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Loi Agec et emballage plastique des fruits et légumes : « Le décret du 20 juin 2023 en vigueur est un décret fragile »

Alors que l’UE est en cours de rédaction de sa réglementation sur l’emballage plastique et que le décret du 20 juin 2023 est entré pleinement en application le 1er janvier 2024, force est de constater que le flou demeure total. Est-ce la fin de l’emballage plastique des fruits et légumes dans les rayons ? Qui risque quoi ? A quoi s’attendre pour les prochains mois ? Retour sur un feuilleton juridique autour de la loi Agec qui a agité les filières depuis 2021 et tentative de décryptage avec Fabien Gaucher, responsable du service des Affaires Juridiques à Interfel.

Dans le rayon fruits et légumes d’un Lidl à Nanterre (Hauts-de-Seine) le 19 janvier. Salades, endives et champignons font notamment partie des 29 produits exemptés de l’interdiction d’emballage plastique du décret du 20 juin 2023 de la loi Agec.
© Julia Commandeur

Il y a quelques semaines, alors que l’année 2024 débute, consommateurs et écologistes s’affolent : il y a encore du plastique dans les rayons fruits et légumes. Pourtant les médias s’en étaient fait l’écho, l’interdiction des emballages plastique autour des fruits et légumes était prévue, selon la réglementation de la loi Agec, pour le 1er janvier 2024. 

Commençons déjà par désamorcer un mythe : il n’a jamais été question de la fin totale du plastique pour les fruits et légumes. A l’époque où le dispositif devait initialement entrer en vigueur le 1er janvier 2022, des exceptions, bien plus nombreuses et des nuances, étaient déjà prévues. Alors aujourd’hui, que dit la réglementation française ? Le point sur les emballages plastique autour des fruits et légumes avec Fabien Gaucher, responsable du service des Affaires Juridiques à Interfel, l’interprofession des fruits et légumes frais.

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Retour sur 3 ans d’histoire et de tentatives de décrets

Aujourd’hui la réglementation sur le plastique est couverte dans l’article 77 de la loi Agec transposé dans le Code de l’Environnement. Mais la disposition législative dans ce cas n’est pas autonome*, c’est-à-dire qu’elle ne se suffit pas part elle-même. Un décret d’application doit détailler les modalités pratiques.

*le Conseil d’État l’a bien indiqué dans sa décision du 9 décembre 2021 : « cette annulation [du décret du 8 octobre 2021] rend inapplicable l’interdiction prévue au 16e alinéa du III de l’article L. 541-15-10 du code de l’environnement »

 

  • Tentative n°1 : le décret du 8 octobre 2021, annulé par le Conseil d’Etat

Un premier décret, du 8 octobre 2021, listant les exemptions, avait été annulé par le Conseil d’Etat le 9 décembre 2022. Annulé, car le décret, en exemptant de l’interdiction des emballages plastiques certains fruits et légumes frais qui ne présentent pas de risque de détérioration lors de leur vente en vrac et en prévoyant que ces exemptions sont limitées dans le temps, ce décret donc allait plus loin que la loi dont il était issu. 

A noter que ce décret avait été notifié préalablement à l’état de projet à la Commission européenne en application de la directive 2015/1535.

Emballages plastique : après l'annulation du décret Fruits et légumes de la loi Agec, les filières réagissent

 

  • Tentative n°2 : le projet de décret du 15 décembre 2022, bloquée par la Commission européenne

Ni une, ni deux, le gouvernement, sans consulter de nouveau ou négocier avec les organisations professionnelles, établit un nouveau projet de décret le 14 décembre 2022 (soit quelques jours seulement après la décision du Conseil d’Etat). Ce projet de deuxième décret a été notifié le même jour à la Commission européenne*.

Emballages plastique : déjà un nouveau projet de décret, que dit-il ?

Faisant le constat qu’un projet de règlement européen sur les emballages qui couvre le même domaine avait été proposé le 30 novembre 2022, la Commission européenne a décidé de bloquer l’initiative française jusqu’au 15 décembre 2023**.

*en application de l’article 5 de la directive (UE) 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil du 9 septembre 2015 prévoyant une procédure d’information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information.

** conformément à l’article 6, § 4 de la directive.

 

  • Tentative n°3 : le décret du 20 juin 2023, qui fait fi de l’Europe

Quelques mois passent. A l’étonnement général, sans attendre l’expiration de la période de notification, le gouvernement français adopte le 20 juin 2023 un nouveau décret, en remplacement du premier décret (celui du 8 octobre 2021 qui avait été annulé en Conseil d’Etat) et du deuxième projet de décret (celui du 14 décembre 2022, toujours bloqué jusqu’au 15 décembre 2023 par la Commission).

Légèrement différent de la 2e version, sans notification à la Commission européenne, ce 3e décret, publié dès le lendemain 21 juin au Journal Officiel, est entré officiellement en vigueur le 1er juillet 2023 mais est réellement applicable depuis le 1er janvier 2024 puisqu’il prévoyait un délai jusqu’au 31 décembre 2023 pour écoulement des stocks.

Emballage et loi AGEC : que prévoit le 3e décret concernant les fruits et légumes, publié le 21 juin ?

La question est de savoir si l’Etat français était dans son droit en ne notifiant pas une nouvelle fois à la Commission européenne. L’article 5, point 1, paragraphe 3 de la directive 2015/1535 dispose en effet qu’un Etat membre doit procéder à une nouvelle communication à la Communication d’un projet de règle technique si des changements « significatifs » ont eu lieu [lire plus bas]. Mais il faut tenir compte également du fait qu’un deuxième projet de décret d’application relatif à la même disposition législative était bloqué par la Commission européenne, ce qui donne une situation totalement inédite.

 

 

Que dit la réglementation française au 1er janvier 2024 ?

Le décret du 20 juin 2023 pris pour l’application de l’article 77 de la loi Agec rend en principe applicable, à compter du 1er janvier 2024, l’interdiction des emballages plastiques pour tous les fruits et légumes frais à l’exception de : 

  • ceux qui qui sont conditionnés par lots de 1,5 kg ou plus
  • ainsi qu’à ceux qui présentent un risque de détérioration lors de la vente en vrac (dont la liste figure au II de l’article 1er ,  29 produits au total).

Le respect de l’obligation de présentation des fruits et légumes frais dans un emballage exempt de tout plastique concerne les détaillants et la grande distribution, étant donné que la loi vise le stade de l’exposition à la vente au détail. Les producteurs, dans leur très grande majorité, ne sont pas concernés. Mais dans les faits, le distributeur n’a pas les moyens matériels et temporels d’enlever avant mise en rayon tous les emballages plastique des fruits et légumes qu’il pourrait recevoir. Par cahiers des charges et exigences commerciales, on en arriverait donc dans les faits à un transfert de l’interdiction de l’emballage plastique aux fournisseurs et producteurs.

Même si l’articulation entre les textes dans le code de l’environnement n’est pas simple, il semble que le non-respect de cette prescription soit sanctionné par une amende administrative maximale de 15 000 euros (et non 45 000 € comme on a parfois pu le lire dans la presse début janvier). Seuls les opérateurs qui vendent leurs produits aux consommateurs peuvent être inquiétés par d’éventuelles sanctions.

Dans le rayon fruits et légume d’un Lidl à Nanterre (Hauts-de-Seine) le 19 janvier. Le décret du 20 juin 2023 exempte d’interdiction d’emballage en plastique les lots de plus de 1,5 kg, comme c’est souvent le cas pour les pommes de terre. Fruits mûrs à points -si tel qu’indiqué sur l’emballage- sont aussi exemptés. Les emballages alternatifs ne sont pas concernés. © Julia Commandeur

 

 

Le décret du 20 juin 2023, un « texte fragile »

Deux faits peuvent venir nuancer la légitimité de cette 3e tentative de décret.

  • La position de la Commission européenne

D’une part, la Commission européenne a pris une position officielle le 6 décembre 2023. Alors qu’elle est parfaitement informée que deux projets de décret relatifs à la même disposition législative ont été notifiés, elle y estime que la France a violé la procédure en adoptant son texte avant la fin du délai d’attente et lui demande d’abroger le décret du 20 juin 2023 et, si elle le souhaite, de notifier un nouveau projet destiné à remplacer le texte en question.

« La Commission vous informe que le dossier de notification en référence a été clôturé le 06-12-2023 pour le motif suivant : Le texte a été adopté par l’État membre avant la fin du délai d’attente prévu à l’Article 6 de la Directive (UE)2015/1535. La Commission invite donc l’État membre concerné à l’informer des mesures qu’il entend prendre pour remédier à cette situation : soit une abrogation totale du texte en question [décret du 20 juin 2023, NDLR], soit une notification d’un nouveau projet destiné à le remplacer. Elle tient à souligner, à cet égard, que, dans son arrêt du 26 septembre 2000 (Affaire C-443/98), la Cour de Justice a déclaré que la violation des obligations de report de l’adoption prévues à l’Article 9 de la Directive 83/189 constitue également un vice de procédure substantiel de nature à entraîner l'inapplicabilité des règles techniques. »

« La position de la Commission européenne n’a pas en tant que tel d’effet direct sur l’ordonnancement juridique en France, mais elle représente un message extrêmement fort. Comme elle l’a rappelé, la Commission peut lancer une procédure d’infraction contre la France et, si celle-ci est infructueuse, elle peut saisir la Cour de Justice de l’Union européenne. Le décret du 20 juin 2023 est donc très fragile », estime Fabien Gaucher.

  • Le recours devant le Conseil d’Etat, toujours en cours

D’autre part, un recours devant le Conseil d’Etat saisi par Plastalliance, le syndicat de la plasturgie, pour excès de pouvoir, est toujours en cours. Le Conseil d’Etat doit se prononcer sur la légalité du décret du 20 juin 2023 dans les prochaines semaines et aura à se prononcer sur la violation du droit européen (ordonnance de clôture notifiée pour fin janvier donc une audience a priori pour le 1er trimestre).

 

« Compte tenu de la position de la Commission européenne, la probabilité est grande que le Conseil d’Etat annule le décret, une nouvelle fois. Dans ce contexte, le risque est extrêmement faible que l’Etat commence des opérations de contrôle et encore moins qu’il procède à des poursuites avant la clarification par le Conseil d’Etat », estime Fabien Gaucher.

Et que dit la règlementation européenne ?

Le texte pour une réglementation européenne sur les emballages n’est, à date, pas encore stabilisé. Fin novembre, le Parlement avait adopté sa proposition, qui prévoyait notamment une exemption totale pour les fruits et légumes

Vote du Parlement européen sur les emballages : pourquoi l’AREFLH est soulagée

Par la suite, le Conseil de l’UE a remis dans le texte un certain nombre de points mais en restant plus souple que la position française (par exemple l’exemption pour les lots de 1 kg et plus, et non pas 1,5 kg comme le prévoit la France). Le texte rentre désormais en phase de trilogue (Commission européenne, Conseil de l'Union européenne et Parlement européen). 

Est-ce que l’entrée en vigueur du futur règlement européen modifiera les réglementations nationales sur les emballages déjà prises et en vigueur ? Y aura-t-il un maintien des règles nationales mais limité dans le temps ? Le texte qui sera adopté devra le préciser.

Mais la Commission européenne a rappelé dans le cadre de la procédure de notification du deuxième projet de décret  « qu’une fois le règlement relatif aux emballages et aux déchets d'emballages adopté, les États membres ne seront pas en mesure de maintenir ou d’introduire des règles nationales sur les questions couvertes par les règles harmonisées au titre de ce règlement ».

 

En conclusion

Fabien Gaucher le reconnaît : « Aujourd’hui, la situation n’est vraiment pas claire pour les opérateurs qui doivent procéder à des investissements très coûteux qui pourraient s’avérer inappropriés au moment où le règlement européen entrera en vigueur. Interfel n’incite pas à aller contre la réglementation française, mais nous pensons que le risque de sanctions est minime tant que le Conseil d’Etat n’a pas rendu sa décision. D’autant plus qu’il n’est pas clair non plus de qui, des services de l’Etat, est en charge des contrôles. Ce qui est sûr, c’est que ce décret du 20 juin 2023 en vigueur est fragile compte tenu de la position de décembre 2023 de la Commission européenne et du recours devant le Conseil d’Etat. »

Par ailleurs, Interfel a, à plusieurs occasions, exprimé sa volonté d’aller dans le sens de la réglementation française pour réduire au maximum le plastique autour des fruits et légumes, mais à la condition que ce soit harmonisé au niveau européen. En clair : “les mêmes règles pour tous”.

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