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Elevage laitier et temps libre : « Nous ne voulons pas être absorbés par notre travail »

Au Gaec Lusanbio, en Loire-Atlantique, les associés ont mis en place un système leur permettant de bénéficier d'un maximum de temps libre, tout en assurant un EBE/produit moyen de 55 % depuis cinq ans.

Ne pas se laisser déborder par le travail, même en période de pointe, était déjà le cap choisi par Yannick Allard avant de créer un nouveau Gaec avec Emmanuel Erbette et Stéphane Lorand, en avril 2014. Yannick les avait embauchés en 2012 et 2013 respectivement. Ils connaissaient donc bien ses objectifs. « Nous faisons en sorte de garder un bon équilibre entre temps de travail et de repos, parce que plus on augmente le temps de repos, plus on est performant et disponible, souligne Yannick Allard. L’attrait du Gaec, c’est notre organisation et le revenu dégagé. C’est un bon moyen pour attirer les jeunes, surtout si le montant de la reprise n’est pas trop élevé. » Lors de leur installation, Stéphane et Emmanuel ont investi 45 000 euros chacun en reprise de capital. Ils les ont récupérés via leur compte courant au bout de trois ans.

L'équivalent de quinze semaines de congés

 

 
L’effectif du troupeau a progressivement augmenté à 120 vaches pour pouvoir livrer à Biolait 700 000 à 800 000 litres de lait par an. © F. Mechekour

Le trio prend l’équivalent de quinze semaines de congés par an depuis la création du Gaec. Le tout sans rogner sur les performances économiques. Le rapport EBE/produit atteint en moyenne 55 % depuis cinq ans. L’organisation des congés s’articule autour de deux saisons. De novembre à fin mars, les associés travaillent deux semaines puis prennent une semaine de congés, soit un total de sept semaines sur cette période. En été, ils prennent deux fois deux semaines de congés. « Sauf cas particuliers, aucun de nous ne travaille le vendredi après-midi. Un seul revient pour la traite du soir. Sur une année, cela représente l’équivalent de quatre semaines de congés pris sous forme de RTT. » 

Traite simplifiée mais peu de pénalités cellules

 

 
Un système de brumisation payé 2 000 euros a été installé pour lutter contre les mouches dans la salle de traite (2 x 8). © F. Mechekour

Toutes les traites sont assurées par un seul associé du vendredi soir jusqu’au vendredi matin de la semaine suivante au rythme d'une semaine sur trois. Le roulement entre associés reste le même. Au final, chacun bénéficie de deux week-ends de repos sur trois, du vendredi midi au lundi matin. La traite n’échappe pas à la recherche de simplification. En routine, elle débute vers 16 h 45 et se termine vers 18 h. « Nous n’utilisons pas de lavettes individuelles mais de la laine de bois pour nettoyer les trayons. C’est plus rapide et nous travaillons les mains au sec. Nous ne faisons aucun trempage. » Malgré ce protocole simplifié, la dernière pénalité liée à des cellules remonte à juillet 2018. Le nombre de mammites reste limité à une dizaine de cas par an. « Seul un traitement homéopathique est utilisé pour soigner les mammites avec un pourcentage de guérison variable. » Toujours par souci de simplification, les veaux sont laissés deux à trois semaines avec leur mère avant d'être ramenés dans la nurserie. Le choix de rotations longues (prairies implantées pour au moins dix ans…) contribue également à diminuer la charge de travail.

Le facteur humain joue un rôle prépondérant dans le bon fonctionnement du Gaec. Il s’articule autour du partage des objectifs et des moyens d’y parvenir de la bonne entente et de la communication : réunion une fois par semaine, un pot entre associés le vendredi midi… « Il m’arrive de ronchonner, mais Yannick et Stéphane s’y sont habitués. Quand c’est le cas, ils s’éloignent en sifflant », souligne en souriant Emmanuel Erbette, surnommé pour le coup « Le ronchon ».

Plus de la moitié de la ration avec du pâturage

Les compétences et la complémentarité des associés sont également des atouts. Issu du secteur de l’entreprise agricole, Emmanuel Erbette est le responsable des cultures et du matériel. « Un entretien régulier est la meilleure façon de limiter les interventions coûteuses. » De leur côté, Stéphane et Yannick ont déjà été chacun chef d’exploitation dans un Gaec avant de s’associer.

L’efficacité économique du Gaec, Yannick Allard l’attribue aussi à l’empilement de beaucoup de « petites choses ». La maîtrise du système fourrager est un des gros points forts du système mis en place. Elle se base sur la recherche d’un maximum d’autonomie. « Nous avons passé un contrat de 10 à 15 tonnes de tourteau de colza bio par an avec un voisin. Cette année, c’est la seule chose que nous avons achetée, au prix de 520 euros la tonne. »

L’optimisation du pâturage est facilitée par un parcellaire qui s’y prête bien, avec 63 hectares accessibles aux vaches. Compte tenu des rotations, 55 hectares sont réellement dédiés au pâturage des vaches. Cette surface va cependant augmenter avec l’apport de 41 hectares supplémentaires suite à l’installation d’une quatrième associée en avril prochain.

Des paddocks plus petits et du topping

Le potentiel en surfaces pâturables est donc là. Mais encore faut-il le valoriser. Au Gaec, la vache typique consomme une ration annuelle composée d’environ 50 à 55 % d’herbe pâturée, 10 à 15 % d’affourragement en vert et de foin. Le méteil et l’ensilage de maïs complètent la ration. Les prairies multiespèces sont implantées pour des durées supérieures à sept ans. Celles destinées au pâturage se composent de fétuque élevée (5 kg/ha), de RGA (12 kg/ha dont 6 kg/ha de diploïde et 6 kg/ha de tétraploïde), de trèfle blanc (2 kg/ha de type géant-agressif et 2 kg/ha de type nain), de fléole (1,5 kg/ha) et de trèfle hybride (2 kg/ha).

Pour les prairies destinées à la fauche, la rotation est plus rapide (7 à 8 ans). Un mélange à base de RGH et de trèfle violet est semé sous couvert de méteil. Après l’ensilage du méteil, la prairie est récoltée soit à l’autochargeuse pour faire de l’affourragement en vert, soit en foin. « Nous distribuons en vert de l’herbe, de la luzerne, du trèfle hybride et du colza à raison d’une remorque par jour du 15 juin à fin juillet, puis de début octobre à la mi-novembre. »  Le point le plus éloigné est situé à 3 kilomètres de l’exploitation. « Il faut faucher 3 tMS/ha à chaque fois pour que cela vaille la peine de faire le déplacement », expose Yannick. Huit hectares de prairies pharmacies contenant de la chicorée et du pâturin complètent la variété de l’offre en fourrage.

Le silo de maïs ouvert toute l’année

 

 
Du maïs population est utilisé pour implanter une quinzaine d’hectares destinés à de l’ensilage. Le rendement moyen avoisine les 10 t MS/ha. © F. Mechekour

La gestion du pâturage a évolué en 2018. Sur les conseils avisés de Marcel Boland, un voisin agriculteur en bio, la taille des paddocks a été réduite à 2 hectares contre 3 à 3,5 hectares auparavant. Les vaches y séjournent deux jours au lieu de trois. « La production laitière est plus régulière. Il y a moins de refus. » 

Autre évolution, le topping (fauche avant pâture) a été adopté cette année. « Nous en avons fait de fin mai à début juin. Nous fauchons les deux hectares d’un paddock en une seule fois, mais les vaches n'ont accès qu’à un hectare par jour. Nous devons mettre un fil, mais cela vaut vraiment le coup surtout avec de la fétuque », précisent Stéphane et Emmanuel.

À l’exception de 2019, où les stocks de maïs ont été insuffisants, le silo reste ouvert toute l’année. « L’absence de maïs a fait baisser le TB et la production de lait d’environ 1 kg par vache d’avril à juillet. En année normale, nous leur distribuons au moins 3 kgMS par jour pour maintenir leur niveau de production et ne pas gaspiller les protéines apportées par le pâturage », souligne Yannick Allard.

Pour assurer un stock d’ensilage d’au moins 120 tonnes de matière sèche, 18 hectares de maïs sont ensilés chaque année. « Les mauvaises conditions climatiques ont fait chuter les rendements cette année. Il n’a été que 8,75 tMS/ha alors qu’en moyenne, il tourne autour de 10 à 12 tMS/ha. Il atteint même parfois 15 tMS/ha dans certaines parcelles. » Ce niveau de rendement permet à Yannick Allard d’affirmer que le désherbage du maïs ne pose pas de problème en bio. Au Gaec, l’itinéraire consiste en un passage de herse étrille 4 à 5 jours après le semis (maïs à 2 cm) suivi de deux passages avec une bineuse autoguidée. Le maïs bénéficie d’une rotation lente (semis derrière une prairies d’au moins 10 ans). Il valorise la matière organique fournie par les prairies et les 10 tonnes de fumier composté épandues l’automne précédant son semis.

Une désileuse automotrice achetée d’occasion

Les méteils se composent de triticale (ou d’avoine voire d’orge dans les parcelles difficiles), pois, féverole, vesce. « Nous les ensilons tôt pour privilégier la qualité ou plus tardivement pour assurer les rendements et récolter de la fibre. » Le rendement du méteil récolté en juin dernier a atteint 12,8 tMS/ha. Toutes les semences utilisées sont issues de l’exploitation, à l’exception de la vesce. « On n’en sème que 25 kilos sur 15 hectares. Cela ne représente donc pas un gros investissement. » Le méteil est également récolté en grain sur une dizaine d’hectares.

Le colza fourrager est une autre piste valorisée pour limiter les apports en correcteur azoté (en moyenne 250 g/VL/j). « Cette année, nous avons semé 18 hectares dont 6 hectares accessibles aux vaches. Selon les conditions climatiques, le reste de la surface sera affourragé en vert ou ensilé, l’idée étant de libérer les surfaces suffisamment tôt pour mettre un méteil derrière. Mais ensiler du colza, c’est risqué », reconnaît Yannick Allard. Maxime Duprey, conseiller bio chez Seenovia, confirme. « À moins de l’étaler sur de la paille pour récupérer les jus, il y aura trop de pertes. »

L’achat d’une désileuse automotrice d’occasion en 2018 a amélioré le mélange et la valorisation de la ration sans complexifier le travail. « Au départ, nous étions partis sur l’achat d’un bol mélangeur. Mais il aurait fallu l’atteler à un tracteur et en utiliser un second pour le remplir. »

Zéro antibiotique au tarissement depuis vingt ans

Le choix du croisement laitier pour améliorer la rusticité des animaux est également en phase avec les objectifs du Gaec. « Je n’utilise plus d’antibiotiques au tarissement depuis une vingtaine d’années. Nous en utilisons parfois pour soigner quelques gros nombrils chez les veaux. Mais notre objectif est de ne plus en utiliser d’ici quatre ans. »

Les performances de reproduction sont bonnes avec en moyenne 1,5 insémination pour obtenir une gestation (vêlages étalés). Le Gaec bénéficie de l’œil d’expert de Jean-Yves Gauthier, ancien associé de Yannick parti en retraite, pour détecter les chaleurs des génisses sur un site situé à deux kilomètres de l’exploitation. Le taureau Blanc bleu belge conservé pour les retours est quasiment au chômage.

À l’exception des génisses de renouvellement, tout le troupeau est inséminé avec du Blanc bleu belge. Yannick Allard constate cependant avec regret la chute du prix des veaux croisés. « La filière veau, c’est une catastrophe. On est passé de 450 à 350 euros pour les meilleurs veaux mâles croisés et de 300 à 150 ou 200 euros pour les femelles. » Cette baisse de prix couplée à la bonne persistance des lactations des vaches sont deux bonnes raisons pour ne pas chercher à obtenir un veau par vache et par an. « Nous inséminons parfois des vaches 150 à 200 jours après le vêlage. »

Le système mis en place au Gaec Lusanbio est bien huilé et en perpétuelle évolution. La prochaine est prévue pour avril avec l’arrivée de la nouvelle associée. 

Chiffres clés

SAU 190 ha dont 137 ha de prairies, 40 ha de méteil (dont 20 ha en grains) et 13 ha de maïs population
Cheptel 120 vaches croisées à 7 600 kg de lait standard
Référence 795 000 l
Lait livré 716 000 l
Chargement 0,96 UGB/ha de SFP
Main-d’œuvre 3 UMO + un apprenti 0,5 UMO

Les meilleures croisées blanc bleu belge sont traites

Les vingt à trente génisses conservées pour le renouvellement sont inséminées avec de la semence sexée. Le reste du troupeau est croisé avec du Blanc bleu belge.

 

 
Les croisées blanc bleu belge ont des niveaux de production laitière corrects mais plus variables que les croisées laitières.  © F. Mechekour

 

Lorsque Yannick Allard s’est installé en 1986, l’exploitation familiale possédait un troupeau de Prim’Holstein de très bon niveau génétique. Suite à la rencontre avec Eric Favre, ancien technicien de la chambre d’agriculture de Loire-Atlantique, le système intensif va évoluer vers du tout herbe puis le bio en 1994. Le troupeau a suivi cette évolution. « J’ai commencé à faire du croisement avec de la Jersiaise, puis de la Montbéliarde, Simmental. On s’est vite rendu compte que l’on apportait plus de rusticité au troupeau », relate Yannick Allard.

De plus en plus de sang montbéliard

La Montbéliarde revient désormais de plus en plus fréquemment dans les accouplements. Depuis deux ans, le croisement laitier ne concerne que les génisses sélectionnées pour le renouvellement. Le reste du troupeau est croisé avec du Blanc bleu belge (BBB) pour deux raisons. Le prix des doses de semences est peu élevé (8,50 €/paillette). Il améliore le produit viande malgré la baisse du prix des veaux. Certaines croisées BBB rejoignent le troupeau laitier. « On élève les femelles avec des milk-bar de six places. Quand il en reste une de libre, s’il y a une croisée blanc bleu belge, nous l’intégrons dans le lot. Comme nous nous sommes rendu compte que certaines pouvaient faire de bonnes lactations, nous les gardons. »

Avis d'expert : Maxime Duprey, Seenovia

« Des évolutions bien maîtrisées »

 

 
Maxime Duprey Seenovia. « Des évolutions bien maîtrisées » © F. Mechekour

« Le système mis en place est simple. Il répond aux attentes des associés en termes de performance économique, de temps libre et de respect de l’environnement. Tout est calculé. Le temps dégagé par l’organisation du travail permet un regard avisé et bien renseigné. Les évolutions sont ainsi bien maîtrisées. La production d’un lait bio riche et de qualité couplée à la recherche d’un maximum d’autonomie participent à la performance économique du Gaec. Les charges opérationnelles sont inférieures à celles du groupe Agrobio du département. Le coût alimentaire (142 et 158 €/1 000 l euros en 2018-2019 et 2017-2018) est dans la moyenne du groupe (156 et 135 €/1 000 l lors des deux dernières années). Le coût des concentrés est très faible. Le coût fourrager est en revanche plus élevé (125 et 121 €/1 000 l) que celui du groupe (94 et 81 €/1 000 l). Cela s’explique par des charges de mécanisation représentantant 66 % du coût fourrager. Cela est dû au choix des associés d'amortir le maximum de matériel sur une courte durée (3 à 7 ans). »

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