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De longs efforts pour déclencher une lactation sans mise bas

En stimulant les mamelles de chèvres non gestantes, des éleveurs sont parvenus à induire des lactations sans faire de chevreaux. Finalement, trois quarts des chèvres ont produit du lait mais avec une baisse de rendement de 30 % et, parfois, après de longs efforts.

Déclencher des lactations en massant les mamelles des chèvres ? Le projet Gentle Dairy a vu le jour dans le but de mieux comprendre les facteurs influençant la lactation induite. Il est le fruit d’une collaboration entre le FiBL France, un institut de recherche en agriculture biologique d’origine Suisse, et l’organisation de protection animale Quatre Pattes. L’induction de la lactation est présentée comme une alternative à la lactation longue en limitant le nombre de chevreaux tout en évitant la réforme de bonnes chèvres ayant échoué à la reproduction.

La moitié des chèvres expérimentales induite au bout de trois semaines

Une dizaine d’éleveurs de chèvres alpines ou saanen de la Drôme, de l’Ardèche et de l’Isère ont participé à cet essai. En 2023, entre quatre et douze chèvres, ont été écartées de la reproduction dans chaque élevage. Ces chèvres expérimentales ont suivi un tarissement de deux mois, comme le reste du troupeau. Non gestantes – qu’elles soient primipares ou multipares, faibles ou fortes productrices – ces chèvres ont retrouvé leurs congénères ayant mis bas afin d’être exposées aux mêmes stimuli environnementaux (olfactifs, hormonaux, etc.).

Dès le début de la traite, les éleveurs stimulaient par massage les trayons des chèvres non gestantes. Si du lait était éjecté à chaque stimulation, la chèvre était alors branchée à la machine à traire. Pour les trois premières semaines, les scientifiques ont fixé un seuil physiologique de 10 millilitres par jour pour distinguer les chèvres non gestantes amorçant la lactation de celles n’ayant produit aucun lait. Selon Ruggero Menci, chercheur au FiBL France, « la moitié des chèvres expérimentales ont induit une lactation au cours des trois premières semaines de traite ».

Une faible productivité laitière durant les trois premières semaines… mais un rattrapage au sixième mois de lactation

Grâce aux données des contrôles laitiers, la production laitière a été suivie au-delà des trois premières semaines. Un mois après le début de l’induction, un quart des chèvres non gestantes produisaient plus d’un demi-litre de lait, et après six mois, elles étaient trois quarts. « La production laitière des chèvres induites rattrape celle des chèvres témoins au sixième mois, avec une perte d’environ 30 % sur la lactation », souligne Caroline Constancis, chercheuse au FiBL. « Lors de la montée de production, le lait des chèvres induites présente des meilleurs taux butyreux et protéiques. Cette différence, liée au phénomène de concentration du lait, s’estompe à partir du cinquième mois de lactation », précise-t-elle.

Des signes précurseurs de la réussite de l’induction des chèvres

« Les jours précédant le début de la stimulation, les chèvres non gestantes qui induiront une lactation présentent une température des trayons plus élevée et une légère augmentation de la largeur de la mamelle », précise Ruggero Menci. Dès la première stimulation, les chèvres non gestantes ont libéré une certaine quantité de lait résiduel post-tarissement, un volume statistiquement plus élevé chez celles ayant induit la lactation.

Les chèvres ayant une bonne note d’état corporelle au moment du tarissement (supérieure ou égale à trois) ont environ deux fois plus de chances de déclencher une lactation induite. « Certains éleveurs utilisent cette pratique pour les chèvres affaiblies. L’idée n’est pas forcément de choisir des chèvres plus grosses pour que cela fonctionne mais de remettre en état celles qui sont plus maigres avant de commencer la stimulation », recommande Rosalie Planteau du Maroussem, ingénieure de recherche, intégrée au projet lors de son stage de fin d’études. Ces indicateurs permettent à l’éleveur d’évaluer rapidement l’intérêt de poursuivre la stimulation.

Persévérance jusqu’en juin

Bien qu’une grande partie des éleveurs s’accorde à dire que la mise à l’herbe a été un élément déclencheur de la lactation, pour certains, l’expérience reste mitigée. « Sur les douze chèvres ciblées par l’induction, trois sont entrées en lactation dans les vingt et un premiers jours, témoigne un éleveur. Pour les autres, il a fallu persévérer deux mois et certaines n’ont commencé à produire qu’à partir de juin, bien après la mise à l’herbe, sans qu’on comprenne vraiment pourquoi. » Tous les tenants et aboutissants ne sont pas encore élucidés, notamment l’influence de la nutrition ou encore de la mise à l’herbe sur l’induction.

Lire aussi :

Comment Patuchev parvient à faire du lait avec de l’herbe

Michel Bouy, vétérinaire anciennement affilié au FiBL France dans le cadre du projet pilote « Lactodouce », lancé en 2021 et précurseur du projet Gentle Dairy, souligne que « l’effet des protéines avec la mise à l’herbe mérite d’être exploré, tout comme l’impact de la vitamine A sur la synthèse des hormones de reproduction ». L’herbe étant une source plus riche en précurseurs de la vitamine A que le foin, une complémentation hivernale chez certains éleveurs pourrait expliquer pourquoi certains animaux, moins carencés, ont démarré leur lactation avant la mise à l’herbe. L’effet de la vitamine pourrait également expliquer pourquoi la mise à l’herbe des chèvres a joué un rôle déclencheur.

Certaines questions demeurent à explorer, notamment en ce qui concerne les impacts technico-économiques et la fromageabilité du lait. La question du temps de travail doit aussi être chiffrée. Pour apporter des éléments de réponse à ces aspects, un prochain projet de recherche est en préparation.

Lire aussi : « Les chevreaux sous les mères ont induit la lactation »

Avis d’expert

« Une pratique pour garder des chèvres dans le circuit »

L’induction des lactations par le massage des mamelles permet de garder des chèvres en échec de reproduction. Analyse de Michel Bouy, vétérinaire anciennement affilié au FiBL France dans le cadre du projet pilote Lactodouce, lancé en 2021 et précurseur du projet Gentle Dairy.

« L’induction permet de maintenir en production des chèvres ayant subi un échec de reproduction. Dans les élevages à haute production, nourrir des chèvres qui ne produisent pas de lait pendant trois mois n’est pas économiquement viable. Cependant, je connais certains éleveurs laitiers qui recourent tout de même à l’induction pour des chèvres vides non mises en lactation longue par faute de diagnostic à l’échographie. Cela leur permet de valoriser une chèvre qu’ils ne souhaitent pas réformer. Pour les éleveurs ayant des coûts d’intrants plus faibles, notamment grâce au recours au pâturage, ceux-ci peuvent davantage se permettre d’attendre le démarrage progressif des chèvres mises à l’induction. La décision de pratiquer l’induction pour ces éleveurs peut alors découler d’un choix délibéré, en écartant un petit lot de chèvres de la reproduction. »

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