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Filière caprine bio : coup de froid sur le lait de chèvre bio

La filière caprine bio française est en crise. À la flambée des charges, s’est ajoutée une forte baisse de la consommation de produits bio alors que les producteurs de lait de chèvre se réorganisaient à marche forcée suite à la scission de Chèvre bio France mi-2021.

Chèvres alpines au pâturage dans prairie
Les éleveurs caprins bio souffrent de l'incertitude sur l'évolution des marchés et de la forte hausse des charges alors que le prix du lait stagne. Les trésoreries sont mises à mal.
© V. Hervé-Quartier

« Je viens ici pour dire que la bio a de l’avenir et qu’il faut qu’on lui donne les moyens de son avenir », déclarait Marc Fesneau, ministre de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, dans la Drôme le 22 septembre au salon Tech & Bio. Mais pour les éleveurs et transformateurs bio français, la reprise se fait attendre. Peu d’éleveurs sont éligibles au fonds d’urgence débloqué au printemps, et l’annonce des montants provisoires des aides Pac pour le niveau supérieur de l’écorégime a déçu (92,05 €/ha contre 110 €/ha estimés dans le Plan stratégique national). Le moral est en berne.

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« Les fromages de chèvre n’échappent malheureusement pas à la déconsommation importante de produits bios, souligne Mickaël Lamy, président de l’Association nationale interprofessionnelle caprine (Anicap). Nous sommes passés d’une croissance à deux chiffres jusqu’avant 2020, à une stagnation puis une régression forte depuis deux ans, estimée à 10-15 % en moyenne. »

« Si tout le monde y met du sien, nous sortirons de la crise » - Henri Triballat, directeur de la production laitière chez Triballat Rians

Au moment de l’inversion brutale de la consommation, le coup d’accélérateur donné aux conversions à l’agriculture biologique portait tout juste ses fruits. Il visait à accompagner le développement d’un marché en croissance. L’inflation et les arbitrages des consommateurs en défaveur des produits bio ont porté un coup à ce dynamisme. Depuis plusieurs mois, la filière caprine bio vit une crise de surproduction. Un chiffre illustre la situation : 30 à 40 % du lait bio sont déclassés en conventionnel par les laiteries contre 10 % habituellement.

Accompagner les éleveurs de chèvres biologiques

« Entre nos clients qui veulent des prix à la baisse, les producteurs qui ont besoin de revenus décents et nos charges qui augmentent, l’équation est difficile », résume Henri Triballat, directeur de la production laitière chez Triballat Rians.

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« Nous avons fait le choix de ne pas contraindre les volumes et d’accompagner les éleveurs sur le prix du lait en 2022 et 2023 », explique Mickaël Lamy, président du métier lait de chèvre d’Agrial. La coopérative collecte 6,8 millions de litres de lait bio auprès de 47 producteurs. « Le prix sera de 1 070 €/1 000 l en 2023 (1 030 en 2022). Les nouvelles conversions sont gelées depuis deux ans et demi. La situation n’est pas satisfaisante d’un point de vue rentabilité pour la coopérative sur ce segment bio, mais nous préférons soutenir nos producteurs. Lorsque les marchés se rééquilibreront, le plus tôt possible, nous aurons besoin de lait. »

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Olga collecte le lait de 18 producteurs bio en Bretagne et Pays de la Loire. « Lorsque nous avions fait nos prévisions, le marché était en croissance de 10 %, rappelle Arnaud Ménard, responsable filière et relations agricoles. Quatre ans plus tard, nous devons déclasser une partie du lait alors que nous en manquions. La plupart des éleveurs sont des jeunes installés ou de récents investisseurs. Nous devons tenir nos engagements auprès d’eux. »

La désintégration de Chèvre bio France (CBF) mi-2021 a laissé des traces, désorganisant l’amont alors que la crise se profilait. Aujourd’hui, deux SAS, un GIE, une association et des contrats directs ont pris la suite. La cession des activités de Lacticare en Vendée (fabricant de poudre de lait) a aussi fragilisé les équilibres économiques de certaines organisations.

30 % de volumes de lait de chèvre bio en moins

« La situation est de plus en difficile, reconnaît Pierre Desport, directeur de la fromagerie Chêne Vert en Dordogne. Même si nous avons une clientèle diversifiée, nous souffrons des moindres ventes en magasins spécialisés et des déréférencements en grandes surfaces. Nous avons passé des hausses de tarifs en 2022, mais avec plusieurs mois de retard. Elles ne compensent ni le prix du lait, ni nos charges. Notre trésorerie souffre. »

En 2022, Chêne Vert a transformé 4,5 millions de litres de lait bio. En 2023, ce seront entre 3 et 3,5 millions de litres. Le lait est collecté auprès d’une vingtaine de producteurs en direct et du GIE Union des chevriers bio (UniCBio).

« Il faut trouver des solutions pour redynamiser le marché de la distribution spécialisée bio, avance Pierre Desport. Nous sommes inquiets. Cette crise vient porter un coup à la dynamique bio, côté producteurs comme entreprises. »

La dynamique du lait de chèvre bio est cassée

« Tout le monde essaie de s’en sortir mais celui qui a le moins de marges de manœuvre, c’est le paysan, rappelle Gérard Giesen, membre d’AgroBio Périgord et un des 17 livreurs directs à Chêne Vert. Ils étaient 23 en 2021. Ils seront 15 en 2024. Plus il y a de déconversions, plus la densité laitière baisse et les coûts de collecte augmentent. »

L’avenir paraît aussi bien morose pour les six derniers adhérents du GIE UniCBio. Ils étaient près de 20 il y a un an. « Certains ont cessé la production caprine, d’autres sont passés en conventionnel, expose Eliane Brunet, présidente du GIE et éleveuse dans la Vienne. Notre contrat avec la laiterie Chêne Vert expire fin 2025. D’ici là, sauf retournement favorable, nous devrons avoir trouvé une solution. Pour l’instant, nos relations avec la fromagerie sont stabilisées. Sur les neuf premiers mois de l’année, le lait a été payé 1 040 euros/1 000 litres. Nous n’avons pas encore de prix pour le dernier trimestre. » Pour de nombreuses raisons, les relations sont aussi compliquées en interne. « Le GIE était un beau projet collectif, regrette Thierry Massé, adhérent. La dynamique bio a été longue à créer, et tout cela va se terminer. »

« Le risque de déconversion est significatif en Dordogne, on détricote toute la cohérence d’un système », s’inquiète Philippe Desmaison, conseiller chez Bio Nouvelle-Aquitaine.

Autre opérateur important, La Lémance collecte cinq millions de litres de lait bio pour ses deux sites, en Vendée et dans le Lot-et-Garonne. Reprise par Triballat Rians en 2021, elle transforme uniquement du lait bio. « Le réseau bio spécialisé résiste un peu mieux que les supermarchés, témoigne Henri Triballat. Ces derniers avaient permis de fortes croissances grâce à la mise en avant des produits bios en rayon. Aujourd’hui, nous subissons l’effet inverse. »

Soutenir les jeunes éleveurs de chèvres installés en bio

Engagée dans le label Bio équitable en France, la laiterie entretient de bonnes relations avec les producteurs notamment via les deux SAS Lait de chèvre bio de l’Ouest (LCBO) et Lait bio du Gévaudan. Prix et volumes sont déterminés pour une durée de trois ans. Malgré la crise, La Lémance tient ses engagements. « Nous avons décidé de maintenir les volumes livrés et le prix, poursuit Henri Triballat. C’est important, notamment pour les jeunes installés qui ont réalisé leur prévisionnel sur la base du contrat. Pour 2024 et 2025, nous nous sommes engagés à ne pas baisser le prix, ce qui aurait été le cas si nous avions suivi le marché. »

« Nous espérons voir rapidement une éclaircie, les laiteries ne pourront pas continuer longtemps à acheter du lait bio pour en déclasser une partie », s’alarme Samuel Solignac, éleveur en Lozère et président de la SAS lait bio du Gévaudan. Elle compte 17 éleveurs dont deux apporteurs non associés et livre La Lémance avec un contrat annuel de trois millions de litres. « Notre objectif est de sécuriser les débouchés de nos adhérents et les accompagner. »

LCBO vend 1,9 million de litres de lait bio de ses 16 adhérents à la Lémance. La SAS avait également un contrat de 300 000 litres avec Lacticare, qui s’est terminé début 2023. « Avec une grille de prix et un engagement sur les volumes à trois ans, nous avons de la visibilité et c’est important, souligne Antoine Bernard, son président. Le prix a été augmenté en 2022 et s’il n’y a pas de hausse prévue en 2023, il sera maintenu. »

Après la scission de CBF, LCBO s’est créée avec un objectif de proximité entre les éleveurs « Nous avons fait ce choix pour pouvoir nous réunir facilement, garder une proximité entre nous, dans nos échanges, souligne Antoine Bernard. L’accompagnement par le Civam du Haut-Bocage a été essentiel dans notre construction. Aujourd’hui, nous mettons toutes nos forces dans la valorisation de notre lait. Nous avons le projet de devenir paysan-ane associé de Biocoop afin de commercialiser du lait à la marque de Biocoop, Ensemble, qui serait transformé par La Lémance. »

De 1,1 à 0,9 Smic/UMO entre 2021 et 2022 pour les éleveurs caprins bios

Près de 1 600 élevages caprins étaient certifiés bio en 2022 (livreurs et fermiers) et 22 millions de litres collectés. En 2021, pour les livreurs bio des réseaux d’élevage, le revenu par UMO exploitant était en moyenne de 1,1 Smic, avec de grands écarts : de 0,1 à 4,1 Smic/UMO, contre 1,9 pour les conventionnels. Sur 2022, les estimations, avec un prix payé moyen à 1 055 €/1 000 l, sont de 0,9 smic/UMO.

Sollicitée par les producteurs, l’interprofession caprine a pris deux initiatives. Elle travaille avec FranceAgriMer pour accélérer la remontée et la fiabilité des données. En parallèle, une étude conduite par Idele analyse la conjoncture et à quelle échéance les équilibres entre production et marché peuvent être retrouvés.

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