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En Alsace, la cueillette de nuit révolutionne la récolte d'asperges

Des problèmes de main-d’œuvre ont poussé la ferme Dollinger à récolter ses asperges la nuit. L’initiative peut surprendre mais ne comporte que des avantages.

Avec l'arrivée de ramasseurs saisonniers espagnols, la ferme Dollinger est passée avec intérêt et satisfaction à la récolte de nuit.
© C.Befve

A peine débarqué de la camionnette, le petit groupe se disperse dans la parcelle. Deux jeunes hommes passent entre les rangées et, comme le ferait un kayakiste, manient une barre de débâchage terminée à chaque extrémité par une boucle métallique. Le reste du groupe sonde déjà les buttes avec une gouge à l’extrémité recourbée pour être plus efficace. Il pourrait être 7 h du matin. Sauf qu’il est 19 h. C’est l’heure habituelle à laquelle débute la « journée » de travail. Et quand les membres du groupe s’interpellent entre les lignes, c’est en espagnol ! « Cela fait vingt-cinq ans que nous faisons appel à des saisonniers étrangers », explique Emmanuel Dollinger, gérant de la ferme éponyme, à Hoerdt, près de Strasbourg. « Longtemps, nous avons embauché des Polonais. A chaque fois, six anciens encadraient deux ou trois jeunes. Les soucis sont apparus en 2015. La génération née après 1985 était moins motivée. Des problèmes relationnels sont survenus, beaucoup de conflits ont éclaté. Il y a quatre ans, mon adhésion à Asperge avenir m’a mis en relation avec un technicien qui m’a mis sur la piste d’une main-d’œuvre motivée du côté de Malaga. En 2017, j’ai échangé sur le sujet à Bordeaux avec des collègues confrontés aux mêmes soucis ».

 

 

Emmanuel accueille son premier groupe de huit saisonniers espagnols en 2018. Ces derniers bousculent vite les habitudes de la récolte qui démarrait à 6 h pour se terminer à midi, parfois plus tard. « L’an passé, il a fait très chaud. Au bout de dix jours, Juan, le chef d’équipe m’a proposé de travailler à partir de 19 h ou 19 h 30, me disant que la nuit, on ne souffre pas de la chaleur, qu’on est plus efficace et plus tranquille », se souvient Emmanuel. Il est d’abord réticent mais se laisse convaincre de faire un essai, à la lampe frontale. Les coups de fil avertissant Emmanuel d’une activité nocturne inhabituelle dans son aspergeraie sont fréquents. Mais le test est concluant. En quinze jours, le groupe se familiarise avec l’unique parcelle de 10 ha. Aujourd’hui, il est entièrement libre de gérer son temps et la récolte en fonction de la météo. « Du moment que j’ai le maximum d’asperges qui m’attendent le matin en caisses de 6 kg. Juan s’y connaît. Il a 47 ans et vingt-huit ans d’expérience dans l’asperge », commente Emmanuel. « Ça se passe maintenant ici comme en Navarre », complète Juan. « 2018 constitue une révolution dans la gestion de la récolte. Je suis gagnant sur tous les plans, constate Emmanuel. Les asperges fraîches sont stockées dans la camionnette garée dans la cour entre 4 et 6 h du matin. Quand je démarre ma journée à 7 h, il me suffit de compter les caisses pour connaître instantanément le volume dont je dispose à la vente. J’améliore mon prévisionnel de répartition des quantités selon les circuits. Jusque-là, je ne savais qu’en dernière minute si je pouvais satisfaire certaines demandes, quitte à ce que le besoin n’existe plus une fois que j’avais la réponse. Le chiffre d’affaires réalisé a augmenté. La valorisation est meilleure mais il est difficile de dire de combien. Elle est liée à l’année. En 2019, la météo nous a imposé dix jours de récolte supplémentaire pour cueillir un volume équivalent à 2018. Dès lors les coûts ne sont pas les mêmes ». L’organisation du travail a été tout autant chamboulée. « Avant, le conditionnement s’étalait sur la journée pour s’achever autour de 18 h. Là nous passons de 700 kg à 1 tonne sur la matinée et nous terminons pour midi. Et il suffit à l’atelier d’un peu plus de deux personnes pour tourner contre quatre auparavant », raconte Emmanuel. Comme certains clients l’ont fait remarquer, la qualité de l’asperge s’est améliorée. « Elle n’est plus cueillie sous le soleil. Il y a moins de têtes brûlées. Elle est plus fraîche, plus facile à refroidir. Elle se garde aussi plus longtemps bien qu’elle ne soit stockée que deux jours au plus ».

Les consignes traduites via smartphone

La ferme Dollinger amortit sa seule camionnette de jour comme de nuit. Elle a réorienté ses saisonniers polonais au conditionnement et laisse la récolte à son groupe espagnol. « Le salaire n’est pas soumis à majoration du moment que le travail est la conséquence d’une mise en place d’une organisation temporaire en horaires décalés », signale Emmanuel. Concrètement, les cueilleurs de nuit sont payés à l’heure sur la base du SMIC + 10 % et le chef d’équipe bénéficie de 15 % supplémentaires. Le rôle de Juan est de relayer les consignes au champ. La barrière de la langue est contournée grâce à une application de traduction automatique sur smartphone. La ferme met deux appartements à disposition de l’équipe qui est venue avec Carmen, l’épouse de Juan, qui se charge de son intendance. Le groupe travaille sept jours sur sept à raison de 40 à 45 heures par semaine. A tour de rôle, chaque membre prend sa journée afin de respecter la réglementation sur le repos hebdomadaire. La nouvelle organisation du travail adoptée par Emmanuel comme trois autres producteurs en France (deux en Aquitaine et un dans les Hauts-de-France) fait beaucoup parler et réfléchir ses collègues alsaciens. L’an passé, ses saisonniers sont rentrés au pays pendant deux semaines. Quatre sont revenus pendant trois mois pour la récolte des autres productions de la ferme. Un moyen pour Emmanuel de résoudre un souci de main-d’œuvre impossible à satisfaire de manière durable avec des postulants locaux de moins en moins nombreux et de moins en moins enclins à vouloir occuper les postes proposés.

Christophe Reibel

10 ha et 3 variétés

La ferme Dollinger consacre 11 000 m² de serres et 50 de ses 150 ha aux légumes : aubergines, concombres, poivrons, tomates. La surface d’asperges a doublé en dix ans pour couvrir à présent 10 ha. Elle se concentre sur trois variétés : Vitalim, Grolim et Herkolim. Emmanuel Dollinger compte développer cette dernière, car « c’est la plus régulière. Elle produit une asperge droite, homogène, aux pointes fermées quand il fait chaud. Le calibre moyen se situe entre 20-22. Pour moi, c’est l’idéal ». La ferme écoule 70 % de ses asperges à la ferme, 20 % chez des grossistes et 10 % en restauration. Elle emploie dix permanents auxquels s'ajoutent des saisonniers pendant huit à dix semaines dans l’année.

 

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