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L’agriculture russe renaît dans les choux

L’embargo russe sur les produits agricoles européens a changé la donne au pays des tsars. Aujourd’hui, une production, encore marginale, de choux-fleurs et brocolis comble le vide.

Les agriculteurs russes sont les grands gagnants de l'embargo entre leur pays et ceux de l'Union européenne.
© D. Penguilly

L’embargo alimentaire de la Russie envers les pays de l’Union européenne a bouleversé la donne agricole dans ce vaste état (voir ci-contre « L’embargo a dopé l’agriculture russe »). Si les effets les plus spectaculaires se font sentir pour les céréales, les fruits et légumes n’échappent pas à la règle. Et dans ce grand chamboule tout, les choux prennent aussi leur place. Le chou cabus reste l’indétrônable de sa catégorie, très populaire auprès des consommateurs. Pourtant, le chou-fleur et le brocoli commencent à se faire une petite place de choix, en particulier auprès d’une clientèle plus urbaine. Actuellement, 5 000 hectares sont consacrés à la production de chou-fleur, 1 000 hectares pour le brocoli contre 40 000 hectares pour le chou cabus. Si le rapport de force est posé, ces nouvelles cultures présentent néanmoins des possibilités de diversification pour des producteurs détenant déjà un savoir-faire technique et les outils.

Rendez-vous à la frontière ukrainienne

Cap sur la région de Voronezh. On se trouve à la frontière ukrainienne, à plus de 500 km au sud de Moscou, où s’alignent des hectares de chou-fleur et brocoli. Certains producteurs ont saisi l’opportunité de rayons de supermarché laissés vides par l’embargo.

Chan est Coréen et produit en Russie depuis huit ans. Son exploitation compte 400 hectares, dont 70 sont dédiés au chou-fleur. Si la terre noire comprend 6 % de matières organiques et s’avère profonde (+1,5 m), la qualité de ses choux n’est pas totalement au rendez-vous. Ils sont destinés à l’industrie, en surgélation. La densité de plantation est de l’ordre de 30 000 à 35 000 plants par ha. Un système de ferti-irrigation (goutte-à-goutte) est mis en place lors de la plantation, avec une eau gratuite prélevée dans un lac voisin. Chan désherbe ses choux avec des spécialités à base de Métazachlore, bine deux à trois fois ses cultures. Il réalise aussi trois à quatre applications contre la teigne et les larves de mouche. Parmi les ravageurs, l’expatrié note également la présence de Xanthomonas campestris, la hernie et les pucerons.

Toujours près de la frontière ukrainienne, Nina, productrice de légumes, est installée dans une zone détaxée. Elle a réduit la part de chou cabus, moins rémunératrice, pour se lancer dans un premier temps dans le brocoli, il y a quatre ans, sur 90 hectares. Depuis un an, elle a complété sa gamme avec le chou-fleur sur 15 hectares. Comme pour Chan, ses choux sont uniquement destinés à l’industrie. Ses rendements sont de l’ordre de 20 tonnes par ha pour le brocoli et 30 tonnes par ha pour le chou-fleur. Elle désherbe avec du Métazachlore et un anti-graminées et apporte 160 kg d’azote. Les cultures sont binées trois fois. Nina a investi dans un pivot pour l’irrigation et élève ses propres plants en serre chauffée.

Une filière encore peu organisée

Les agriculteurs de fruits et légumes se sont rapidement adaptés au contexte politique individuellement, mais ils restent isolés et mal organisés collectivement. S’ils possèdent un savoir-faire indéniable acquis par la culture du chou cabus, ils n’ont en revanche accès à aucune structure de conseil.

De même, la taille gigantesque de la Russie n’est pas pour aider la filière à développer son marché en frais. Aujourd’hui, l’essentiel de la production reste destiné à l’industrie. A part de grandes agglomérations telles que Moscou et Saint-Pétersbourg où un marché urbain de chou-fleur et brocoli existe, les autres villes sont trop éloignées pour envisager une logistique efficace et rentable du « frais ». Ces deux productions de choux demeurent encore des marchés de niche… Mais qui sont peut-être amenés à grandir. En effet, les atouts ne manquent pas. A la maîtrise technique déjà évoquée, il faut ajouter des surfaces disponibles où les sols profonds sont riches en matière organique, comme sur l’exploitation de Chan. Le recrutement de main-d’œuvre n’est pas un souci en Russie, entre étudiants et étrangers (immigrés de l’Est), et elle s’avère peu chère. Enfin, le réseau de la grande distribution est encore jeune et son évolution pourrait apporter de nouveaux marchés intérieurs aux producteurs de chou-fleur et brocoli.

Si le chantier est encore loin d’être abouti pour les producteurs de fruits et légumes, de toute manière, on ne peut que constater que l’embargo décrété par leur gouvernement a été la meilleure chose qui a pu leur arriver !

 

Tiré de l’article « Chou-fleur et brocoli au pays des tsars » - Damien Penguilly (Caté) et Gaëlle Juton (Cerafel/Prince de Bretagne), paru dans Aujourd’hui et demain n° 133, novembre 2017

Les auteurs remercient la société Syngenta pour l’organisation du déplacement.

 

L’embargo a dopé l’agriculture russe

S’il y a eu deux perdants à la crise qui oppose les pays de l’Union européenne et la Russie, ce sont les agriculteurs de l’UE et les consommateurs russes. Mais, le mal risque de plus durer pour les premiers que pour les seconds. En effet, depuis 2014, des sanctions bilatérales ont gelé le commerce entre l’UE et la Russie, suite à l’annexion de la Crimée par le pays de Vladimir Poutine. Les Russes ont décidé de prolonger leur embargo des produits européens jusqu’à la fin de l’année 2018.

Plus de huit milliards de manque à gagner

En France, ce sont les producteurs de porcs, de produits laitiers, et de fruits et légumes qui ont été les plus pénalisés. On estime le manque à gagner pour les agriculteurs français à 8,1 milliards d’euros. Et le marché russe pourrait être perdu en grande partie. En effet, si au début des hostilités les rayons étaient vides, depuis, la Russie s’est organisée. Elle vise même l’autosuffisance alimentaire en 2020 (sans qu’on sache si cet objectif reste réaliste ou pas). Toujours est-il que le pays est déjà devenu une superpuissance céréalière, en particulier pour le blé. Concernant les fruits et légumes et le porc, la Russie se déclare autosuffisante. Moscou a adopté la stratégie des subventions aux agriculteurs et permis aux étrangers de louer des terres. En parallèle, les grands groupes du négoce ont investi, alléchés par les incitations fiscales et les aides d’Etat. A titre d’exemple, 2,4 milliards d’euros ont été investis en trois ans dans des serres modernes pour la production de tomates. En milieu d’année dernière, la production russe de tomates représente 40 % du marché. Le fruit reste cher mais on estime que son prix baissera quand ce taux arrivera à 80 %. Pour compléter, on note que les légumes de serres se portent bien aussi. La production a augmenté de plus de 13 % entre 2016 et 2017, pour atteindre presque 700 000 tonnes. Et c’est le concombre qui est largement en tête avec 450 000 tonnes récoltées. Arrivent ensuite les tomates, avec pratiquement 230 000 tonnes.

L’embargo a certainement « juste » accéléré la volonté de la Russie à se recentrer sur sa propre agriculture. Des spécialistes estiment, qu’avec ou sans embargo, ce tournant aurait été pris de toute manière. La qualité des produits n’est pas encore au rendez-vous sur les étals russes mais la montée en gamme interviendra très certainement dans un second temps.

Delphine Cordaz

Sources : Le Figaro, Les Echos, Courrier International, Izvestia, Fructidor

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