démarche de prévention des Savoie

Relever ce défi sanitaire est particulièrement important dans les Savoie où les fromages AOP-IGP sont tous fabriqués au lait cru (avec une possibilité de chauffage en dessous de 45°C pour la raclette et la tomme de Savoie). Il l’est d’autant plus que la très grande majorité du lait produit dans la région est transformée en fromages (36 000 tonnes par an). Dès les années 1990, des programmes basés sur des analyses de surveillance des laits et des interventions dans les élevages en cas de problèmes ont été mis en place contre les staphylocoques, les Listeria, puis les salmonelles. Ces programmes sont financés par les coopératives laitières et pilotés de manière collective par la Fédération des coopératives laitières (FDCL), les ODG, le Syndicat des fromagers, le GDS, les vétérinaires (GTV), les contrôles laitiers, etc.

Depuis 2016, une démarche de prévention du risque sanitaire, le Pass' lait cru, certifie la qualité des laits savoyards livrés. L’objectif est de sécuriser les élevages et la filière. Le système de certification repose sur une visite de diagnostic réalisée tous les 18 mois par le vétérinaire ou le contrôle laitier. Une grille de 14 objectifs, considérés comme le prérequis pour maîtriser l’ensemble des bactéries pathogènes, a été établie : 9 points sont obligatoires et qualifiants, et 5 points sont conseillés. Si l’élevage a des objectifs non atteints, un technicien intervient pour une phase de conseil et aider à la mise en place des mesures correctives, dans un délai imparti et avec une contre-visite. En cas de non-conformité, le lait sort de la filière lait cru et part dans la tournée des laits non qualifiés (TNQ) pasteurisés.

Par ailleurs un système de mutualisation permet, pour le lait qui part en TNQ pour raison sanitaire suite à une analyse défavorable, de garantir une indemnisation (il ne concerne pas les producteurs qui n’ont pas la qualification lait cru dans le cadre de Pass’ lait cru). Il compense une grande partie de la différence entre le prix auquel le producteur aurait été payé en filière lait cru et le prix de dégagement (spott), de façon à limiter l'écart à 40 €/1 000 l.  

Un plan de surveillance des Stec en filière reblochon

En filière reblochon (16 600 tonnes dont 3 000 tonnes en fermier), « les problèmes dus au staphylocoque ont quasiment disparu. Les salmonelles restent une préoccupation surtout en alpage à cause de l’eau contaminée entre autres par la faune sauvage. Le gros défi à relever aujourd’hui est la maîtrise des Stec », affirme Bruno Mathieu, responsable maîtrise sanitaire du Syndicat interprofessionnel du reblochon (SIR). Les Stec sont des bactéries de la famille Escherichia coli naturellement présentes dans le tube digestif des vaches. Elles sont inoffensives pour les vaches et passent complètement inaperçues dans les élevages, mais peuvent être très dangereuses pour les personnes fragiles. Les shigatoxines qu’elles produisent peuvent attaquer les reins des personnes à risques en provoquant un syndrome hémolytique urémique (SHU).

La filière reblochon a donc décidé de mettre en place un plan de surveillance et d’intervention pour la maitrise des Stec auprès de tous les producteurs livreurs et fermiers et de l’ensemble des fromagers. Concernant les 500 éleveurs livreurs de la filière, ce plan repose sur une analyse de chaque lot de fromages chez le transformateur et sur une collecte obligatoire des filtres de machines à traire à chaque passage du laitier. Ceci depuis le premier trimestre 2019. Avec cette échantillothèque de filtres, l’objectif est de pouvoir remonter rapidement aux élevages en cas de contamination d’un lot de fromages (les 123 producteurs fermiers ne sont donc pas concernés). « Le problème est qu’on a très peu de chance de retrouver des Stec quand on analyse un lait de cuve ou même de citerne, à cause du phénomène de dilution. Il suffit de moins de dix Stec par gramme de fromage pour provoquer un SHU. Autant dire qu’on cherche une aiguille dans une botte de foin, explique Bruno Mathieu. La seule solution en cas de suspicion est d’analyser les filtres qui concentrent les bactéries par rétention des poils, débris végétaux, paille… sur lesquels sont fixées les bactéries. »

 

 

 

Remonter à l’exploitation pour intervenir vite

L’analyse sur les fromages demande 8 à 10 jours, avec un premier résultat intermédiaire au bout de 48 heures. « Si ce premier résultat est négatif, les filtres sont jetés. S’il est positif, l’analyse des filtres est lancée sans attendre le résultat complet. Et on intervient immédiatement chez le(s) producteur(s)identifié(s) », insiste Bruno Mathieu. Un diagnostic avec une série de prélèvements (sur l’eau, l’aliment, les bouses, les lavettes…) est réalisé pour identifier l’origine de la contamination. Et le lait part dans la tournée pasteurisée TNQ. L’investigation se poursuit même si le résultat sur les fromages s’avère finalement négatif : le technicien revient dix jours plus tard avec les résultats des prélèvements et vérifie que les préconisations sont appliquées. Le lait ne peut repartir dans la tournée lait cru que lorsque les filtres sont négatifs pendant dix jours.

« Le filtre a l’inconvénient de trop amplifier le signal d’alerte, reconnaît-il. Mais il permet généralement de retrouver le producteur. L’idée n’est pas de sanctionner mais de mettre rapidement en place des mesures correctives. Personne n’est à l’abri. L’excrétion et la présence de ces pathogènes sont très aléatoires et ne sont pas forcément corrélées à la pression hygiénique dans l’exploitation. » Ce dispositif expérimental coûte 500 000 euros par an (hors coût d’écart de lait et de destruction des fromages), avec un soutien financier départemental et régional pour son lancement, le reste étant assuré par la filière. Il sera reconduit en 2021.

La crise de 2018 amène à se poser des questions. Y-a-t-il plus de Stec qu’avant ? On ne sait pas, mais une chose est sûre, le réseau de surveillance (des malades, au niveau de la distribution) se renforce d’année en année. Plus généralement, le fait d’être de plus en plus « propre » n’ouvre-t-il pas la possibilité à des écosystèmes dangereux de s’installer ? La question a été soulevée lors du colloque lait cru de janvier 2020. La méthode Floracq développée en Auvergne montre qu’il est possible de mettre en place des pratiques préservant la flore endogène utile sans pour autant perdre la maîtrise sur la flore pathogène (utilisation de laine de bois pour le nettoyage des mamelles, de paille dans la litière…). Jusqu’à présent les modalités de paiement à la qualité du lait ont incité les producteurs à développer des procédés d’éradication des germes pathogènes qui éradiquent aussi les bons germes. « On peut se demander si, au niveau du paiement à la qualité, on ne devrait pas favoriser les méthodes électives permettant l’installation de bonnes flores. »

Une contamination du lait pendant la traite

° Quatre genres de bactéries sont considérées comme pathogènes majeurs dans le lait cru car elles entraînent des toxi-infections alimentaires parfois mortelles : toutes les espèces de salmonelles, les Listeria monocytogenes (Lm), les Escherichia coli producteurs de shigatoxines hautement pathogènes ou Stec HP (au nombre de 5) et les staphylocoques dorés produisant des toxines thermorésistantes.
° Les salmonelles et les Stec sont des pathogènes de déjection. Les Listeria sont des germes de terre. La contamination de la vache se fait par ingestion. La première cause est l’ingestion d’une eau d’abreuvement ou d’un aliment souillés. « Très souvent, la vache devient porteur sain avec une excrétion intermittente et recontamine l’environnement », a souligné Philippe Pottié, vétérinaire, lors des journées GTV. On peut aussi retrouver ces pathogènes sur les trayons suite à un couchage sur une zone contaminée.
° Les staphylocoques dorés vivent sur les animaux, sur les zones à peau glabre (mamelle, muqueuse nasale, mais aussi mains des trayeurs). La contamination est favorisée par un contact des staphylocoques sur des zones abîmées (plaies, gerçures).
° À 90 %, c’est par le lait que les fromages sont contaminés. « Dans 95 % des cas, la contamination du lait se fait pendant la traite, et non par l’excrétion de la vache. » L’hygiène de traite est donc impérative. Mais la gestion des risques en amont et en aval de la traite aussi : propreté des animaux, du DAC, du robot, de la table d’alimentation, du bâtiment, du stockage du lait, application du principe de marche en avant pour la transformation.

Définition

Fromage au lait cru : fromage fabriqué avec du lait n’ayant pas été chauffé à plus de 40°C ni soumis à effet non thermique à effet équivalent, notamment du point de vue de la concentration en microorganismes.

Chiffres clés

76,3 % des fromages sous AOP sont au lait cru
28 des 46 fromages AOP, dont 12 au lait de vache, sont exclusivement au lait cru
45 des 46 fromages AOP ont une gamme au lait cru
154 000 t de fromages au lait cru sous AOP
100 % des fromages fermiers sous AOP sont au lait cru
10 % des fromages consommés en France sont au lait cru, contre 34 % en Italie et 70 % en Suisse
 

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