Du lait et du fromage de chèvre sous l’Équateur
Le Petit Chèvre de Montsinéry est la seule ferme en Guyane française à produire du lait de chèvres. Toute la production est transformée en yaourts et fromages, vendue localement. Avec en moyenne une température de 26 °C et une humidité oscillant entre 80 et 90 %, le défi est de taille.
Le Petit Chèvre de Montsinéry est la seule ferme en Guyane française à produire du lait de chèvres. Toute la production est transformée en yaourts et fromages, vendue localement. Avec en moyenne une température de 26 °C et une humidité oscillant entre 80 et 90 %, le défi est de taille.
La Guyane, c’est ce petit bout de France au nord du Brésil, recouvert à 96 % de forêt, connue pour sa station spatiale. Les principales villes de cette région d'outre-mer, dont Cayenne, sa capitale, et Kourou, sont sur la bande côtière. C’est entre ces deux villes qu’Odile et Bob Robin sont installés, à Montsinéry. Outre le climat équatorial, en Guyane, les éleveurs doivent composer avec la présence de chauves-souris vampires ou encore de jaguars qui s’attaquent aux animaux.
Odile et Bob Robin sont arrivés en Guyane au début des années 2000, à respectivement 45 et 55 ans, après avoir tenu, de 1979 à 1996, une ferme caprine dans les Vosges avec transformation et accueil à la ferme. Odile Robin était de la région, et Bob, guyanais. Obtenir du terrain en Guyane n’a pas été aisé. « Nous avons mis presque dix ans pour obtenir la concession », témoigne Odile Robin. Et le plus ardu restait à faire ; les hectares sont recouverts de forêt. Le couple défriche, fore un puits et installe des panneaux solaires. Si aujourd’hui, ils sont raccordés aux réseaux d’eau et d’électricité, ils vont prochainement mettre en place une petite centrale solaire pour relayer le groupe électrogène lors des fréquentes coupures d’électricité.
Réorientation à la suite d’un vol
« On a mis près de cinq ans à s’installer, raconte Odile Robin. Le défrichage prend du temps. » Aujourd’hui, les éleveurs exploitent 25 hectares : 15 de prairies fauchées, 7 de forêts et 3 autour des bâtiments. La ferme débute en 2004 avec un troupeau de chèvres créoles, pour la viande, et importe des chèvres saanen dans le but d’améliorer la production de lait des créoles pour nourrir les chevreaux. Mais une nuit, toutes les créoles, sauf une, sont volées. « Il nous restait les chevrettes saanen, alors on s’est remis à faire un peu de fromages, vendus au marché. Au départ, nous ne voulions pas refaire de lait », confie Odile Robin. Le couple s’équipe d’une chambre froide d’occasion, avant d’investir en 2011 dans une fromagerie. « Nous n’avons eu aucune aide pour l’installation, car nous étions trop âgés, mais pour la fromagerie, nous avons eu accès à des fonds européens », explique l’éleveuse.
À leur arrivée, la Guyane ne comptait aucun élevage laitier caprin. « Il y avait une production de lait de vache avec transformation en yaourt, mais elle a été arrêtée », précise Odile Robin. Le troupeau compte actuellement 30 à 35 chèvres traites. Deux lots de saanen ont été importés de métropole : le premier de douze en 2006, et le second de vingt en 2010.
Bâtiment sans parcours extérieur
Elles sont installées dans un bâtiment ouvert, en bois, sur caillebotis en métal et bois. Après essai, l’idée d’un parcours extérieur a été abandonnée, les risques parasitaires, notamment les myiases, et de blessures étant trop importants. La nuit, une petite lumière reste allumée dans le bâtiment, pour décourager les attaques de chauves-souris vampires. « On retrouvait des morsures sur les chèvres avec du sang », rapporte Odile Robin. Les animaux sont vaccinés contre la rage, dont les chiroptères peuvent être porteurs. Le jaguar est un autre problème auquel sont confrontés les éleveurs en Guyane, mais pas les Robin, notamment, car leurs animaux sont en bâtiment.
Les chevreaux reçoivent un anticoccidien à quinze jours-trois semaines, et un Past Argyl à lécher contre l’ecthyma dès la naissance. « On a aussi eu des mammites gangreneuses, que je n’avais jamais vues en métropole, fait part Odile Robin. La partie touchée se couvre d’un duvet noir, jusqu’à la chute d’un quartier. C’est impressionnant. » Grâce à l’administration d’antibiotiques, les éleveurs réussissent généralement à sauver les animaux. « Mais globalement, on n’a pas trop de problèmes », relativise Odile Robin. La traite est au pot, avec deux machines. « C’est impossible d’avoir du meilleur matériel, car, ici, il n’y a personne pour l’installer, le régler et faire l’entretien », explique la productrice.
600 litres de lait par chèvre
Les chèvres sont nourries avec de l’aliment importé de chez Terrena, sans OGM, dont le coût a augmenté. « Pour un sac de 25 kilos, il faut compter 18 euros », chiffre Odile Robin. En raison de l’humidité, l’aliment est conservé dans une chambre froide. Depuis dix ans, « on utilise aussi des drèches d’orge », ajoute Bob Robin. Elles proviennent d’une brasserie locale, Jeune Gueule, à 40 km. Les éleveurs vont les récupérer au rythme des brassins, et les stockent dans de vieux tanks à lait. Quant au foin, ils sont autonomes, avec 12 ha de prairies. « Ici, une balle de foin coûte 60 euros », chiffre l’éleveur.
Malgré l’absence de saison hivernale, une seule coupe peut être faite, en raison des pluies trop régulières. « Une année, on a réussi à en faire deux, mais c’est tout », ajoute Bob Robin. La production est de 600 litres de lait par chèvre en moyenne, avec une lactation de deux ans. « Le pic de lait est sur août-septembre-octobre », précise l’éleveuse. Les animaux seront remis à la reproduction en mars 2023, permettant au couple de se dégager cinq semaines de vacances. Pour la reproduction, les éleveurs importent des mâles et ont recours à l’insémination.
Surcoûts avec l’importation
Le lait est intégralement transformé en yaourts et fromages frais et affinés. Construite en 2011, la fromagerie est équipée d’un pasteurisateur, d’une yaourtière, d’une machine à operculer, d’un thermiseur, d’une machine à laver, et de plusieurs réfrigérateurs et chambres froides. Tout le matériel a dû être importé, avec un surcoût important : le pasteurisateur, par exemple, a coûté 12 000 €. De même, les consommables comme les emballages sont plus chers, et les délais de livraison parfois incertains, en particulier depuis la pandémie de coronavirus.
Fromages et yaourts sont vendus sur les marchés, et dans différents magasins, à Kourou, Cayenne et alentour. Les éleveurs organisent aussi des journées portes ouvertes sur la ferme. Quant aux chevreaux, hors renouvellement, ils partent pour un abattoir local, généralement vers sept mois. S’ils ont moins de trois ans, ils sont payés 12 €/kg carcasse, sinon, 10 €/kg carcasse. « Le POSEI [aide européenne pour l’agriculture d’outre-mer, NDLR] nous assure aussi une prime par bête », ajoute Odile Robin.
Outre les chèvres, la ferme compte aussi des moutons pour la viande, de race martinik, eux aussi importés de métropole. Le couple estime mieux gagner qu’en métropole. « On a un confort de travail, la ferme tourne, fait part Odile Robin. On se dégage largement un Smic chacun. » « La preuve, on continue à investir avec le solaire », appuie Bob Robin.
Le prochain défi, c’est de trouver des repreneurs pour la ferme, le couple ayant passé l’âge de la retraite. Pour l’instant, aucun candidat sérieux ne s’est présenté. Avis aux amateurs !