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Revivre l’épopée des chevriers pyrénéens

Les chevriers béarnais et bigourdans ont parcouru les routes de France entre 1870 et 1940 pour traire leurs chèvres sur les plages et dans les rues des villes : Paris, Bruxelles, et même Londres ! Cette aventure unique dans le monde caprin constitue un patrimoine riche à (re) découvrir dans un livre écrit et édité par Jean-Noël Passal, chevrier et membre de la société française d’ethnozootechnie.

Bien avant le XIXe siècle, des transhumances montantes et descendantes de caprins tissaient des liens entre plaine, piémont et montagnes des Pyrénées. Tout comme chez les ovins, la recherche de nourriture et l’apport de fumure dans les vignes sont le moteur de ces mouvements. Mais la présence des chèvres dans les villes, Bordeaux en particulier, se justifie par l’apport de lait. Ce "petit métier" cohabite avec mille autres, le vendeur de branches, le porteur d’eau, etc. On raconte l’histoire de Pierre Loustanau, ce petit chevrier natif d’Aydius, qui passe tous les jours dans les rues de Bordeaux en lançant son cri "Lait de crabe, qui en bâù ?" Un jour de 1776, il vend le troupeau de chèvres que le village lui a confié et s’embarque pour un drôle de tour du monde, dont il revient avec le titre de général des Indes et une main en fer !

Jusqu’à la guerre de 1870, les chevriers ne sont présents que dans le bassin de l’Adour et de la Garonne, le point le plus haut étant Angoulême.

Cadets et surpopulation des Pyrénées

Après les années 1870, deux phénomènes viennent changer la donne chez les nombreux chevriers natifs des vallées d’Aspe, d’Ossau (Béarn) et de la vallée de l’Ouzom (Bigorre). La surpopulation atteint son pic en Pyrénées, phénomène auquel s’ajoute la tradition des "cadets", qui veut que dans une famille béarnaise, seul l’aîné peut reprendre l’entière maîtrise du bien familial, de la "maison". Se pose alors un choix pour le cadet, devenir le valet de l’aîné ou partir… La chèvre pyrénéenne a fait ses preuves de bonne laitière, de bonne marcheuse. Il est donc possible d’aller plus loin que Bordeaux et Angoulême ! Si l’axe Bordeaux-Poitiers permet d’arriver à Orléans et Paris, il en existe un autre qui suit la célèbre Route royale (future N20) par Toulouse, Brive et Châteauroux. Dans chaque ville de passage, le chevrier chante, joue de la flûte et trait ses chèvres pour les "enfants malades ou riches". Une fois arrivé dans les faubourgs de Paris, le troupeau est divisé pour être conduit dans des quartiers différents de la capitale. Le chevrier, bien habillé, s’annonce au son de sa fioulette (flûte de Pan). Les bonnes sortent, les enfants tendent leur bol, le chevrier trait et ramasse les pièces. Un "tableau parisien" !

Les "chevaliers" de la côte

À la même époque, le train permet d’accéder aux stations balnéaires fraîchement sorties du sable. Alors, le chevrier va au-devant de sa clientèle. De Bordeaux, il longe la côte de l’océan : Royan, les Sables-d’Olonne, Nantes, la Baule… Pourquoi ne pas tenter de continuer vers Granville et Le Havre ? Tant que les chèvres suivent. Manger ? Il y a bien assez de bricoles à brouter au bord des routes, sous la surveillance efficace du chien, fidèle compagnon. En Normandie, le Père Poulou est une célébrité locale. Parti d’Arbéost au fin fond de la vallée de l’Ouzom, comment est-il arrivé à Rouen ? En venant de Paris ou par la Bretagne ? Ce qu’il sait Poulou, c’est qu’il ne fait que passer. "Fasián que passar" ne dit-on pas de ces chevriers ? (Ils ne faisaient que passer). Prochains objectifs : les stations thermales de la Manche, égrenées comme des crottes de biques sur des côtes aux doux noms : Albâtre et Opale. De Dieppe à Malo-les-Bains sur la frontière belge en passant par Le Tréport, Mers, le Touquet-Paris-Plage, Boulogne. Une frontière signifie-t-elle la fin du voyage pour un nomade ? Il a le choix : disperser son troupeau en le vendant ici ou plus loin ? À Londres ou en Belgique : Gand, Bruxelles, Liège…

La Méditerranée et la vallée du Rhône

Il est un autre chevrier, lui aussi du nom de Poulou, connu pour avoir acheté à la foire de Vic-en Bigorre, en octobre 1899, un troupeau de chèvres de réforme destinées à la clientèle "orientale" de Marseille, plus portée sur la chair chèvres. Voilà un troupeau – pas jeune – qui se met en route pour un périple de 500 kilomètres. Cette migration de bêtes destinées à la viande est une exception. Elle suit le chemin commun jusque Nîmes, accompagnant les troupeaux à lait remontant la vallée du Rhône. Leur destination : d’abord Lyon, puis Chalon-sur-Saône, Dijon, Troyes, Vesoul, Épinal. Le point le plus haut où un troupeau a été photographié est Saint-Mihiel, dans la Meuse. Pour aller où ? En Belgique ? Là encore, lors du passage dans chaque ville, le chevrier s’annonce, trait à la demande d’une clientèle fidèle d’une année à l’autre, trouve une grange pour dormir et un pré pour faire reposer les bêtes. Quand ruminent-elles ? La nuit ?

La Pyrénéenne, laitière et rustique

Cette épopée trouve ses heures de gloire en 1937 devant l’Arc de Triomphe, à Paris. Depuis longtemps, la caisse à fromages sur l’épaule a compensé le nombre de chèvres, évincées par les voitures. Certains chevriers sont retournés vivre leurs vieux jours en Pyrénées, d’autres ont fondé famille en banlieue. Les éleveurs de chèvres pyrénéennes d’aujourd’hui sont admiratifs devant cette aventure d’hommes et aussi de bêtes dont le standard n’a pratiquement pas changé plus d’un siècle après. Ces chèvres vues sur les plaques de verre des années 1880 sont leur mémoire recrée, leur patrimoine et une preuve irréfutable : la Pyrénéenne est une chèvre à la fois laitière et rustique.

Un livre pour relier chèvres d’hier et d’aujourd’hui

« L’épopée des chevriers béarnais, parfois nommés « chevriers basques », sur les routes de France, de Belgique et d’Angleterre, est une aventure méconnue, raconte Jean-Noël Passal, l’auteur du livre L’épopée des chevriers pyrénéens 1870-1940. Quitter ses montagnes et sa famille au printemps pour traverser la France par étapes de 40 kilomètres avec des chèvres en pleine lactation est bigrement singulier », poursuit-il. Avec le soutien de l’association de la chèvre pyrénéenne, Jean-Noël Passal a décidé de poser sur le papier les nombreuses images (souvent inédites), les cartes, les témoignages qui ont permis de nommer certains de ces chevriers : Casavielle, Miédougé, Daspet…

Pour tout renseignement, rendez-vous sur le site de la chèvre Pyrénéenne ou par mail à biq.brother@free.fr

Livre disponible à partir de juillet - 244 pages - Les Ateliers de l’Ours éditeurs - 40 euros, frais de port compris

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