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Jean-Louis Peyraud, Inrae : « la complémentarité agroécologique entre animal et végétal »

Alors que les mots « écologie », « bilan carbone » et « durabilité » sont sur toutes les lèvres, la polyculture-élevage devrait être « furieusement tendance ». C’est une solution vertueuse pour associer production de céréales et élevage de ruminants tout en luttant contre le réchauffement climatique avec un effet bénéfique pour la biodiversité.

Jean-Louis Peyraud, directeur scientifique adjoint agriculture de l'Inrae. « Les protéagineux sont une clef de l’équilibre, végétal comme animal, en s’intégrant dans les rotations, en captant l’azote et en fournissant des produits et coproduits de qualité pour l’alimentation animale. » © F. d'Alteroche
Jean-Louis Peyraud, directeur scientifique adjoint agriculture de l'Inrae. « Les protéagineux sont une clef de l’équilibre, végétal comme animal, en s’intégrant dans les rotations, en captant l’azote et en fournissant des produits et coproduits de qualité pour l’alimentation animale. »
© F. d'Alteroche

En France, la polyculture-élevage a longtemps été le modèle agricole dominant. Dans toutes les zones dites « intermédiaires » elle était même incontournable. Mais au fil des ans, l’agriculture de ces régions a évolué vers toujours plus de céréales et toujours moins de surfaces fourragères dans la mesure où cette évolution était la plus rentable, au moins à court terme. « Cela s’explique en grande partie par l’accroissement plus rapide du coût du travail comparativement à celui de l’énergie, des engrais, des produits phytosanitaires ainsi que par les économies d’échelles permises par l’agrandissement et la spécialisation », expliquait Jean-Louis Peyraud, directeur scientifique adjoint agriculture de l’Inrae, à l’occasion d’un colloque conjointement organisé par Interbev et Terre Univia, l’interprofession des huiles et protéines végétales. « Dans le même temps, les rotations se sont simplifiées. Jusque dans les années 60, une rotation équilibrée incluait six à huit cultures. Cette diversification avait été mise en œuvre de manière empirique pour maintenir la fertilité des sols et limiter l’usage des engrais. » Cette simplification des assolements s’est traduite par un net recul des surfaces occupées par des cultures riches en protéines, qu’il s’agisse de graines ou de fourragères (luzerne, trèfle violet, sainfoin…).

Et cette spécialisation s’est encore accélérée après la réforme de la PAC de 1992. Les surfaces en pois se sont rapidement effondrées du fait de l’évolution des modalités d’attribution des aides. La part du pois dans l’alimentation des animaux d’élevage a fait de même. Cela a favorisé la progression des importations en soja puisque la France ne produisait plus suffisamment de protéines végétales pour satisfaire à ses besoins.

Tendance à l’hyper spécialisation des territoires

Désormais les productions végétales occupent la plupart des zones les plus favorables sur le plan agronomique. Elles ont relégué les productions animales et en particulier les élevages de ruminants allaitants – qu’ils soient bovins ou ovins – sur les territoires à plus fortes contraintes où les surfaces en herbe qui demeurent sont la plupart du temps inconvertibles, en dehors du toujours possible retour de la forêt. Cette tendance à l’hyper spécialisation des territoires affiche ses limites. Dans les zones céréalières dites « intermédiaires » à côté des quasi-monocultures de maïs sur les terres irrigables, les rotations pratiquées se résument souvent à la classique succession colza-blé-orge pour laquelle les rendements plafonnent. Et avec l’évolution du climat, les rendements tendent même plutôt à décroître sur les sols superficiels très sensibles aux déficits hydriques.

« Il faut retrouver des synergies entre culture et élevage », expliquait Jean-Louis Peyraud. Leur coexistence sur ces mêmes territoires relèverait d’ailleurs du bon sens agronomique avec en cela une évidente complémentarité et de réelles possibilités de synergies. L’élevage permet de nourrir le sol qui lui-même permet de nourrir les cultures qui nous permettent de nous nourrir, nous ainsi que les animaux dont nous nous nourrissons ! « Nous devons repenser nos systèmes alimentaires en recouplant l’animal et le végétal. Il y a une vraie complémentarité agroécologique entre les deux. » Les protéagineux sont une des clefs de cet équilibre, de par leur aptitude à s’intégrer dans les rotations tout en fournissant des produits et coproduits de qualité à même d’être utilisés pour l’alimentation animale. Conforter les surfaces en légumineuses va dans le sens d’une meilleure autonomie protéique des élevages et c’est aussi un moyen de se passer d’un soja importé qui, quand il est d’origine sud-américaine, n’est guère écologiquement responsable. L’arrivée des légumineuses dans une rotation va également dans le sens d’une réduction de la consommation d’engrais azotés puisque ces plantes ont la capacité de capter l’azote atmosphérique. Cela améliorerait au passage le bilan carbone du secteur agricole dans la mesure où la production d’engrais minéraux est gourmande en énergie fossile.

Transformer la cellulose en viande ou en lait

Alors que l’élevage est régulièrement accusé d’utiliser des surfaces et des aliments qui pourraient être directement utilisés pour l’alimentation humaine, un des gros atouts des ruminants est lié à leur capacité d’utiliser des fourrages pour se nourrir en permettant la transformation en viande ou en lait de produits totalement indigestes pour un estomac humain. Les ruminants présentent aussi l’avantage de pouvoir consommer des quantités importantes de coproduits issus des filières végétales (sons, drêches, pulpes, tourteaux…) non consommables par l’homme en l’état.

Il faut donc repenser cette complémentarité sur le territoire entre les cultures et l’élevage. « Les systèmes de polyculture-élevage ont la capacité de pouvoir limiter le recours aux engrais minéraux de synthèse par l’introduction de légumineuses fourragères ou à graines qui peuvent être valorisés par les animaux. La présence de ces derniers se traduit par le retour de cultures fourragères, lesquelles permettent d’allonger les rotations avec la présence simultanée de fumures animales. » L’élevage est producteur d’aliments mais également de bien d’autres services : biodiversité, emplois directs, vitaux pour les territoires ruraux. Les différentes espèces herbivores participent largement à la qualité des paysages, au maintien de la biodiversité lié à la présence des haies incluant des essences mellifères et des zones humides. Et cerise sur le gâteau, ils génèrent de nombreux emplois indirects. Que seraient par exemple le tourisme rural et ses emplois induits sans les paysages variés et accueillants véritablement modelés par l’action conjuguée des herbivores et des agriculteurs ?

Complémentarités entre productions animales et végétales

Pour Jean-Louis Peyraud, « ces complémentarités entre productions animales et végétales sont à rechercher à différents niveaux d’organisation de l’exploitation à l’échelle territoriale, voire nationale pour retrouver de grands équilibres. » Un des progrès serait certainement de réétaler l’élevage sur l’ensemble du territoire. Dans les zones où la polyculture élevage s’est maintenue, le recours aux pesticides est plus limité que dans les zones qui se sont spécialisées sur les seules cultures. Autre atout des activités d’élevages, elles participent à l’entretien de la fertilité des sols et de leur teneur en matière organique. Dans les zones spécialisées dans la culture, les teneurs en carbone organique sont beaucoup plus faibles, guère plus 40 t/ha dans les 30 premiers centimètres (voir carte) comparativement aux sols sous prairie permanente (environ 70 t/ha) et aux zones humides. « Le maintien d’une teneur suffisante en carbone des sols procure de nombreux bénéfices dont la régulation de la dynamique de l’azote, la fourniture d‘éléments nutritifs aux plantes, le maintien d’une activité biologique importante, que ce soit pour les invertébrés (vers de terre) ou même les microbes microorganismes du sol." Et des parcelles dont la teneur en matière organique des sols est d’un bon niveau et qui sont qui plus est au moins en partie bordées de haies et de pâtures sont d’évidence nettement plus résistantes aux risques d’érosion. La recherche de complémentarités à des échelles plus larges, notamment entre exploitations offre des possibilités a priori intéressantes mais nécessite de repenser les modes d’organisation entre exploitations, voire entre territoires éloignés. "Agronomiquement, élevage, culture et sols sont indissociables. L’élevage n’est pas qu’un problème, il est aussi une solution. »

Antoine Carré est en Gaec avec son père à Verrey-sous-Salmaise en Côte-d’Or à une quarantaine de kilomètres au nord-ouest de Dijon.

« Des synergies sur mon exploitation"

L’exploitation associe des cultures de vente sur des terres superficielles sensibles à la sécheresse à un cheptel limousin avec deux périodes de vêlage : automne et début de printemps. « Nous avons 180 hectares de surfaces fourragères : essentiellement des prairies situées sur des coteaux ou des parcelles inondables et on fauche environ la moitié de ces surfaces chaque année. Depuis mon installation en 2014, de la luzerne, du trèfle violet, du soja et de la féverole ont été rajoutés dans l’assolement. Cela nous a permis de faire évoluer la classique rotation colza, blé, orge. » Mais le soja et la féverole ont depuis été arrêtés faute de résultats, probablement liés aux 500 mètres d’altitude.

Colza, blé et orge sont destinés à la vente et, selon les années, une partie de la paille et des fourrages sont également vendus dans le Jura ou en Suisse. « Associer cultures végétales et productions animales est une garantie à la fois économique et environnementale pour notre exploitation. La luzerne et le trèfle ont largement contribué à favoriser notre autosuffisance fourragère dans l’actuel contexte d’évolution du climat avec jusqu’à quatre coupes par an pour la luzerne. » Ces légumineuses sont également très positives pour la rotation. « Elles nous permettent d’une part une réduction des quantités d’herbicides et, en captant l’azote de l’air, elles sont un atout pour nous permettre de réaliser des économies sur les engrais azotés. Avec le cheptel bovin et même si une bonne partie de nos Limousines sont à l’herbe huit mois par an, nous disposons de fumier, très bénéfique pour l’entretien du taux de matière organique des surfaces en culture. » Une bonne partie de ces cultures sont mises en place en semis direct. « Cela permet de réaliser des économies pour le travail du sol et le carburant. »

F. A.

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