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« Il est où le patron ? » : cinq agricultrices croquent le sexisme dans le monde agricole

De jeunes paysannes qui gèrent leur propre ferme se retrouvent confrontées au machisme dans le milieu agricole, entendant souvent la petite phrase « Il est où le patron ? ». C’est ce qu’ont voulu dénoncer cinq jeunes agricultrices (dont quatre ardéchoises), regroupées dans le collectif Les paysannes en polaire. Céline Berthier éleveuse de chèvres à Coux, Fanny Demarque, bergère dans le Briançonnais, Guilaine Trossat, éleveuse de brebis aux Assions, Florie Salanié, apicultrice à Rampon, Marion Boissier apicultrice et maraîchère à la Voulte, accompagnées de la dessinatrice Maud Bénézit ont travaillé plus de trois ans pour donner naissance à Il est où le patron ?, une BD militante et pleine d’humour. Jo, Anouk et Coline, les trois héroïnes vivent au fil des saisons des situations rencontrées par les auteures. Interview de l’une d’entre elles Céline Berthier, en Gaec avec Marceline Peglion depuis 2019.

De gauche à droite : Céline Berthier (interviewée ici), Maud Benezit, Guilaine Trossat, Marion Boissier, Fanny Demarque, Florie Salanié, cinq agricultrices et une dessinatrice à l’origine de la BD « Il est où le patron ? ».
De gauche à droite : Céline Berthier (interviewée ici), Maud Benezit, Guilaine Trossat, Marion Boissier, Fanny Demarque, Florie Salanié, cinq agricultrices et une dessinatrice à l’origine de la BD « Il est où le patron ? ».
© Marabulles - Les Filles en polaire

La BD « Il est où le patron ? » rencontre un succès grandissant, vous en êtes notamment à l’origine, pourquoi avoir participé à cette œuvre ?

Céline Berthier : L’éditeur était parti sur un petit tirage de 4000 exemplaires, il y a déjà eu deux réimpressions de 2000 exemplaires chacune. Avec Fanny nous avons été à l’origine du projet qui s’est construit à six. Nous sommes toutes dans des milieux féministes, c’est ce qui nous a relié. La dessinatrice (Maud Bénézit) nous a plutôt rejoint sur le thème de l’agriculture et elle s’est complètement prise au jeu.

Vous souhaitez y dénoncer le sexisme en agriculture, est-ce que vous recevez beaucoup de retours positifs de la part d’agricultrices, voire d’agriculteurs ? En conclusion vous dites toutefois que le secteur n’est pas forcément plus sexiste qu’un autre…

Oui on a énormément de messages de femmes mais aussi de quelques hommes. Comme ce matin Edmond qui nous a expliqué avoir transmis sa ferme à sa nièce et que ça se passait très bien. Nous sommes parties de situations vécues. On ne peut pas trop préjuger de ce qu’il se passe dans les autres secteurs mais les mêmes mécanismes du patriarcat interviennent. Avec la spécificité dans le monde paysan de femmes isolées avec des vies privées et professionnelles très liées. S’il y a des violences conjugales, elles se retrouvent coincées. Parfois les femmes sont reléguées à certaines tâches comme la comptabilité ou la fromagerie. C’est déjà du petit sexisme, la question de la répartition subie des tâches. Et puis dans les organisations professionnelles il y a très peu de femmes, dans les Cuma, les syndicats ou alors là aussi pour faire la comptabilité.

Lire aussi : Fières d'être agricultrices, beaucoup de témoignages à l'occasion de la journée du droit des femmes

« C’est la petite qui reprend la ferme ! Tu l’as bien choisie, jeune et jolie ! », « les mises bas, c’est un truc de femmes », « il faut avoir les couilles d’investir » ou encore « mes yaourts ne tiennent pas, t’as pas tes règles par hasard ? », ce sont des phrases que vous avez vraiment entendu ?

Ben oui. Et c’est pire quand on est salariées car on a la double subordination liée au patriarcat et au patronat. C’est difficile par exemple de prendre des rendez-vous médicaux, alors que dans nos milieux ruraux l’accès aux soins est difficile. C’est compliqué de se fâcher avec ces personnes dont on est dépendante. On doit parfois supporter des remarques comme « tu es une petite coquine toi ». C’est humiliant ! C’est dur t’entendre « t’as mis ton mini-short aujourd’hui » ! On est avant tout vu comme une nana pas comme une professionnelle.

Est-ce que vous diriez que tout est plus compliqué quand on est une femme pour s’installer en agriculture ? investir ?

Avec mon associée, on n’a pas eu ce genre de problème car on a mis la barre très haute, justement en ne voulant accepter aucun échec, nous avions un projet économique béton. Mais nous avons eu le témoignage d’une femme qui quand elle a voulu s’installer n’a pas été prise au sérieux dans les instances administratives et par une femme en plus ! S’il y a un homme dans le projet, le dossier a plus de poids.

Le portrait de l’une de vos héroïnes, Coline, met bien en avant la charge mentale qui pèse sur les épaules d’exploitantes chef de famille. Une problématique qui concerne toutes les femmes mais dans votre métier cela semble atteindre son paroxysme ?

Coline l’illustre bien oui. Elle a tout le temps des listes en tête pour la maison, le périscolaire... Elle s’occupe aussi des relations avec les beaux-parents. Les femmes sont dans la construction sociale avec le voisinage. La planche de Coline sur son tracteur a fait pas mal parler.

Sur un ton léger, vous dénoncez de vrais sujets importants dans le secteur, comme le statut des femmes sur l’exploitation, le sujet de la retraite ou encore la faible présence des femmes dans les syndicats, une prise de conscience est-elle encore nécessaire sur ces sujets ?

Quand les femmes sont à la retraite, elles sont coincées car leurs maris n’ont pas voulu les déclarer, les voyant comme une charge. Des sénatrices ont fait un rapport sur les femmes dans l’agriculture et il y a encore beaucoup de chemin à faire. Parmi les chefs d’exploitation, 20% des femmes ont plus de 60 ans, contre 12% chez les hommes, car les femmes deviennent chef d’exploitation quand leurs maris sont à la retraite.

Vous évoquez aussi l’homosexualité, un sujet encore un peu tabou en agriculture, non ? Cet ouvrage pourrait-il en ouvrir une série d’autres ?

La dessinatrice Maud est partie sur d’autres projets pour l’instant. Et puis nous sommes encore en phase de promotion. Faire la BD nous a pris 3,5 ans. On aurait voulu qu’elle sorte cet hiver quand on a un peu plus de temps, mais elle est sortie au mois de mai. Mais nous sommes déjà très contentes des retombées.

La BD valorise l’entraide entre femmes, une condition essentielle pour réussir dans ce métier ?

Ah oui carrément. C’est bien déjà d’en parler dans des groupes non mixtes. On se rend compte que les comportements sont systémiques. Et puis on se donne des outils. Ensuite il aller au-delà pour faire changer les choses en rentrant par exemple dans des organes décisionnaires. Pour faire appliquer par exemple l’obligation de déclarer son conjoint comme salarié quand il a une activité régulière sur l’exploitation. Il faudrait aussi développer l’idée de limiter le statut de conjoint collaborateur dans le temps comme cela a été dit lors d’une table ronde avec des sénatrices à laquelle j’ai participé. Les agricultrices ont désormais un congé de maternité mais elles ne sont remplacées que 7 h/j, ce n’est pas assez. Il faudrait aussi un dispositif pour prendre en compte les règles douloureuses par exemple. La parité est une forme de discrimination positive mais elle est nécessaire pour les instances décisionnaires. Des formations seraient par ailleurs utiles pour se donner des compétences : savoir souder ou encore savoir entretenir son tracteur.

Pensez-vous que cet ouvrage peut contribuer à faire évoluer les choses dans le secteur ?

J’espère ! Cet automne on aimerait aller en parler dans les lycées agricoles. J’aimerais aussi que grâce à cette BD des femmes se disent qu’elles ne sont pas toutes seules et reprennent confiance en elles. Au congrès de la Confédération paysanne, j’ai appris qu’un groupe non mixte avait été monté dans un département suite à la lecture de la BD, ça m’a fait plaisir.

Lire aussi : De la femme d'agriculteur à agricultrice un long parcours de femme

Lire aussi : " Les femmes ont autant leur place que les hommes "

 

 

 

 

 

 

 

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