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Des prix moins élevés en céréales... mais encore beaucoup de questions

Crise chinoise, décision de la Fed, conflit en Ukraine et au Moyen-Orient…, de nombreux éléments touchent de près ou de loin l'évolution des prix et des échanges des matières premières agricoles en cette période de rentrée.

Si les cours des oléagineux (notamment du colza) restent très fermes en ce début de campagne, ceux des céréales ont accusé une forte baisse depuis la récolte, avant de se ressaisir à la sortie du mois de septembre. Pour certains observateurs, le marché mondial des matières premières agricoles, et notamment des céréales, serait entré dans une phase de prix moins élevés que ceux connus depuis 2006/2007. Mais les seuls éléments fondamentaux (offre et demande) ne sont pas les seuls à surveiller, dans un contexte géopolitique et économique très instable.

L'économie chinoise, le paramètre majeur du moment

Le vacillement de l'économie chinoise devrait rester en toile de fond encore un moment selon la plupart des économistes consultés. Des questions se posent quant à la demande de céréales et surtout d'oléagineux du pays, facteur de soutien des prix. « Avec l'abondance de grains sur la scène mondiale, la Chine, en phase de ralentissement économique, va-t-elle être capable d'absorber ces volumes ? », s'interroge Thierry Pouch, économiste de l'APCA. Néanmoins, « la dynamique actuelle des chargements d'orges françaises reste bonne, malgré le fléchissement observé depuis quelques semaines. Depuis le début de la campagne, 2 Mt ont déjà été chargées en direction de la Chine », constate Alexandre Boy, analyste chez Agritel. Ainsi, le cabinet de conseil agricole estime que les exportations françaises d'orges vers cette destination pourraient être au moins aussi bonnes que l'an dernier, c'est-à-dire à 3 Mt ou plus.

Les exportations d'orges françaises vers la Chine pourraient finalement dépasser les 3 milions de tonnes pour 2015/2016.

L'autre question est de savoir si la crise est durable. « La Chine a subi une suraccumulation de capitaux qui ne se valorisent plus aujourd'hui. Cela se répercute sur sa croissance. Elle est dans une phase de transition économique, dont le modèle de croissance se basait sur les exportations. Aujourd'hui, elle se recentre sur un modèle basé sur la croissance intérieure. Toute transition est difficile et peut s'avérer durable », observe Thierry Pouch. Selon lui, la Chine connaît actuellement une situation similaire à ce que les Européens ont connu, à savoir un phénomène de délocalisation des industries et des coûts salariaux en hausse, dû à la concurrence ardue avec les pays voisins, notamment le Bengladesh ou le Vietnam. Pour Alexandre Boy, « la Chine a la capacité financière pour résoudre cette crise ». Reste à savoir si elle prendra les bonnes décisions, ce qui est loin d'être une certitude. « Malgré 4.000 milliards de dollars de réserves, avec lesquelles la Chine est capable d'acheter potentiellement deux fois la France, des divisions sont présentes au sein du parti. Certains prônent un leadership mondial, d'autres veulent se limiter à la région », observe Thierry Pouch. Pour autant, même si la Chine, qui a connu une crois-sance de 12 % en 2010, affiche au second trimestre 2015 un taux de 7 %, les volumes importés restent importants, à l'image des derniers achats de soja, comme le soulignait Philippe Chalmin il y a quelques semaines dans nos colonnes.

La Grèce, la Fed, le Brexit, les réfugiés..., l'euro dans le collimateur

Autre élément jouant sur les échanges et les prix : la parité euro/dollar. Les analystes tablent pour l'instant sur un euro faible encore un moment. Une bonne nouvelle pour les exportations européennes. L'élément à regarder sur le court terme est la décision de la Fed, la Banque centrale américaine. Cette dernière a surpris bon nombre d'économistes, en décidant de ne pas rehausser ses taux. « Tout indiquait que la Banque centrale américaine allait relever ses taux, mais cette dernière a jugé la santé de l'économie mondiale trop fragile et a donc décidé de maintenir le statut quo. Bien malin celui qui pourra dire quand elle changera d'avis, puisque cela fait trois fois que le marché s'attendait à un relèvement des taux, et que la décision a été repoussée », explique Alexandre Boy. Et les effets n'ont pas été au rendez-vous, les marchés boursiers s'étant repliés suite à cette rebuffade. Certains analystes d'Agri-tel prévoient une légère hausse des taux avant la fin de l'année, mais dans de faible proportion, dans les 0,25 %, afin de ne pas générer de mouvements trop violents.

Des économistes parlent d'une nouvelle crise financière, conséquence du très fort endettement de nombreux pays.

La situation de la Grèce doit aussi être surveillée. « Le plan présenté en juillet conduirait à un endettement du pays à 200 % à la fin de l'année, source de tensions nouvelles sur la zone euro », alerte Thierry Pouch. Ajoutons à cela la possibilité d'un Brexit, mais aussi l'accueil des réfugiés du Moyen-Orient, source d'instabilité et donc de baisse potentiel de l'euro.

Peu d'éléments en faveur d'une hausse du pétrole... a priori

L'or noir n'est pas non plus en position de remonter significativement sur le court terme. En plus de l'Arabie saoudite qui ne souhaite pas baisser sa production, le contexte économique mondiale ne plaide pas pour une progression de la demande, que ce soit pour le pétrole ou les matières premières en général. « De nombreux pays émergents, comme le Brésil ou la Chine, sont dans une mauvaise passe économique. Certaines simulations prévoient une baisse du baril jusqu'à 20 $ ! », prévient Thierry Pouch. Ce dernier signale que certains économistes estiment qu'une autre crise financière est proche, conséquence du fort taux d'endettement de pays moteurs de l'économie mondiale. Et bien que, récemment, on parle d'une réunion entre les pays Opep et non Opep afin de limiter la production, il n'est pas dit que l'Arabie saou-dite accepte de baisser la sienne. « Il est possible que la Russie ferme les robinets. Mais l'Arabie saoudite pourrait en profiter pour leur prendre des parts de marché », craint l'économiste de l'APCA.

Attention aux facteurs climatiques

« La période de tension des prix agricoles est derrière nous », déclarait le professeur d'économie, Philippe Chalmin, dans la Dépêche/Le Petit Meunier du 15 septembre. Une conviction s'appuyant notamment sur la reconstitution de stocks et de moyens de production chez les grands pays producteurs (et de l'arrivée de nouveaux acteurs), permettant un nouvel équilibre entre offre et demande mondiales. Ce retour à une certaine stabilité est aussi le fruit de trois années consécutives sans incident climatique significatif chez les gros pays producteurs de denrées agricoles. Des conditions météo extrêmes chez un ou plusieurs exportateurs ne peuvent être exclues pour 2015/2016 et, avec elles, un renversement de tendance.

Si la poursuite de prix peu élevés du pétrole semble ainsi faire consensus, Sébastien Abis, analyste géopolitique au Ciheam (Centre international de hautes études agronomiques méditerranéennes), est plus réservé. « Rien n'est écrit. On ne peut exclure une progression des cours du pétrole qui pourraient doubler, voire tripler cette année. L'Arabie saoudite ne pourra tenir cette position très longtemps. Ce prix très bas fragilise d'autres pays de la région et elle se garderait bien de mettre en difficulté certains d'entre eux. Par ailleurs, sa stabilité n'est pas forcément garantie à moyen ou long terme. Si l'organisation Daech n'était suffisamment combattue et prenait la Mecque, qui est leur objectif, Riyad serait fortement déstabilisée, et le prix du baril monterait en flèche... », tempère l'administrateur du Ciheam.

Conflit russo-ukrainien, un élément baissier... pour le moment

Le conflit entre l'Ukraine et la Russie est loin d'être résolu, et pourrait déraper à tout moment, selon les experts consultés. Et les conséquences sont nombreuses : dégradation des économies des pays, dévaluation des monnaies (favorable aux exportations de céréales des pays), embargo de la Russie sur les viandes européennes, etc. « Étant donné le repli des débouchés pour les viandes, l'impact sera ressenti au niveau des fabricants d'aliments. Ils devront baisser leurs prix qui, actuellement, ne sont pas tenables pour les éleveurs français », analyse Thierry Pouch. Ce qu'a confirmé Jean-Luc Cade, directeur de Coop de France Nutrition animale dans un communiqué de presse le 14 septembre. Les cours des céréales et des oléagineux en amont pourraient donc être impactés, selon l'expert de l'APCA. L'embargo russe sur les productions animales devrait continuer de peser sur les exportations françaises et sur le débouché céréalier intérieur par ricochet.

Toutefois, le conflit entre la Russie et l'Ukraine ne saurait s'aggraver sans impact sur la production céréalière de cette dernière, même si, jusqu'ici, les volumes exportés attestent d'une agriculture et d'une logistique qui tiennent le coup. « Plus la crise dure, plus les performances réalisées ces dernières années en Ukraine seront difficiles à reproduire. Pour l'instant, ça n'a pas joué, et tant mieux. Mais, on ne peut exclure un scénario de tension croissante, avec des combats des régions séparatistes qui s'affirment, des ports bloqués, des opérateurs qui doutent de l'investissement dans cette zone – même si le potentiel est énorme – et des producteurs qui peinent ou n'arrivent plus à financer leur développement agricole... », met en garde Sébastien Abis.

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