« Nous voulons produire le plus de lait possible avec 100 vaches maximum, dans l’Allier »
Au Gaec des Guillemins dans l’Allier, les deux associés cherchent à augmenter la productivité par vache en maintenant le troupeau à effectif constant. Ils optimisent l’existant, sans investissements démesurés, tout en rationalisant le travail.
Au Gaec des Guillemins dans l’Allier, les deux associés cherchent à augmenter la productivité par vache en maintenant le troupeau à effectif constant. Ils optimisent l’existant, sans investissements démesurés, tout en rationalisant le travail.



« Nous ne sommes vraiment pas dans un département laitier, mais notre motivation est intacte », lâchent d’emblée François et Simon Bouvier, installés respectivement depuis 15 et 10 ans et fiers d’incarner la troisième génération de leur famille sur l’exploitation. « Produire 25 litres par vache ne nous intéresse pas, poursuit François, l’œil vif et déterminé. Nous voulons des vaches productives tout en restant le plus performant possible économiquement. »
C’est cet objectif qui mène les deux frères. Tout comme les projets qu’ils concrétisent et qui vont bientôt leur permettre de rationaliser le travail, en particulier les deux nouveaux bâtiments en cours de finition. Une nouvelle stabulation flambant neuve va accueillir les veaux, les génisses et les vaches taries cet hiver, et un bâtiment équipé de panneaux photovoltaïques assurera le stockage du foin et la paille. « Cela va nous faire gagner beaucoup de temps de rapatrier tous les animaux et le fourrage sur le site principal de l’exploitation », apprécie Simon. Jusqu’à présent, les génisses de 6 à 14 mois ainsi que leur fourrage se trouvaient à 8 km de là dans des bâtiments peu fonctionnels et les éleveurs passaient beaucoup de temps sur la route.
Fiche élevage
3 UMO
219 ha de SAU dont 127 de prairies, 51 de maïs ensilage, 15 de blé et 26 de triticale
1 104 000 l de lait produit
101 vaches à 10 900 l
18 bœufs prim’Holstein
1,19 UGB/ha
Maîtriser les risques sanitaires
Aujourd’hui le Gaec produit 1,1 million de litres de lait avec une centaine de vaches, et vise de livrer progressivement 100 000 à 150 000 litres de lait supplémentaires, en augmentant la production par vache. « Par contre, hors de question d’augmenter les effectifs, indique François. Cela générerait du boulot en plus sans garantie d’une meilleure rémunération au bout, estime-t-il. De plus, l’aire paillée offre 7,5 m2 de couchage par vache, ce qui est pour nous un bon compromis pour contrôler les risques sanitaires. »

Les éleveurs savent de quoi ils parlent, car ils ont connu des problèmes de mammites par le passé. La situation s’est améliorée depuis deux ans et le nombre d’infections mammaires se limite désormais à une quinzaine par an. « L’ouverture d’une partie du bardage et de la faîtière a contribué à assainir l’ambiance, ainsi que le curage plus fréquent de l’aire paillée, tous les 10 jours au lieu de trois à quatre semaines auparavant », témoigne Simon qui espère aussi que la récente mise en place de l’automatisation de la désinfection des faisceaux trayeurs entre chaque vache se montrera bénéfique.
Plusieurs leviers pour augmenter la production par vache
Robotiser la traite aurait pu paraître une solution alléchante pour gagner en productivité sur l’élevage, d’autant que la main-d’œuvre a diminué avec le départ en retraite de Pierre, le père de François et Simon, fin 2024. Mais ce n’est pas l’option qui a été retenue. « Étant donné le peu de dynamisme laitier sur notre secteur, tous les acteurs du marché des robots de traite ne sont pas présents localement et nous craignions que le service ne soit pas à la hauteur de nos attentes », justifient les deux frères.

Alors pour viser 12 000 litres de lait par vache, comment comptent-ils s’y prendre ? « Une ration de qualité et surtout des fourrages de premier choix, c’est la clé », avance François. Le stade de récolte de l’ensilage d’herbe a été avancé. Celui qui est distribué en ce moment, à 31 % MS, ressort avec 18,5 % MAT et 1,05 UFL/kg. « Nous faisons fi de la quantité, c’est la qualité qui compte. » Cette année, la première coupe a été ensilée le 7 avril, la deuxième mi-mai, et la troisième enrubannée le 10 juillet. « Nous insistons vraiment sur la finesse de coupe auprès de l’ETA, entre 18 et 30 mm. Plus ça va, plus nous coupons court. Nous contrôlons la première benne, et nous n’hésitons pas à demander des ajustements au chauffeur jusqu’à ce que cela nous convienne. »
Vigilance sur la finesse de coupe et le tassage
Pour le maïs ensilage, le Gaec vise une finesse de hachage entre 8 et 12 mm. « Cela ne coûte pas plus cher, mais il y a une grosse plus-value derrière. » Selon les années, les exploitants relèvent la barre de coupe pour concentrer le fourrage en énergie. Les rendements tournent autour de 10-12 tMS/ha en moyenne. Le Gaec évite par ailleurs de cultiver des dérobées, car elles assèchent trop le sol. « Nous optons pour des variétés dotées d’indices moins précoces, autour de 340, et plus riches en amidon digestible. »
Autre point sur lequel les éleveurs ne plaisantent pas : le tassage. « C’est nous qui assurons cette tâche et s’il faut faire ralentir le chantier, on le fait ralentir », insiste Simon. Le Gaec préfère réaliser un premier petit silo taupinière qui tient deux mois et un gros qui n’est généralement ouvert qu’en janvier, une fois que le fourrage a gagné en digestibilité.
Une ration semi-complète assez élaborée
Dans la ration, les associés ne lésinent pas non plus sur la qualité des concentrés. « Nous privilégions des matières premières nobles telles que le tourteau de soja, de colza, de tournesol », détaille François. Le complément azoté des laitières présente quatre sources de protéines différentes et le CMV est formulé à la carte en fonction de la qualité des fourrages.
La ration semi-complète des laitières se compose de 3,5 kg MS d’ensilage d’herbe, 9,5 kg MS d’ensilage de maïs, 1,2 kg MS de maïs épi, 0,4 kg de paille, 3,9 kg de correcteur azoté à 45 % de MAT, 2,3 kg de triticale aplati, 430 g de CMV, 300 g de matière grasse protégée. Les quatre premiers mois de lactation, une VL 4 litres est distribuée au cornadis. « Nous montons jusqu’à 4 kg pour les plus fortes productrices. Nous y voyons vraiment un effet positif sur la reprise d’état des vaches. »
Un pâturage limité mais qui a du bon
Au pâturage également, les éleveurs souhaitent que les vaches produisent le plus possible. À l’herbe, elles reçoivent minimum 65 % de la ration distribuée. « En général, la production baisse de 3 litres par vache au pâturage, mais nous préférons quand même qu’elles sortent pour profiter des bienfaits du pâturage sur la santé, sur l’économie de correcteur et pour alléger aussi le travail. » Avec 15 hectares, le pâturage reste limité avec 5 hectares ombragés le jour et 10 hectares sans arbres ni haies la nuit. « Ici, il n’est pas facile de pâturer longtemps dans la saison », considèrent les éleveurs, conscients néanmoins qu’il serait possible de valoriser davantage le pâturage en gérant l’avancement au fil avant.

En termes de conduite de troupeau, les éleveurs tablent aussi sur une vraie préparation au vêlage. « Ce levier favorise les démarrages en lactation », observe François en précisant que les multipares démarrent autour de 45-48 kg en moyenne. Les trois semaines précédant le vêlage, elles reçoivent 3 kg de paille, 7 kg MS de maïs ensilage, 3 kg d’un aliment spécifique vaches taries incluant un CMV à Baca négative. « Nous nous rendons compte que plus nous coupons la paille, plus les vaches ingèrent. Nous préparons la ration pour deux jours. »
Des marges de progrès possible sur les génisses
L’idée est de procéder de la même façon avec les génisses une fois qu’elles seront élevées sur le siège de l’exploitation, dans un bâtiment adapté au passage de la mélangeuse. « Nous voulons revoir leur conduite alimentaire pour améliorer leur capacité d’ingestion, leur donner davantage de coffre », indique Simon. En plus de la paille broyée, elles recevront une ration mélangée adaptée, alors qu’aujourd’hui elles sont nourries à base de paille et d’aliments pour une question de facilité.

« Dès cet hiver, nous allons pouvoir travailler différemment et obtenir de meilleures croissances », se réjouissent les éleveurs.
En parallèle de l’alimentation, tout un travail est mené au niveau génétique en vue d’améliorer la productivité animale. « Nous travaillons avec Bovec depuis un an et investissons davantage dans les paillettes. Nous priorisons l’index lait et la morphologie pour favoriser la capacité d’ingestion. » Et désormais, les éleveurs se limitent à quatre taureaux plutôt qu’à une dizaine pour rechercher une certaine homogénéité de troupeau. Définitivement, François et Simon se disent confiants en l’avenir, avec un troupeau qui monte en puissance doucement.
Résultats économiques du 01/04/2024 au 31/03/2025 | |||
Produits | 743 185 | Charges | 501 275 |
Recette lait | 515 847 | Charges opérationnelles | 311 543 |
Vente d’animaux | 52 477 | dont concentrés | 190 617 |
dont vaches de réforme | 44 295 | frais d’élevage | 20 962 |
génisses finies | 4 732 | frais vétérinaires | 10 043 |
veaux mâles | 3 450 | SFP | 61 285 |
Variation inventaire animal | -8 580 | cultures | 14 907 |
Aides bovines | 10 094 | achat litière | 3 948 |
Produit Bovins viande | 38 028 | Charges structure hors amortissements | 189 733 |
Produit surface fourragère | 20 131 | dont main-d’œuvre | 33 455 |
Produit Grandes cultures | 42 942 | foncier | 29 328 |
dont vente de blé | 23 257 | matériel | 83 129 |
cessions internes | 18 055 | bâtiment | 4 991 |
ICHN | 23 336 | autres charges | 38 830 |
Aides découplées | 48 910 | ||
EBE : 241 910 euros | |||
Approche comptable | Approche trésorerie | ||
Amortissements | 68 272 € | Annuités | 85 890 € |
Frais financiers | 9 733 € | Échéances court terme | 124 € |
Revenu courant | 165 908 € | Résultat disponible | 157 899 € |
Source : Réseau Inosys. |
Résultats technico-économiques du 01/04/2024 au 31/03/2025 | |
Exploitant | |
Nb de vaches présentes | 101 |
UMO lait | 2,7 |
Lait commercialisé | 1 076 975 l |
Lait par vache | 10 935 l |
TB - TP (g/l) | 40,4 - 32 |
Âge au premier vêlage | 27 mois |
Rang moyen de lactation | 2,2 |
Prix réformes | 1 342 € |
Prix veaux | 138 € |
Concentré et minéraux | 2 397 kg/VL |
% MS concentrés/total ration | 27 % |
Principales charges et produits aux 1 000 litres | |
Exploitant | |
Prix de vente du lait | 467 € |
Produit viande | 40 € |
Aides | 63 € |
Achats d’aliments | 156 € |
Appro. des surfaces | 58 € |
Frais d’élevage | 40 € |
Mécanisation | 105 € |
Bâtiments et installations | 23 € |
Frais divers de gestion | 22 € |
Foncier et capital | 42 € |
Rémunération MO lait | 105 € |
Approche comptable | |
Coût de production lait | 549 €/1 000 1 |
Prix de revient | 432 €/1 000 l |
Rémunération du travail et charges sociales exploitants | 2,67 Smic/UMO |
Approche trésorerie | |
Coût de fonctionnement | 538 €/1 000 1 |
Prix de fonctionnement | 422 €/1 000 1 |
Trésorerie permise | 2,88 Smic/UMO |
Source : Réseau Inosys |

François Bouvier, éleveur
« Nous savons où nous voulons aller et c’est cela qui nous mène. »
Avis d’expert : Jean-Philippe Garnier de la chambre d’agriculture de l’Allier
« Investir au bon endroit au bon moment »

« Cette exploitation familiale a connu un développement continu dans une zone peu encline au lait au gré d’investissements maîtrisés, raisonnés par étape, et d’une conduite optimisée avec une maîtrise de l’ensemble des charges. Les investissements ont été limités pendant dix ans. Les nouveaux projets surgissent maintenant, en cohérence avec la fin des amortissements de la première vague de travaux intervenue lors de l’installation de François. Les exploitants sont avant tout des éleveurs, mais aussi des entrepreneurs pragmatiques, qui ont à cœur d’investir au bon endroit et au bon moment. Ils ne cherchent pas ce qui 'claque', mais souhaitent disposer d’un outil de travail fonctionnel. Avec un corps de ferme à 200 mètres des premières habitations du bourg, ils sont soucieux aussi de renvoyer une bonne image du monde agricole avec une ferme propre, aux abords soignés. Enfin, François et Simon se montrent très proactif au niveau de leur troupeau, toujours à l’affût de détails qui peuvent contribuer à les faire progresser. Leur rigueur et la mise en place de protocoles portent leurs fruits. »
Une période de transition
Suite au départ en retraite, fin 2024, de Pierre, le père de François et Simon, l’exploitation vit une période de transition en termes de main-d’œuvre avec le passage de trois à deux associés. Au quotidien, Pierre a réellement cessé son activité sur la ferme. « Nous vivons une année tendue où se cumulent la remise à plat de notre organisation et la conduite des travaux de construction de deux bâtiments, dépeint Simon. Nous nous doutions que cela coincerait en termes de travail quand notre père serait parti. Cela tombe à pic que notre sœur, ait proposé de nous rejoindre en tant que salariée. Elle assure quatre traites par semaine le soir. » Delphine travaille dans un Ehpad et teste pour un an le cumul d’un temps partiel à 60 % dans l’établissement et à 40 % sur le Gaec. « J’ai la flexibilité de travailler en postes, je peux ainsi m’adapter aux besoins de la ferme, apprécie Delphine en précisant qu’elle a « toujours bien aimé les bêtes ». Il est convenu que la fratrie fasse un bilan en fin d’année pour voir si cette solution transitoire est pérenne ou pas.
Des bœufs laitiers élevés à l’herbe
L’exploitation a la particularité de détenir un atelier de bœufs issus des mâles laitiers Holstein. La rentabilité économique est au rendez-vous.

Comme aime à le rappeler Simon Bouvier, « l’atelier de bœufs laitiers constitue la meilleure marge de l’exploitation, ramené au temps passé ». En 2024, 18 bœufs prim’Holstein ont été commercialisés avec un poids de carcasse moyen de 468 kg par tête et un prix de vente de 4,30 €/kg de carcasse. Soit un total de plus de 36 000 euros. Sachant que le coût de production et le temps de travail restent somme toute relativement limités, cela apparaît un bon investissement.
« L’exploitation présente beaucoup d’herbe à valoriser, notamment des prairies en bord de rivière où nous ne souhaitons pas forcément faire pâturer nos génisses pour limiter le risque parasitisme, explique Simon. C’est pourquoi nous nous sommes plutôt lancés dans l’élevage de bœufs laitiers. »
Les mâles sont élevés avec les femelles pendant un an avant de partir à l’herbe jusqu’à 3 ans. La conduite est simple. « Nous les castrons nous-mêmes à l’élastique. Ils passent l’hiver dehors avec des râteliers d’enrubannage à volonté. Et nous les finissons avec la pousse d’herbe au printemps pour les vendre en juin. » Années après années, la finition et les prix s’améliorent. « Le prix a longtemps avoisiné les 3 euros par kilo de carcasse. Aujourd’hui, la conjoncture est vraiment porteuse. Chaque bœuf vaut le prix d’une bonne laitière. » Les éleveurs vont continuer à en élever une vingtaine par an.