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Huit points clés pour maîtriser l’agrandissement

Des compétences humaines, de l’organisation, des indicateurs, un œil extérieur ayant une vision globale…Philippe Wallet du BTPL nous fait prendre la mesure des changements à mettre en œuvre dans les grands troupeaux.

On rencontre toujours ce même phénomène : au début quand le litrage augmente, tout se passe bien, mais il arrive toujours un moment où cà dérape. Ce point critique où l’on ne maîtrise plus 'comme avant' est différent selon les exploitations, constate Philippe Wallet, ingénieur d’étude au BTPL, intervenu lors d’une journée sur l’accompagnement des grands troupeaux organisée par le laboratoire MSD en novembre dernier. Le BTPL a analysé les causes de ces dérapages et propose dix points clés pour maîtriser la croissance et ne pas la subir. « On change de métier, il ne faut plus seulement être bon technicien ; et la technique est sans doute ce qu’on peut déléguer le plus facilement. Il faut aussi s’entourer de compétences : de spécialistes mais surtout d’un généraliste qui aura une vision globale, pourra apprécier la bonne ou mauvaise évolution dans le temps, poussera à mettre en place des plans d’action concrets, et aussi contribuera à entretenir l’envie et la motivation."

1-  Rechercher les gains de productivité.

Il ne faut pas attendre de miracle d’un agrandissement. « Nous observons peu d’économie d’échelle au litre sur les exploitations de notre réseau Ecolait (950 exploitations). Les charges des grands troupeaux sont les mêmes que celles des troupeaux de taille moyenne. » Souvent il y a même plus de dettes. « Il faut maîtriser le niveau d’investissement. Certains projets ont des niveaux d’annuités de plus de 100€/1000 l voire 130 € : cela pose question sur les prix retenus pour bâtir les prévisions».

Plus que la taille, c’est la productivité de la main-d’œuvre qui compte : « la seule charge qu’on peut diminuer en agrandissant l’exploitation, c’est la main-d’œuvre. En regroupant deux exploitations à deux associés qui tournent bien, avec 2+2 associés, on ne gagne rien, mais si on arrive à faire aussi bien avec 3 associés, alors on améliore les résultats ».

Il existe par ailleurs un effet levier important lié au volume de lait produit : «on peut gagner beaucoup mais perdre aussi beaucoup d’argent. Il faut faire mieux avant de vouloir faire plus«, rappelle Philippe Wallet.  

2- Gérer les relations humaines

Nous avons deux spécificités françaises qui compliquent les choses lors d’un agrandissement: plus de formes sociétaires et plus de systèmes de polyculture élevage qu’ailleurs. « Il est plus facile de gérer une exploitation avec un patron et des salariés qu’un Gaec à 5 voire 7 associés. Et quand il y a plusieurs ateliers, c’est le résultat de l’exploitation globale qui compte, pas seulement celui de l’atelier laitier. » Ces spécificités présentent des avantages. « Cela peut être le meilleur (partage des risques, complémentarité entre ateliers et entre personnes, autonomie…) comme le pire (tensions, conflits, histoires de famille qui remontent…) ».

Pour le BTPL, quatre questions doivent être abordées :

- Tout le monde va-t-il dans le même sens ?

- Qui fait quoi ? Qui est responsable de quoi ?

- Y a-t-il des règles de fonctionnement ? Sont-elles connues, appliquées, régulièrement revues ?

- Comment sont prises les décisions ?

« Souvent ce qui paralyse les grandes structures, c’est l’absence de décisions. Le pire c’est quand il y a 4 associés, 2 ‘pour’ et 2 ‘contre’, cela n’avance jamais ». Comme le traduisent bien les propos d’un Gaec : « le meilleur investissement que l’on ait fait, c’est un bureau confortable et une cafetière ».

3- Gérer autrement la santé du troupeau

En phase d’agrandissement/regroupement, « les premiers mois sont souvent difficiles avec des veaux et vaches qui meurent sans que l’on sache trop pourquoi, des problèmes de fertilité, de pattes ou d’acidose. Chaque intervenant gère à sa façon dans la panique, on ne sait plus qui a fait quoi … », constate Philippe Wallet.

La clé est de « passer d’une culture du curatif à du préventif. » Cela veut dire mettre en place des procédures sanitaires et standardisées avec le vétérinaire plutôt qu’improviser : « s’il y a une mammite, tout le monde la prend en charge de la même façon ». Il faut plus de rigueur au niveau désinfection, vaccinations, isolement des animaux. Le suivi de repro est incontournable. « Certains élevages travaillent avec un forfait vétérinaire : le vétérinaire passe tous les 15 jours à date programmée. Les éleveurs apprécient d’avoir un œil extérieur, un avis objectif sur l’évolution de état du troupeau.»

C’est une autre approche de la santé: « les dépenses sont budgétisées comme un investissement plutôt que subies tout au long de l’année». 

4- Sécuriser des points stratégiques

La sécurisation des approvisionnements alimentaires est essentielle. Tout comme les préparations au vêlage : « avec 50 vaches, on peut fonctionner sans espace dédié dans le bâtiment, ce n’est plus possible avec 150 ou 200 vaches». Sont également à prévoir et à systématiser : les programmes vaccinaux, les parages et pédiluves, les traitements des mammites et au tarissement, le contrôle du parasitisme, le suivi repro, la désinfection et l’isolement des malades. Il s’agit de mettre en place des procédures :  «de définir avec le vétérinaire quoi faire, qui le fait, comment, à quel moment, quelle action préventive, quels traitements, quels critères de réforme… et de noter tout çà noir sur blanc. Souvent ce n’est pas fait

5- Gérer le changement d’échelle

« Il faut tout remettre à plat. Ce qui était vrai avec 60 vaches, peut ne plus l’être à partir d’une certaine taille ». Certains « sauts » impliquent une remise en question. « Par exemple, un élevage robotisé passant à 180 vaches va installer un troisième robot, mais au-delà il ne faudra peut-être plus investir dans un quatrième e robot mais peut-être dans un roto en embauchant un salarié. » Autres exemples : « des silos mal tassés qui chauffent et que l’on n’a pas forcément dédoubler. Ou encore l’achat d’une mélangeuse plus grosse sans se poser la question de garder une mélangeuse plus petite avec plusieurs distributions par jour et l’embauche d’un salarié ». Pour le pâturage, il peut y avoir des alternatives à ne plus sortir les vaches du tout comme sortir un lot, les taries…Des points peuvent poser problèmes avec des bâtiments plus grands et des animaux qui y passent plus de temps: la ventilation, des boiteries, la charge microbienne … Et nécessiter des investissements comme un système de ventilation modulable, le nettoyage des logettes. L’élevage des veaux est lui aussi plus complexe.

Le changement d’échelle impacte tout ce qui est enregistrement et surveillance des données. « On passe du planning de repro rotatif que tout le monde savait utiliser à une gestion informatisée. Souvent, un seul associé la maîtrise bien, et c’est sur lui que retombe la responsabilité et la charge du boulot administratif. »  

6-Revoir l'organisation de la traite

« Il ne faut pas se voiler la face : quand on a plus de 120-130 vaches, vouloir traire en moins d’une heure et demie est illusoire ou trop coûteux. Par le passé, on est passé d’une 2x3 à une 2x4 puis 2x6  puis  une  TPA…, il faut changer de réflexe et revoir toute la problématique autour de la traite. » Quelle durée de traite ? Combien y–a-t-il de trayeurs ? Ne vaut-il pas mieux investir dans de la main-d’œuvre ?  Pour 120 vaches, un roto de 24 postes coûte 48 €/1 000 l. Si on double le troupeau, faut-il doubler le roto ou réduire le coût du roto à 24 €/1 000 l en ajoutant 18-20 € de coût de salarié ? Comment s’organiser pour qu’il y ait  moins d’une heure et demie entre l’entrée d’une vache dans l’aire d’attente et la sortie de salle de traite ? 

7-Financer l’agrandissement

"L’analyse de l’exemple réel d’un élevage qui s’est retrouvé en difficulté montre qu’on peut perdre très vite 60 €/1 000 litres", détaille Philippe Wallet. Dans cet élevage, sur ces 60 €, 10 € viennent de la perte de vaches, de gros problèmes de fécondité et d’une diminution des ventes d’animaux ; 36 € sont liés à l’achat d’animaux, et 14 € au niveau de production en-deçà des attentes et de la moindre dilution des charges. Il faut prévoir au moins le financement de l’achat des vaches nécessaires à l'augmentation d'effectif.

8-Suivre en temps réel avec un tableau de bord

Le dernier point clé est la mise en place d’indicateurs fréquents. « L’important est de ne pas attendre le compte-rendu annuel de gestion pour connaître par exemple le coût alimentaire. Il faire au minimum un suivi mensuel, et regarder où l’on se situe par rapport à ce qui a été budgétisé et aux objectifs fixés. »

Éviter les à-coups dans l’organisation du travail

« Il est important au niveau de la conduite de rechercher une certaine stabilité, souligne Philippe Wallet. Si l’on fait un parallèle avec la navigation, avoir 40 vaches, c’est naviguer avec un zodiac :  vous pouvez longer les côtes, profiter des opportunités, en cas de problème vous reculez puis vous avancez . Avoir 200 vaches, c’est piloter un paquebot : pour freiner et accélérer, il faut s’y prendre longtemps à l’avance. »

Concrètement, cela signifie faire en sorte d’avoir le moins de stress possible. C’est une ration stable sécurisée (basée sur 3 fourrages et 3 aliments pour ne  pas mettre tous les œufs dans le même panier), des vêlages répartis sur l’année, une routine de traite, une simplification du travail. « Dans ce cas vous n’optimisez pas forcément les charges opérationnelles (c’est le cas par exemple des vaches avec des vêlages étalés et en ration complète) ; il faut mettre en balance les aspects positifs et négatifs », nuance-t-il.

Conduite en lots ou pas ?

« Avec moins de 300 vaches, il n’y a, à mon avis, pas de règles, considère Philippe Wallet. L’important est d’avoir un lot de vaches en lactation (80% de l’effectif), un lot de vaches taries (10-15%), un lot de préparation au vêlage (vêlage-20 jours : 6 à 10%), et des boxes d’infirmerie (4-5%), avec pour chacun lot une conduite bien cadrée.»

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