Les évolutions du climat seront rapides, fortes et irréversibles
Dans le Massif central, une analyse fine des changements climatiques montre des divergences par rapport aux grandes tendances. Le plus fort impact aura lieu au printemps, qui sera plus chaud et plus sec.
Dans le Massif central, une analyse fine des changements climatiques montre des divergences par rapport aux grandes tendances. Le plus fort impact aura lieu au printemps, qui sera plus chaud et plus sec.
Dans le Massif central, les organisations agricoles ont confié au Sidam(1) la difficile tâche d’évaluer l’impact du changement climatique sur son territoire. Météo-France a détaché un météorologue à mi-temps pendant les trois ans du projet dénommé AP3C, jusqu’à fin 2019. Des ingénieurs des chambres d’agriculture apportent leur expertise pour étudier les conséquences du changement climatique sur les couverts végétaux (approche agronomique) et les systèmes d’exploitation (approche systémique) et les possibilités d’adaptation à ces deux échelles : la parcelle et le système.
« C’est parce que nous avons constaté des divergences sévères entre ce qui est observé et ce qui est projeté que nous avons décidé de fabriquer nos propres projections, explique Vincent Caillez, climatologue à l’origine de la méthode AP3C. Notre méthode utilise énormément de données observées, contrairement aux projections habituelles. Notre but est de caractériser l’évolution du climat à l’horizon 2050 à l’aide des trajectoires qui se sont déjà engagées depuis 1980. Elles sont rapides, fortes et irréversibles. »
La fin du printemps presque aussi chaude que l’été
Au cours des trente prochaines années, l’élévation de la température moyenne annuelle se poursuivra à un rythme de 0,35 à 0,4°C tous les dix ans. Mais les évolutions saisonnières seront plus contrastées. Les plus fortes se produiront au printemps (+0,55°C sur 10 ans en moyenne) et durant l’été (+0,50°C), alors qu’elles évolueront peu à l’automne. « Les évolutions des températures maximales sont environ 30 % plus sévères que celles des températures moyennes, précise le climatologue. C’est à mettre en lien avec la diminution des précipitations saisonnières. L’air sera plus sec donc plus facile à réchauffer. Les journées de fin de printemps ont tendance à devenir presque aussi chaudes que les journées d’été. » La probabilité d’avoir trois jours « échaudants » durant le mois d’avril touchera toute la moitié sud du Massif central, alors que dans le climat actuel, seul l’extrême sud-ouest subit ce risque. La probabilité d’avoir trois jours de forte demande évaporatoire (ETP supérieure à 5 mm) au mois de mai, phénomène marginal à l’heure actuelle, touchera quasiment tout le territoire en 2050.
Forte hausse des températures hivernales en altitude
Les projections montrent des évolutions contrastées au sein même du Massif central. Etonnamment, une zone centrée sur la Haute-Loire connaîtra à la fois la hausse de température moyenne la plus importante en hiver (+0,7°C sur 10 ans) et une augmentation quasiment nulle en été. « Ceci contraste violemment avec le discours ambiant, issu des modèles physiques du climat », observe Vincent Caillez. Le climatologue explique cette forte hausse des températures hivernales au-dessus de 800 m par « une résorption assez rapide de la couche neigeuse moyenne. La neige est remplacée par l’herbe ou le sol qui captent plus de rayonnement solaire ». Quant au relatif rafraichissement estival, il serait dû à l’évolution des précipitations, qui révèle aussi des surprises. En revanche, si le nombre de jours de gel diminuera, le risque de gel tardif au printemps et précoce à l’automne se maintiendra.
Des étés plus arrosés en altitude
« Par rapport aux températures, les incertitudes sur la pluviométrie sont beaucoup plus importantes », prévient Vincent Caillez. Hormis dans le sud-ouest du Massif central, le cumul annuel de pluviométrie ne bougerait guère, mais la distribution saisonnière des pluies serait nettement modifiée. « En opposition avec les résultats de la quasi totalité des modélisations climatiques, qui prévoient de manière certaine une diminution nette des précipitations estivales », il pleuvrait davantage durant l’été sur le Massif central (+ 40 mm). Mais plus sous forme d’averses. Explication : « l’augmentation de l’instabilité, en lien avec la hausse des températures, accroît la formation des systèmes pluvio-orageux sur les reliefs sud du Massif central », spécifie le climatologue. La nébulosité serait plus importante sur le sud de la Haute-Loire et les précipitations, emmenées dans le flux habituel (sud/sud-est), seraient plus importantes sur le nord et le nord-ouest du Massif central (Auvergne, Limousin). « Pour les zones d’altitude, nous sommes dans l’optique d’une saison d’été pas beaucoup plus chaude mais qui bénéficiera de précipitations supplémentaires sous forme d’averses. »
Des printemps plus secs et des épisodes cévenols plus violents
Au printemps, les précipitations diminueraient légèrement alors que les modèles climatiques habituels indiquent plutôt une augmentation. Cette baisse serait particulièrement sensible sur la façade sud du massif. « L’impact d’une baisse des précipitations à cette saison, bien qu’elle reste modérée, sera sensible », prévient le climatologue. Pour l’automne, il prévoit des épisodes cévenols plus violents avec une « très nette augmentation des précipitations » (+ 100 mm en 50 ans). En revanche, peu d’évolutions en hiver.
Augmentation de la productivité en moyenne montagne
L’augmentation des températures se traduira par une nette hausse de l’ETP, surtout au printemps et en été. Qu’en sera-t-il du bilan hydrique potentiel (BHP = précipitations – ETP) ? Globalement, le BHP se dégradera dans le Massif central : de -100 mm sur une bande nord-ouest jusqu’à -250 mm dans le sud-ouest (Lot, Aveyron). Mais ce bilan se détériorera plus vite au printemps qu’en été dans presque toutes les zones et plus encore dans la frange sud. « Cela confirme que les évolutions les plus importantes sont centrées sur cette saison », constate Vincent Caillez. Plus étonnamment, le BHP estival s’améliorera dans une bande sud-est - nord-ouest (de la Haute-Loire à la Corrèze) du fait d’une augmentation plus rapide des précipitations par rapport à la hausse de l’ETP. Le climatologue prévoit une « probable augmentation de la productivité estivale dans les zones de moyenne montagne alors qu’une décroissance sensible est décrite partout ailleurs ».
Une évaluation territoriale très fine
Les projections climatiques mobilisent quatre paramètres météorologiques : températures minimales et maximales, précipitations, évapotranspiration potentielle (ETP). Elles sont collectées dans une centaine de stations, ce qui représente trois millions de données quotidiennes. Les projections ont été réalisées sur les onze départements(1) qui financent le projet (budget de 1,5 million d’euros). Un projet unique en son genre quant à la finesse territoriale de l’analyse du changement climatique.
Avis d'expert : Olivier Tourand, éleveur dans la Creuse et référent du projet AP3C
« L’agriculture du Massif central se prend en main »
« Nous ne pouvons pas continuer à subir des catastrophes dans nos fermes. Confortés par l’importante densité de stations météo sur notre territoire, nous avons décidé d’investir dans un climatologue pour mener à bien une analyse fine et localisée de l’évolution climatique à l’horizon 2050. Les données internationales sont intéressantes pour la sensibilisation mais elles sont établies à une échelle trop large pour pouvoir nous servir concrètement. Même au niveau du Massif central, on ne peut pas donner des généralités. Avec AP3C, nous avons la réalité minimale de ce qui va se passer dans chaque secteur. Le changement climatique remet en cause les systèmes d’exploitation. L’objectif est d’avoir un outil concret pour que les agriculteurs puissent l' anticiper et faire leurs choix stratégiques de systèmes production en connaissance de cause. L’agriculture du Massif central se prend en main pour ne plus subir. »
Mise à l’herbe et fauche un mois plus tôt en altitude
Les experts ont évalué l’impact des changements climatiques sur les couverts végétaux (approche agronomique), qu’ils ont caractérisé sous forme de trente indicateurs agroclimatiques (IAC). Une partie d’entre eux portent sur les stades physiologiques de l’herbe (dates de démarrage de la végétation, de mise à l’herbe, de fauche précoce...). D’autres concernent le maïs et les céréales (risque d’échaudage et de gel). Toute une série d’indicateurs portent enfin sur des séquences clés pour la conduite des systèmes fourragers : périodes sèches, périodes favorables pour les ensilages, les foins ou les semis de prairies, choix variétaux et risque de stress hydrique pour le maïs, faisabilité thermique des dérobés... Ces indicateurs sont calculés pour chaque station météorologique. Ils montrent clairement que la pousse de l’herbe sera plus précoce. Un phénomène plus marquée en altitude, où la mise à l’herbe et les fauches pourraient être avancées de près d’un mois par rapport à 1980. Mais, le risque de gel printanier ne disparaitra pas pour autant alors que les stades végétatifs seront plus avancés. Il faut s’attendre aussi à des arrêts de pousse de l’herbe en été et à une reprise de la pousse en automne. La conduite des prairies et des troupeaux s’en trouvera modifié : dates d’apport d’azote, de mise à l’herbe et de récolte, choix des espèces et variétés fourragères, affouragement en été... Les évolutions climatiques devraient être favorables au développement du maïs dans le Massif central. Mais le risque d’accidents de végétation sera aussi plus important. Quant aux céréales, il faudra gérer à la fois une reprise de végétation plus précoce, le risque de gel toujours présent et un échaudage plus important.
« Le pire serait de ne rien faire »
Éleveurs et conseillers construisent ensemble la modélisation des adaptations des systèmes de production qu’imposera le changement climatique.
L’adaptation au changement climatique dans le Massif central ne se jouera pas à la marge. Experts et agriculteurs se sont attelés à modéliser les profondes évolutions des systèmes de production à prévoir. Des réunions ont eu lieu cet hiver dans tous les départements pour travailler sur les cas-types en utilisant la méthode du Rami fourrager, qui permet de tester différentes solutions formulées par les éleveurs. « Nous avons voulu allier les compétences et l’expérience des éleveurs avec les compétences et l’expérience des experts sur ces questions. Nous construisons la méthode tous ensemble », explique Marie Tissot, chargée de mission projet AP3C au Sidam. « Les propositions d’adaptation peuvent se regrouper sous le thème de la baisse de chargement », indique Yann Bouchard, conseiller réseaux d’élevage à la chambre d’agriculture du Cantal.
Baisser le chargement
Il a fait plancher un groupe d’éleveurs laitiers sur un cas-type avec maïs ensilage. Ils envisagent soit de diminuer la part de céréales et d’augmenter la surface en maïs pour sécuriser les stocks fourragers, mais au prix d’une baisse d’autonomie en concentrés ; soit de réduire les UGB pour mieux se caler sur les années difficiles ; soit d’agrandir la surface. L’irrigation a été évoquée aussi. « Tous les scénarios ont un impact négatif sur le revenu mais le pire serait de ne rien faire. La perte de revenu serait supérieure à 50 % », indique Yann Bouchard sur la base des premiers chiffrages. C’est la réduction de la part de céréales qui impacterait le moins le revenu.
Il reconnaît que ces modélisations sont à prendre avec précaution car elles recèlent de nombreuses incertitudes. « Même si on se trompe un peu sur les kilos de matière sèche, ce travail est très positif car il a permis de sensibiliser les éleveurs aux adaptations qui les attendent. Le projet interroge beaucoup et il y a une forte attente sur les conclusions. Quant à nous, conseillers, il nous permet d’affiner notre expertise sur ces questions de changement climatique. » Les experts vont se retrouver au cours des prochains mois pour préciser ces modélisations. Résultats attendus pour fin 2019.