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L’avis mitigé de 4 533 Français sur la viande de culture

Même si elle n’est pas disponible dans nos assiettes, la viande artificielle ou de laboratoire fait de plus en plus parler d’elle. C’est un énorme enjeu pour les années à venir. Une enquête réalisée l’an dernier a permis à 4 533 Français de donner leur avis.

 © nevodka.com/stock.adobe.com
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Que pensent les Français de la culture de cellules musculaires visant à produire une « pseudo-viande » qui pourrait, à terme, entrer en concurrence frontale avec la « vraie viande » produite dans de « vrais élevages » par de « vrais éleveurs » à partir de « vrais animaux » ? Pour mieux connaître le ressentiment de nos compatriotes sur ces seuls produits et non sur les ersatz de « viande » produits à partir de protéines végétales (voir encadré), une enquête a été réalisée l’an dernier à l’initiative de Jean-François Hocquette, directeur de recherche à l’Institut national de recherche agronomique et environnemental et président de l’Association française de zootechnie. Lequel a conjointement mené ce travail avec sa fille Élise et en partenariat avec Bordeaux Sciences agro et l’Isara de Lyon, deux écoles d’ingénieurs en agriculture.

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Si on s’en tient aux principaux résultats de ce travail, ils démontrent que la « viande artificielle » est un sujet clivant. Il ne suscite pas un enthousiasme débordant chez une majorité de Français, et c’est d’autant plus vrai chez ceux qui connaissent bien le secteur de la viande et a fortiori quand leur revenu dépend directement de ce secteur de notre économie ! « En revanche, les jeunes de 18 à 30 ans et les femmes ont plutôt tendance à moins la rejeter, ces populations étant plus soucieuses des problèmes éthiques et environnementaux actuels liés à l’élevage », soulignent les auteurs de l’étude.

Questionnaire diffusé sur internet

Réalisée entre mars et octobre 2020, cette enquête visait en particulier à analyser comment les résultats sont susceptibles de varier selon la typologie des personnes qui ont accepté de répondre. « Notre volonté a été de réaliser un sondage neutre et objectif, précise Jean-François Hocquette. La neutralité est un critère primordial car les sondés ne doivent pas être influencés par la formulation des questions au risque d’orienter les résultats, ou d’induire des réactions inappropriées. » Et de faire en cela référence à de précédents travaux réalisés à l’initiative des promoteurs de la viande de culture.

Le questionnaire de l’enquête a été diffusé via internet par sollicitation de plusieurs établissements professionnels : réseaux de chercheurs de l’Inrae, d’étudiants et personnels d’école supérieure d’agriculture mais également d’autres réseaux professionnels non liés à la recherche scientifique ou à l’élevage. Enfin, l’enquête a finalement été diffusée à grande échelle sur les réseaux sociaux. Suite à cette diffusion, un total de 4 533 réponses ont été recueillies puis analysées.

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« L’échantillonnage des sondés, bien que très conséquent, s’éloigne des caractéristiques moyennes de la population française par une surreprésentation de jeunes de 18 à 30 ans (42,7 % contre 18,8 % dans la population française) et une sous-représentation des plus de 51 ans (23,8 % contre 37,3 % dans la population française). De la même façon, il y a une surreprésentation des personnes connaissant le secteur de la viande (28 %) ou de scientifiques (52,6 %). » Autre donnée importante, l’échantillon des personnes qui ont répondu était globalement « surdiplômées » comparativement à la moyenne de la population française. « 46,7 % des sondés possèdent un master, 18,4 % une licence, 14,2 % un doctorat et 10,9 % avaient seulement le baccalauréat. »

Dans le même ordre d’idée, les personnes travaillant dans le secteur de la viande sont largement surreprésentées parmi les personnes qui ont répondu. Ils représentent 28 % des réponses contre 2,5 % si on prend en compte la totalité des citoyens français. Ces chiffres sont la conséquence logique de la diffusion du questionnaire dans des établissements d’enseignement supérieurs et auprès d’instituts de recherche très liés aux activités d’élevage. L’échantillon n’est donc pas représentatif de la population française.

Les données de cette enquête n’en sont pas moins instructives. Elles ont permis d’analyser les résultats en vis-à-vis selon des paramètres sociologiques. (jeunes vis-à-vis de personnes plus âgées ; hommes vis-à-vis de femmes ; scientifiques vis-à-vis non scientifiques ; personnes travaillant dans secteur de la viande vis-à-vis de ceux qui n’y travaillent pas…).

L’analyse des 4 533 réponses

85,4 % des 4 533 répondants avaient déjà entendu parler de la viande artificielle. Quel que soit leur niveau de connaissance pour ce produit, une très large majorité (77,4 %) pense que la mise en marché de ce type de produit aurait un impact fortement négatif sur les élevages traditionnels, l’industrie de la viande ainsi que sur les territoires et la vie rurale.

Environ 40 à 50 % des sondés estiment que l’élevage fait face à des problématiques éthiques et environnementales et de ce fait, une grande partie d’entre eux (51,9 % des personnes ayant répondu au sondage) pensent que réduire notre consommation carnée pourrait être une solution aux problématiques actuelles liées à l’environnement. Toutefois, seulement 18 % à 26 % des sondés estiment que la « viande artificielle » peut résoudre ces difficultés et une majorité pense que la « viande artificielle » ne sera pas aussi « saine » et « savoureuse » que la vraie viande.

De plus, de 41,5 % à 66,7 % des sondés, suivant les groupes sociologiques, considèrent que la « viande de culture » est une idée « absurde et/ou dégoûtante », 26,9 % en moyenne la trouvent plutôt « intrigante et/ou amusante » et 18,7 % des répondants la considèrent comme une idée « prometteuse et/ou réalisable ». Les sondés qui ne savaient pas ce qu’était la viande artificielle ont un a priori sur ce produit légèrement plus favorable que ceux qui en ont déjà entendu parler auparavant. Et les qualificatifs de produit « absurde et dégoûtant » sont surtout utilisés par les hommes (57,6 % vs 49,2 % pour les femmes). Et ce sont d’ailleurs eux qui sont les plus réticents à l’idée de tester ce produit.

Sensibilité aux questions éthiques et environnementales

Quant aux professionnels travaillant dans le secteur de la viande, ils sont en majorité fermement opposés à la viande artificielle sur tous les aspects : sanitaire, environnemental, éthique, gustatif… Ils estiment que ce produit sera un danger pour leurs emplois respectifs, s’il est amené un jour à remplacer la viande conventionnelle même si cette substitution n’est que partielle.

Dans leur grande majorité (91,7 %), les sondés ne sont pas prêts à acheter la « viande artificielle » à un prix plus élevé que celui de la viande conventionnelle. Ceux qui ne connaissent pas la « viande artificielle », ou encore les jeunes (entre 18 et 30 ans) et les femmes semblent plus favorables en raison d’une plus grande sensibilité aux questions d’ordre éthique ou environnemental liées à l’élevage, alors que les hommes âgés de plus de 51 ans sont les plus réticents. 58 % des personnes qui ont répondu à l’enquête se sont déclarées être prêtes à goûter ce produit. Un chiffre qui pour autant ne présage pas de leur volonté d’en consommer de façon plus régulière par la suite.

Ainsi la majorité des personnes sondées ne plébiscitent pas la viande artificielle comme étant une solution raisonnable pour l’avenir, malgré une certaine curiosité pour ce produit. Et contrairement à des hypothèses émises notamment par les promoteurs de la viande artificielle, une meilleure connaissance des avantages, des limites et du processus de fabrication de la viande artificielle ne favorise pas forcément son acceptation. En revanche, une meilleure connaissance du milieu de l’élevage et du processus de production de la viande conventionnelle favorise clairement le rejet de la viande artificielle.

 

Petits rappels sur la viande artificielle

La viande artificielle ne doit surtout pas être confondue avec les galettes végétales produites à partir de protéines végétales. Actuellement fabriquées par de nombreuses entreprises (Beyond Meat, Sojasun, Herta, Les nouveaux Fermiers…) elles sont depuis plusieurs années disponibles dans les linéaires et sur les sites de vente en ligne de la plupart des enseignes de la grande distribution. Lesquelles les proposent d’ailleurs souvent à proximité des rayons des produits carnés ! La forme et la couleur de ces produits font le plus souvent référence à la viande et les noms apposés sur les étiquettes laissent à penser que la volonté de ceux qui proposent ces produits est de susciter la confusion de la part du consommateur.

À l’inverse, la viande artificielle, également connue sous le nom de « viande in vitro », viande de culture ou viande « synthétique » sera produite à partir de cellules musculaires prélevées par biopsie sur un animal vivant. Ces cellules sont ensuite cultivées dans un milieu de culture optimisé pour leur multiplication afin de fusionner en un amas de fibres musculaires, prêt à être consommé dans un burger par exemple. Le milieu de culture utilisé doit contenir des nutriments, des hormones, des facteurs de croissance… Ces produits ne sont pas encore disponibles sur le marché (lire interview).

Trois questions à Jean-François Hocquette, directeur de recherche à l’Institut national de recherche agronomique et environnemental

"Il existe un véritable lobbying médiatique et politique"

1 Ces viandes de laboratoire ne sont pour l’instant pas commercialisées sur le territoire français, pensez-vous que cela finira réellement par arriver un jour ?

Jean-François Hocquette - À Singapour, il y a eu en décembre dernier une autorisation de mise sur le marché pour des nuggets à base de viande de poulet, lesquels ont été proposés par la start-up californienne Eat Just qui utilise une technologie nécessitant encore du sérum de veau fœtal dans le milieu de culture. C’est à ma connaissance le seul pays qui, à ce jour, ait donné cette autorisation. Difficile de prédire comment tout cela va évoluer et à quelle échéance. Mais compte tenu du nombre d’investisseurs dans ces projets et des sommes colossales que cela représente, imaginer que ces produits ne vont jamais arriver dans des assiettes serait faire un pari assez risqué… À côté des sommes investies, il y a un tel lobbying médiatique et politique qu’il va certainement se passer des choses. Ne pas s’en préoccuper serait une grave erreur. Après, est-ce qu’il y aura un verrou politique, juridique et législatif suffisamment fort pour faire en sorte que ces produits n’arrivent jamais dans nos assiettes, je n’en sais rien. En tant que scientifiques, nous n’avons pas de boule de cristal pour prédire ce qui va se passer dans le futur !

 

2 Quels sont les pays les plus avancés pour la mise au point de ces produits ?

J.- F. H. - Aux États-Unis, différentes start-up de la Silicon Valley sont en compétition. En Europe, il y a la start-up néerlandaise Mosa Meat. Elle a été créée par Mark Post, plus connu pour avoir été, dès 2013, le premier à médiatiser ses recherches sur la viande de culture. Citons également Aleph Farms, une start-up israélienne dirigée par Didier Toubia, un Français. En France, on peut citer Gourmey. Mais plus que de la viande, l’ambition de cette entreprise est, au moins pour l’instant, d’être la première à proposer du « foie gras » de laboratoire.

Les coûts de production de ces produits sont pour l’instant très élevés, est-ce durable ?

J.- F. H. - Le prix de cette viande artificielle évoluera probablement à la baisse, comme tous les autres différents produits nécessitant un haut niveau de technologie. Les premiers smartphones, tablettes et ordinateurs portables étaient très chers. Leurs tarifs se sont ensuite bien démocratisés !

Il est ensuite probable que l’une des portes d’entrée pourrait être celle de la restauration rapide (hamburger, nuggets…) et des plats préparés (lasagnes…). Pour ces préparations culinaires, il n’est pas nécessaire de reconstituer la structure complexe du tissu musculaire avec ses fibres, son collagène… Les chaînes de restauration rapide reposent sur des réseaux de distribution solides, présents dans de nombreux pays. Elles pourraient être les partenaires idéaux pour, au moins dans un premier temps, favoriser la vulgarisation et l’accoutumance à ces produits avant d’en étendre le marché. Mais je ne pense pas que cette viande artificielle puisse un jour véritablement ressembler ni sur le plan nutritionnel ni sur le plan gustatif à une entrecôte avec à la fois la consistance, le tissu conjonctif, le persillé, le réseau des capillaires sanguins… L’aspect de ces produits serait plus proche d’un steak haché pour lequel la viande a été finement broyée.

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