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Fait-il bon travailler dans les grands troupeaux ?

La perception des conditions de travail et de la qualité de vie diffère selon le type de collectif de main-d’œuvre. Les gros Gaec sont les structures qui ressortent globalement le mieux, d’après une récente enquête de l’Institut de l’élevage.

L’Institut de l’élevage a mené une étude(1) consacrée au travail dans les grands troupeaux, sur 49 exploitations laitières de 130 vaches en moyenne, soit le double de la ferme moyenne française. Les élevages enquêtés sont représentatifs des trois systèmes de production majeurs de l’Hexagone : exploitations spécialisées du Grand Ouest, systèmes de polyculture-élevage du Grand Est, et exploitations de montagne du Massif central. Trois types de collectifs de main-d’œuvre ont été identifiés. Premièrement, des petits collectifs à forte productivité de la main-d’œuvre. Ces derniers rassemblent un à deux chefs d’exploitation, avec ou sans salarié, et sont souvent robotisés. Le second profil concerne des grands collectifs basés sur le salariat, qui comptent au moins 3 UMO dont 2 salariés. Le troisième porte sur les grands collectifs associatifs de type Gaec, qui rassemblent 3 à 10 associés, avec ou sans salarié.

Comment s’organisent ces collectifs ? Quelle est leur charge de travail ? Les éleveurs parviennent-ils à se libérer ? Leurs conditions de travail leur conviennent-elles ? « Nous avons constaté qu’il y a un lien entre le niveau de satisfaction des éleveurs et le type de structure dans laquelle ils travaillent, analyse Emmanuel Béguin, de l’Institut de l’élevage. Globalement les grands collectifs associatifs sont ceux qui ressortent le plus positivement. »

 

 

 

Petits collectifs très productifs : peu de temps libre

Les grands troupeaux pilotés par des petits collectifs (deux personnes environ) se caractérisent par une forte productivité de la main-d’œuvre, avec 580 000 litres produits par UMO lait et 63 vaches par UMO lait, en moyenne. Le niveau de satisfaction des éleveurs interrogés dans l’étude (17 exploitations) n’est pas très bon. Un tiers d’entre eux se disent peu satisfaits ou insatisfaits de leurs conditions de travail et qualité de vie. En cause : le volume de travail et l’amplitude horaire des journées (10h15/j avec pause déduite) jugés trop importants. Le travail d’astreinte est estimé à 2 600 h/an/UMO lait dans ces petits collectifs. L’intensité du travail est évoquée par plusieurs producteurs qui parlent de « surmenage chronique avec 120 vaches à l’heure avec un roto » ou saisonnier avec « une forte amplitude des journées en période de travaux culturaux ». Certains craignent aussi davantage les accidents liés au besoin de rapidité pour effectuer les tâches et font état d’une fatigue physique et morale du fait d’un manque de repos. « On n’a pas le droit à un coup de pompe… ».

La difficulté de se faire remplacer est un autre motif cité par plus de moitié des sondés. En moyenne, ces éleveurs ne se libèrent qu’un week-end tous les deux mois et prennent seulement 7 jours de congés par an. Malgré un taux d’équipement en robot important (70 %), il leur est difficile de s’absenter et ils évoquent une forte charge mentale liée au robot lorsque les alertes sont gérées par une seule personne. Leur priorité porte sur l’organisation du travail et la nécessité d’être efficace. Certains ont fait le choix de simplifier leurs pratiques, d’externaliser des travaux, d’embaucher un salarié à temps partiel ou encore de faire appel au service de remplacement. La polyvalence entre associés est un atout pour faciliter les rotations dans ces petits collectifs.

Des tâtonnements dans les grands collectifs avec salariés

Ce collectif de type managérial, avec un chef d’exploitation qui emploie des salariés, n’est pas encore très fréquent en France. Il l’est en revanche beaucoup plus en Angleterre et dans les pays du Nord de l’Europe. Dans les exploitations enquêtées (10 élevages), soit l’exploitant continue de travailler sur la ferme aux côtés des salariés, soit il n’assure plus que la fonction de manager et n’intervient plus sur l’élevage. Cette organisation permet une bonne capacité à se libérer : vingt week-ends par an et une dizaine de jours de congés. Pour autant, 60 % des exploitants sont insatisfaits de l’amplitude horaire journalière (11h/j pause déduite) et 80 % jugent leur rythme de travail élevé. « Souvent, dans ces structures, les chefs d’exploitation doivent faire tampon et compléter eux-mêmes les heures de salarié pour terminer une tâche, pallier une absence, etc. , relève Emmanuel Béguin. Et c’est aussi dans ces collectifs que la charge mentale apparaît la plus lourde. » D’une part, parce que les chefs d’exploitation doivent gérer le salariat, souvent vécu comme quelque chose de complexe et de délicat, pour lequel ils ne se sentent pas toujours compétents. Et d’autre part, parce que le partage de responsabilités reste souvent limité. En outre, le décalage entre le patron et le/les salariés n’est pas toujours bien vécu par les exploitants. Un éleveur met l’accent sur le fait que « l’employeur n’est pas rémunéré pour sa charge de travail… », quand un autre parle des multiples sources de pression « Il y a trop de tout : trop de responsabilités, trop d’heures, trop de fatigue, trop de pression… ».

« Ce type de structure managériale est sans doute amené à se développer dans les années à venir en France, mais aujourd’hui c’est pourtant celui qui semble donner le moins de satisfaction aux exploitants, analyse Jocelyn Fagon, de l’Institut de l’élevage. D’où la nécessité de mieux accompagner les exploitants et de faciliter l’évolution du métier d’éleveur vers celui de manager. »

Meilleure qualité de vie en grands collectifs associatifs

Les Gaec à la française comptant au moins trois associés sont les structures qui affichent le meilleur niveau de satisfaction globale (22 exploitations enquêtées). La souplesse permise au sein de ces collectifs y est pour beaucoup car elle permet de se libérer davantage le week-end et de prendre plus facilement des congés grâce aux roulements instaurés. C’est également dans ce type de profil que l’amplitude du travail journalier apparaît la moins élevée (10h30/j, pause déduite). « Il convient toutefois de faire une distinction entre la semaine et le week-end où la charge de travail se concentre sur peu de personnes et peut être mal vécue par certains », relève Jocelyn Fagon.

L’entente et les relations humaines sont le facteur clé de la qualité des conditions de travail dans ces sociétés. « Une grande structure, c’est plus d’individus et de risques de problèmes relationnels et de tensions, qui risquent de s’accentuer en période de crise économique », alerte l’un des éleveurs. La répartition du travail peut être un point sensible selon les capacités et les aspirations de chacun, mais globalement, la dynamique collective ressort comme un atout et un facteur de motivation qui aide à mieux vivre les contraintes et donc aussi à réduire les risques psychiques.

(1) Le CasDar Orgue est un travail multi-partenarial (Chambres d'agriculture, Inra, BTPL, Irstea, EDE 63, Eilyps, Littoral normand, Agrosup Dijon, Agrocampus Ouest, EPL64, lycée agricole T. Monod, lycée agricole d'Yssingeaux, Alpa, Gaec&Sociétés, Cniel, RMT travail, Ministère de l'agriculture).

Le saviez-vous ?

Le robot de traite a un vrai impact sur les amplitudes de travail. En moyenne, l’amplitude des journées des élevages équipés (18 sur les 49 enquêtés) compte une heure de moins par jour par rapport à ceux qui ne le sont pas : 11,2 h/j contre 12,1 h/j , avec 1h40 de pause.  

La santé pose question

Dans l’enquête, trois éleveurs sur quatre considèrent que leur activité les expose à des risques pour leur santé physique et pratiquement autant pour leur santé psychique. Dans un élevage sur deux, des troubles musculo-squeletiques ont été diagnostiquées chez les membres du collectif. La moitié des éleveurs jugent l’amplitude horaire des journées élevée à forte, et 7 sur 10 considèrent le rythme de travail élevé. Près de 4 éleveurs sur 10 se disent concernés par une pénibilité mentale élevée.

Avis d'expert : Emmanuel Béguin, de l’Institut de l’élevage

 

 

« Il faut intégrer la dimension travail dans la stratégie de l'exploitation »

« Demain, avec l’augmentation de la taille des structures, l’enjeu autour des relations humaines va se renforcer, que ce soit pour gérer des salariés ou favoriser l’entente entre associés. Il faudra aussi formaliser un vrai projet d’entreprise lié à l’humain. Le travail doit faire partie intégrante de la stratégie d’exploitation. Or, cette dimension est souvent oubliée ou passe après le projet économique, financier, juridique… ce qui conduit à des risques d’échecs. D’où l’importance de mener en amont une vraie réflexion sur l’organisation du travail, de poser un cadre de fonctionnement, de s’interroger sur les valeurs, la place et les attentes de chacun… Et de vérifier périodiquement que les différents membres se retrouvent bien dans le fonctionnement et les trajectoires prises. Il en va de la pérennité des systèmes, en particulier dans les grands collectifs de type Gaec. Si l’on veut réussir à renouveler les associés et intégrer des tiers dans ces structures, il faut adopter un fonctionnement moins patrimonial, plus transparent et évolutif, avec une vision partagée du projet d’entreprise. »

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