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Installation hors cadre familial en Argentine : mission impossible

En Argentine, les producteurs de viande bovine qui sont parvenus à s’installer hors cadre familial sans détenir de foncier en propriété sont tout simplement rarissimes. Voici quatre cas exceptionnels de jeunes ayant relevé le défi.

La question, en soi, l’étonne. « L’adresse d’un jeune éleveur parti de rien ?…. Dans la région, je n’en connais aucun. On rencontre parfois, des footballeurs, des syndicalistes ou des hommes d’affaires qui achètent des terres et un troupeau. Mais ils le font davantage pour réaliser un placement dans le but de diversifier leur capital, se faire plaisir ou même parfois blanchir de l’argent. Les jeunes argentins qui ont constitué leur propre cheptel sur des surfaces louées en partant de rien ou du moins de pas grand-chose sont des cas vraiment rarissimes. À mon avis, c’est même impossible », répond ce fonctionnaire, conseiller technique auprès des naisseurs de la région du Salado, le plus grand bassin allaitant d’Argentine, situé au sud de Buenos Aires.

Il nous met en contact avec un de ses collègues qui a lui-même investi dans un cheptel allaitant. Ce dernier aurait « le profil d’un jeune installé hors cadre familial, comme vous dites en Europe ». On est loin du compte ! L’homme en question, José Otondo, 42 ans, fonctionnaire de son statut, tout en étant double actif a mis 15 ans à constituer un cheptel de 75 vaches angus. Et encore, il n’est que le copropriétaire pour 30 d’entre elles et n’a jusqu’à présent « presque jamais » prélevé d’argent issu de cette seconde activité. « J’épargne. Je me constitue un petit capital et je me fais plaisir en famille », dit-il.

Baux annuels pour la location du foncier

Selon lui, qui connaît bien la question à force de conseiller les éleveurs et les élèves des lycées agricoles de la région, « il est impossible, pour les non-propriétaires de foncier agricole, de pouvoir vivre de l’élevage de bovins en système extensif, car le marché foncier rural [en Argentine] est dérégulé. Les baux sont à l’année. Donc l’accès au métier d’éleveur en tant qu’indépendant ne détenant pas de foncier est de facto impossible », conclut-il.

Et ce dernier de rappeler que les jeunes candidats à l’installation doivent affronter moult difficultés. Ils n’ont droit à aucun coup de pouce de la part du Trésor public. Les possibilités de contracter un emprunt sont pour le moins risquées compte tenu des taux stratosphériques (50 % voire davantage, pour des emprunts émis en pesos) pratiqués par les banques argentines dans un contexte monétaire instable.

Dans le cadre de leur projet d’installation, les jeunes ne sont pas prioritaires pour accéder au foncier. Les baux ruraux sont annuels, et donc susceptibles d’être rediscutés chaque année et bien entendu il n’existe pas de structures équivalentes à la Safer. Le marché argentin du foncier est totalement libéralisé. Pas de possibilité de préempter pour favoriser une installation.

Ainsi, les jeunes argentins hors cadre familial, candidats au métier d’éleveur ont le salariat pour seule issue.

Le BTP comme rampe de lancement

Réussir Bovins Viande est parti à la recherche de la perle rare. Et l’a finalement trouvée à Urdinarrain, un joli bourg vallonné de la province d’Entre Ríos, fondé par des colons suisses et italiens, non loin de la berge orientale du fleuve Paraná (voir carte) à un peu plus de 200 km au nord de Buenos Aires.

Le cas des frères Denardi est exceptionnel. Non parce que ces deux gaillards posés s’entendent à merveille depuis des années. Cela les a d’ailleurs bien aidés ! S’ils méritent d’être mis en avant c’est d’abord parce qu’ils ont réussi à créer de toutes pièces leur propre élevage en dehors du cercle familial. Et surtout c’est un élevage qui aujourd’hui leur permet de se dégager chacun un revenu mensuel de 500 dollars. En Argentine, où le salaire de base est de 200 dollars, c’est un chiffre qui commence à devenir intéressant. Ils n’ont pas ménagé leur peine ces vingt dernières années et ont réussi leur pari. Mais à quel prix !

« Mon frère Javier et moi-même, travaillons dans le BTP, raconte Adrián Denardi, 38 ans. On a construit plusieurs maisons dans notre village. Nous avions 25 et 30 ans, en 2013, lorsque nous avons acheté un premier lot de 11 génisses pour les nourrir à l’herbe sur un lopin de 12 hectares, propriété d’un oncle. Au fil des ans, l’argent gagné dans le BTP nous a permis d’agrandir notre cheptel. On y a investi un total de 17 000 US$, auxquels s’ajoutent 7 000 US$ pour des machines. On a mis en place nous-mêmes les abreuvoirs et les clôtures qui sont les principaux investissements pour notre élevage conduit en plein air intégral. Et pendant trois ans, on n’a pas touché au produit de la vente des animaux », raconte-t-il.

En huit ans, ces onze génisses ont fait des veaux et leur ont permis de bien agrandir leur troupeau. Ils conduisent désormais 70 vaches mères hereford et leur suite sur 100 hectares loués au prix de 6 kg vif par hectare par mois. « Au final, 75 kg de chacun des animaux que nous vendons à un poids vif moyen de 200-220 kg sont nécessaires pour acquitter ce loyer. Il y a peu, nous finissions nos animaux aux grains jusqu’à 400 kg vif, mais avec la hausse du prix du maïs, ce n’est plus rentable. Désormais on les vend maigres. »

Déclarés au fisc comme autoentrepreneurs, les frères Denardi paient peu d’impôts. Dans l’idéal, ils voudraient agrandir leur troupeau et louer davantage de surfaces. « Mais si le propriétaire des parcelles rompt le contrat annuel que nous avons avec lui, nous devrons emmener notre troupeau loin du village, là où les terres sont meilleur marché. On devrait alors le confier à un tiers. »

Des profils parfois étonnants

Faute de pouvoir devenir patron d’une exploitation d’élevage, les « néogauchos » argentins s’adaptent au contexte et offrent parfois des profils étonnants. C’est le cas de Omar De Lucca, 41 ans, un jeune loup de la finance bovine. Il nous reçoit en costume-cravate dans son bureau lumineux de Belgrano, un des quartiers chics de Buenos Aires et propose d’emblée au journaliste venu l’interroger de placer ses quelques économies avec un alléchant retour sur investissement « 12 % d’intérêt annuel pour une mise initiale minimum de 500 dollars » !

Et pour cela, il met en avant son business « complètement intégré verticalement, depuis la prairie de la Pampa jusqu’à l’étalage en boucherie fine à Pékin ». Il l’a monté il y a trois ans avec un vieux roublard du secteur, Marcelo Manes, 58 ans, lequel a vu dans l’ouverture gargantuesque du marché chinois aux exportations argentines un bon timing pour créer Surmax, une sorte de « pool de semis » (voir encadré) en version bovine.

Le tour de table ouvert à n’importe quel investisseur ne concerne pas, ici, une campagne de soja sur six mois, mais un cycle d’élevage sur trois ans. Autre possibilité à la carte, un investissement dans seulement un cycle d’engraissement de 100 jours !

La société Surmax louerait 2 600 hectares à proximité de Roque Pérez, petite ville située à une soixantaine de kilomètres au sud-ouest de Buenos Aires. Elle abattrait elle-même ses animaux et se chargerait aussi du commerce des muscles conditionnés sous vide. « Nous exportons 60 tonnes par mois en Chine », assure Marcelo Manes, qui ne veut pas être photographié.

Lui et ses associés auraient investi 600 000 dollars en propre et levé une somme similaire auprès de 700 micro-investisseurs. « N’est-ce pas lourd à gérer ? », demande-t-on à Omar. Un sourire à peine embarrassé illustre la réponse du jeune cadre : « c’est pour cela que j’ai quatre secrétaires. Et bientôt, j’en aurai davantage ! Avec un plus grand bureau ! »

Luciano Miñola, double actif et engraissant une centaine de bovins par an à Rauch, dans le bassin du Salado

L’envie ne manque pas aux jeunes, mais on les décourage…

1. Combien de jeunes se sont lancés dans l’élevage bovin allaitant l’an dernier en Argentine et comment est promu le métier ?

Je n’ai pas connaissance du nombre de jeunes installés et ce métier est mis en avant par l’intermédiaire d’une formation professionnelle ouverte à tous et dispensée par l’Institut de promotion de la viande bovine argentine (IPCVA). Mais si vous n’êtes pas fils ou neveu d’éleveur, il est très difficile de le devenir.

2 Quelle est l’action des syndicats dans ce domaine ?

Notre cheval de bataille et notre priorité sont d’abord de chercher à réduire le niveau des impôts.

3 Le concept d’installation « à l’européenne » de jeunes éleveurs sur des exploitations de dimensions modestes est-il pertinent, en Argentine, en 2022 ?

L’envie ne manque pas à certains jeunes, qui arrivent avec de nouvelles idées, mais dès qu’ils s’assoient pour faire un budget prévisionnel, les coûts deviennent vite exorbitants. Et le discours de leurs parents vise le plus souvent à les décourager à se lancer dans ce type de projet… Le contexte économique instable de l’Argentine n’incite pas à se projeter dans le temps et l’État est perçu par les agriculteurs comme un prédateur et non comme un allié. Dans mon cas, je repousse en système herbager semi-intensif une centaine de veaux sur 26 hectares que je loue à l’année 75 kg vif/ha. Comme j’en produis 130 kg/ha, cela me permet de tirer un revenu.

Le côté pervers des « pools de semis »

Très liés au développement phénoménal de la culture du soja, les « pools de semis » sont en Argentine des sociétés agricoles qui gèrent d’immenses domaines de culture. Elles n’achètent pas le foncier mais le louent. Afin de limiter les coûts de fonctionnement, les interventions (semis, traitements phyto, moissons) sont externalisées à des entreprises. Ce modèle de production à l’opposé de l’agriculture familiale s’organise autour de deux dispositifs emblématiques : un fonds d’investissement agricole, dont la vocation est d’investir dans la production, et le « pool de culture », qui associe temporairement (parfois pour une seule saison) le propriétaire de la terre, les prestataires de services, un cabinet de conseils et des investisseurs. La multiplication des pools a favorisé la monoculture et la hausse des loyers agricoles, conduisant beaucoup de producteurs locaux à renoncer à leur activité.

Autour de 2000 euros l’hectare pour des pâtures

Dans le secteur où travaillent les frères Denardi (lire plus haut), le prix du foncier agricole est encore bien inférieur aux tarifs pratiqués dans bien des départements d’élevage français. Basé à Urdinarrain, l’agent immobilier Matías Eckerdt indique qu’au sud et au centre de la province d’Entre Ríos, le prix de vente des terres à fort potentiel agronomique avoisine en moyenne les 3 500 euros par hectare et 2 000 euros par hectare pour les pâtures. Selon lui, “c’est le moment pour acheter parce que la valeur des terrains, a diminué sous l’effet de la dévaluation du peso argentin ». Matías Eckerdt ajoute que le marché attire un nombre croissant d’investisseurs hors secteur agricole. Les terrains situés à proximité des axes routiers aiguisent tout particulièrement l’appétit des promoteurs d’autant que cette zone est à - l’échelle de la dimension de ce pays - somme toute relativement proche de sa capitale Buenos Aires.

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