Grands contenants : un élevage du vin qui garde la fraîcheur
Investir dans un foudre est une tradition qui retrouve de l’intérêt avec le réchauffement climatique et l’évolution des tendances de consommation. Éléments patrimoniaux, voire affectifs ou de prestige, les grands contenants se révèlent moins onéreux à long terme que les fûts. Témoignages d’utilisateurs.
Investir dans un foudre est une tradition qui retrouve de l’intérêt avec le réchauffement climatique et l’évolution des tendances de consommation. Éléments patrimoniaux, voire affectifs ou de prestige, les grands contenants se révèlent moins onéreux à long terme que les fûts. Témoignages d’utilisateurs.
« Même si la conjoncture contrecarre un peu la tendance, nous confirmons une appétence pour les grands contenants », note Frédéric Rousseau, président de la tonnellerie Rousseau, qui produit environ 250 foudres par an. Avec la diminution des acidités et les consommateurs qui boudent le boisé, les foudres peuvent constituer une alternative pour un élevage sous bois.
C’est la solution qu’a choisie Nicolas Cheveau, vigneron à Solutré, en Saône-et-Loire, pour vinifier et élever ses pouilly-fuissé et mâcons blancs. Après avoir arrêté l’élevage en foudres en 2014 suite à un changement de cuverie, il vient de réinvestir dans neuf unités de 18 hectolitres. Son objectif ? Conserver un maximum de fraîcheur et obtenir un boisé plus fin. « J’étais déjà passé à des barriques de 600 litres et quelques 300 litres, car nous avions constaté l’apport positif sur la fraîcheur et le volume. Et là, nous sommes repartis sur des foudres, car le domaine s’est agrandi de 3 hectares et il nous semblait difficile de tout passer dans les demi-muids », explique le vigneron.
Vérifier l’hygrométrie de la cave
Après la récolte 100 % manuelle et un léger foulage, la vendange est pressée, débourbée à 15 °C pendant 12 heures, puis entonnée. Le foudre est rempli en priorité. Le reste, s’il y en a, est logé en demi-muid. Les FA et FML se font naturellement. L’élevage dure 12 mois pour les premiers crus, sans soutirage et sans bâtonnage pour ne pas alourdir les vins. « Nous avons aussi acheté récemment trois foudres ovales de 45 hectolitres pour l’élevage de nos gamays », complète Nicolas Cheveau. Les vins ne reçoivent que 2 à 3 g par hectolitre de SO2 après FML et restent 24 mois en élevage. Nicolas Cheveau obtient ainsi des vins sur le fruit, qui se gardent bien.
« Nous sommes en bio et nous souhaitons utiliser de beaux outils, faire des cuvées soignées », résume le vigneron. Ce qui ne signifie pas refuser les innovations. Terminé les portes en bois à bâtir avec du mastic : les foudres sont équipés de portes en inox faciles à manipuler, de drapeaux et de sondes de température pour la thermorégulation. Le vigneron utilise aussi une pompe PMH pour le remplissage. « Nous programmons un volume de 17 hectolitres, avec un creux pour la FA. Il n’y a plus rien qui déborde, c’est un vrai confort de travail », témoigne-t-il.
Il vérifie régulièrement l’hygrométrie pour éviter trop de consume et des goûts de « bois sec » dans les vins. Sa cave de plain-pied, avec graviers sous les fûts, est en moyenne à 75 % d’humidité, « l’idéal » selon lui.
Lorsqu'ils visitent la cave, les clients sont impressionnés
Au Château de La Font du Loup, à Chateauneuf-du-Pape, les foudres apportent rondeur et sucrosité aux grenaches, sans les boiser. Aux trois foudres de 35 hectolitres achetés en 2014 pour la cuvée haut de gamme, viennent de s’adjoindre deux foudres de 50 hectolitres chacun. « Nous avons vu que nous avions gagné en qualité et nous avons souhaité poursuivre sur notre cuvée de cœur de gamme », indique Stéphane Dupuy d’Angeac, œnologue.
Les vins sont entonnés avant FML, si possible, pour un meilleur fondu et restent une année sous bois. « Les foudres conviennent bien à nos grenaches, avec des tanins assez fins. Si l’hygiène est correcte, le bois ne génère pas plus de problèmes que les autres matériaux », estime l’œnologue qui conseille toutefois une surveillance renforcée : lui-même effectue deux analyses du SO2 et de l’acidité volatile pendant l’hiver, puis une par mois au printemps, quand la cave et les vins commencent à se réchauffer.
L’entretien annuel des foudres se fait au nettoyeur haute pression à eau chaude, par l’intérieur. La porte ovale est à l’horizontale, pour un accès plus facile. « L’avantage de rentrer dans les foudres est de pouvoir les inspecter », estime Stéphane Dupuy d’Angeac. Quant au choix de la taille ? « Nous voulions un impact le plus neutre possible sur les vins, donc un contenant le plus grand possible. Nous avons choisi 2 x 50 hectolitres plutôt que 3 x 35 hectolitres, ce qui revient moins cher. » L’investissement s’élève à environ 46 000 euros, financé par un emprunt.
Avec un impact qui va au-delà de l’œnologie. « C’est un plus pour nous en termes d’image, souligne le responsable. Lorsqu’ils visitent la cave, les clients sont souvent impressionnés. Ce sont de beaux objets, issus d’un savoir-faire artisanal français, qui montrent que nous continuons à investir dans la qualité. »
22 mois en foudres avec deux soutirages
Au domaine Ray-Jane, au Castellet, dans le Var, les foudres font partie du fonds de commerce. « Nous avons 30 foudres de 10 à 80 hectolitres, pour une capacité totale d’environ 2 000 hectolitres », indique Vincent Constant, 29 ans. Le jeune vigneron, qui a repris le domaine familial avec son frère Julien, perpétue la tradition. Si les deux frères utilisent encore quelques foudres que leur grand-père avait acquis, ils en ont aussi acheté avec l’agrandissement des surfaces de 15 à 40 hectares. Le domaine produit environ 800 hectolitres de vin rouge, en AOP bandol et IGP var, commercialisés entre 10 et 35 euros la bouteille. Or les bandols doivent obligatoirement être élevés sous bois pendant au moins 18 mois.
« Le mourvèdre est déjà assez tannique, nous avons choisi les grands contenants pour de pas rajouter les tanins du bois, mais seulement profiter de l’apport d’oxygène », résume Vincent Constant. Après une macération de 5 semaines en cuve inox en grappes entières, une décantation de 4 à 5 jours, les vins sont entonnés dans les foudres pour 22 mois, avec deux soutirages : un en mars après le premier hiver, le second juste avant la mise. Les vins ne sont ni filtrés ni collés.
Ne jamais laisser les foudres vides
La méthode d’entretien n’a pas évolué : à l’eau froide (sous pression), à la truelle et à la brosse. « Nous n’avons jamais eu de problème, donc nous préférons conserver notre technique qui a fait ses preuves. Ça ne prend que 25 minutes par foudre ! » Le secret ? Ne jamais laisser les foudres vides. Soit ils sont pleins de vin, soit ils contiennent un fond de vin (40 à 50 litres) et sont méchés avec du soufre. Un test à l’eau est prévu s’ils n’ont pas été totalement remplis depuis quelques mois. Quatre à cinq jours d’humectation suffisent généralement à colmater les fuites. Les réparations, si nécessaire, sont effectuées au mastic.
Malgré leur intérêt, les grands contenants demeurent plutôt destinés à des vins bien valorisés. « Seuls 2 à 3 % des vins dans le monde passent sous bois et seulement 1 à 2 % de ceux-ci en foudres. Si la tonnellerie était le bijoutier, la foudrerie serait le joaillier », compare Laurent Lacroix, directeur de Brive tonneliers, dont l’atelier façonne environ 200 foudres chaque année. Au total, les tonneliers français ont vendu 1 613 grands contenants en 2024-2025, soit une baisse de 20 % en volume et 4 % en valeur par rapport à 2023-2024.
Les grands contenants, c’est quoi ?
Il est couramment admis que les grands contenants débutent à 1 000 litres de capacité. Ils se répartissent en trois familles :
- Les cuves pour les spiritueux, de 10 000 à 60 000 litres, pour la finition ou des mises en masse avant embouteillage.
- Les cuves tronconiques de vinification de 2 000 à 6 000 litres, pour les vins rouges avec apport de boisé.
- Les foudres, à partir de 1 000 litres, de forme ronde ou ovale, pour l’élevage des rouges et la vinification et l’élevage des blancs.
Combien ça coûte ? Un calcul à long terme
Plus cher à l’achat qu’un volume équivalent en petits contenants (compter 15 000 euros pour un foudre de 20 hectolitres rond avec une porte, une vanne et une bonde et des supports basiques), le foudre est pourtant moins onéreux à long terme. Une barrique de 225 litres à environ 1 000 euros, va coûter 1,50 euro le litre pour quatre années d’usage. Un foudre revient à moins de 1 euro le litre avec un amortissement sur huit ans, alors qu’il va durer bien plus longtemps. « Les foudres sont des contenants durables, insiste Hubert Staquet, directeur vente grands contenants chez Seguin Moreau. Quand on achète un foudre, c’est pour toute sa vie ou plusieurs dizaines d’années a minima. »