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Pas de recette miracle pour contrer le campagnol terrestre

Pas de recette miracle pour limiter les dégâts du campagnol terrestre, ravageur des prairies de montagne, mais une combinaison de méthodes de lutte avant que la recherche n’en trouve de nouvelles.

La double voire la triple peine. Après deux années de sécheresse, l’Auvergne semble à l’aube d’une nouvelle pullulation de campagnols terrestres. Une large partie du Cantal et du Puy-de-Dôme pourrait être touchée dans les mois qui viennent. Avec les pluies d’automne, les indices de présence se sont multipliés. « Cela ne présage rien de bon », s’alarme Pierre Lestrade, technicien campagnols à la chambre d’agriculture et à la FDGDON du Cantal. Après la virulente pullulation de 2014-2016, un nouveau pic semble se propager. « Les pullulations se rapprochent et sont de plus en plus violentes », observe Sandrine Laffont, son homologue du Puy-de-Dôme. En Franche-Comté, c’est le Nord-Est du Doubs qui est actuellement en phase de pullulation. Les techniciens préconisent très fortement de mener la lutte avant le printemps là où c’est encore maîtrisable. Pas pour arrêter le cycle, mais « pour sauver la production fourragère », explique Pierre Lestrade.

Pas assez de lutte collective

En Auvergne, de plus en plus d’agriculteurs ont pris conscience qu’il ne fallait pas rester les bras croisés devant ce ravageur et qu’une lutte bien menée — combinant méthodes directes et alternatives — limite les dégâts. Dans le Cantal, 800 agriculteurs ont signé un contrat de lutte de cinq ans, qui permet d’accéder aux indemnisations du FMSE (Fonds national agricole de mutualisation du risque sanitaire et environnemental). C’est le département qui en a le plus signé en France. Mais, au regard des 4 000 agriculteurs du Cantal, on est encore loin du compte. Et, surtout regrette le technicien, il n’y a pas assez de lutte collective. « Dans les secteurs où la lutte est menée en groupe, ça se voit », assure-t-il.

Arrêt de la bromadiolone en mai 2021

Le précédent pic de pullulation a aussi incité responsables professionnels et politiques à lancer des programmes de recherche pour mieux comprendre le fonctionnement des cycles de pullulation/déclin et imaginer de nouveaux moyens de lutte. Des pistes se dessinent mais on est encore loin de l’application sur le terrain (lire plus loin). Pourtant, il y a urgence. Le compte à rebours est lancé pour le remplacement de la bromadiolone. Son homologation européenne pour l’usage phytosanitaire tombe le 31 mai 2021. Le fabricant ne l’a pas redemandé. Cet anticoagulant n’est qu’un des moyens de lutte parmi d’autres et ne peut être mis en œuvre qu’en basse densité de campagnols. Mais, il reste essentiel dans la boîte à outils. Une nouvelle molécule, le phosphure de zinc, est autorisée depuis 2018. Au contact des sucs gastriques, il se transforme en un gaz très toxique pour le rongeur. Ce gaz étant rapidement éliminé, le cadavre n’est pas dangereux pour la faune non cible, contrairement aux anticoagulants. En revanche, « sa toxicité primaire sur la faune sauvage et les animaux domestiques est très élevée, avertit Geoffroy Couval, de la Fredon Franche-Comté et référent national campagnols. Le Ratron ne peut être utilisé qu’à basse densité à raison de 2 kg/ha/an maximum et les appâts doivent être strictement enfouis sous terre.

Le phosphure de zinc doit encore faire ses preuves

Le phosphure de zinc est cependant loin d’être le produit miracle. Le fabricant allemand (Detia Degesch) n’a pour l’instant demandé l’homologation française que pour deux produits commerciaux (Ratron GL sur support de lentilles, Ratron GW sur support de blé) et seul le premier est commercialisé dans l’Hexagone. Un essai réalisé dans le Puy-de-Dôme, a montré une efficacité toute relative de ces deux produits : 6 % pour le GL et 36 % pour le GW contre 66 % pour la bromadiolone. La molécule n’est pas en cause mais les supports ne sont pas assez appétents. Ils ont été développés pour le campagnol des champs. Des essais vont être menés au premier semestre 2020, en collaboration avec la Draaf Auvergne-Rhône-Alpes, avec deux autres supports (pellets à base de luzerne et carotte déshydratée), qui devraient a priori mieux appâter le campagnol terrestre. La mise sur le marché du produit à base de luzerne pourrait être relativement rapide car il bénéficie déjà d’une homologation européenne. En revanche, le support carotte n’a qu’une vieille homologation allemande. L’obtention de l’AMM en France sera donc très longue (jusqu’à 10 ans) si tant est que le fabricant veuille la demander.

Le PH3 bientôt homologué ?

De gros espoirs sont fondés aussi sur le PH3. Actuellement homologué contre la taupe (taupicide) et produit également par Detia Degesch, une demande d’extension d’usage contre le campagnol terrestre et le campagnol de Provence (rodenticide) est en cours et pourrait aboutir courant 2020. Cet usage nécessiterait les mêmes agréments que pour la taupe. Et, il n’aura d’intérêt qu’en basse densité. Quand la population de campagnols explose, le gaz s’échappe par les galeries superficielles et perd de son efficacité.

Le saviez-vous

Un couple de campagnols peut engendrer entre mars et octobre une centaine de descendants compte tenu de sa prolificité et de la maturité sexuelle très précoce de cette espèce.

Le campagnol mange le pissenlit par la racine

La cyclicité des populations de campagnols terrestres reste difficile à expliquer. Le pissenlit pourrait être en cause.

Pourquoi après une phase de pullulation, la population de campagnols terrestres se met à décliner ? Deux projets de recherche au long cours se sont attelés à trouver des réponses, avec l’idée de mieux anticiper voire accélérer cette phase de déclin.

• L’université de Franche-Comté a étudié pendant cinq ans l’évolution des communautés bactériennes potentiellement pathogènes. Globalement, à l’échelle de la population de campagnols, la richesse bactérienne évolue peu au cours du cycle démographique. Mais, individuellement, en phase de déclin, les campagnols sont porteurs d’un plus grand nombre d’espèces bactériennes. Leur condition corporelle est également moins bonne et ils semblent se reproduire un peu moins. « Les choses sont beaucoup plus complexes qu’on ne l’imaginait, reconnaît Patrick Giraudoux, professeur d’écologie au laboratoire Chrono-environnement de l’université. Il faut oublier la bactérie qui va régler le problème. »
• L’école VetAgro Sup de Clermont-Ferrand travaille pour sa part sur les facteurs de régulation des populations de campagnols terrestres. Plus ils sont nombreux, mieux ils se portent mais moins ils se reproduisent. Et, au-delà d’une certaine densité de mâles (200/ha), les jeunes s’enfuient et colonisent les parcelles voisines. Mais, aucun facteur physiologique ni démographique ne semble expliquer le déclin. En revanche, « la densité de fleurs de pissenlits explique de manière significative le taux de croissance de la population », précise Aude Agenis-Nevers, coordinatrice de la lutte contre le campagnol terrestre au Sidam Massif central. Les chercheurs ont découvert que les campagnols constituent des silos de racines de pissenlits. Le déclin surviendrait quand le pissenlit se raréfie. Un projet complémentaire de recherche va être lancé pour confirmer ce lien entre pissenlits et le rendre utilisable sur le terrain.

Fortes attentes sur de nouveaux moyens de lutte

Plusieurs projets de recherche, en partie financés par la région Auvergne-Rhônes-Alpes, visent à trouver de nouveaux moyens de lutte ou à faciliter sa mise en œuvre.

Nouvelles molécules rodenticides

L’école VetAgro Sup de Lyon travaille sur de nouveaux anticoagulants qui seraient tout aussi efficaces que la bromadiolone mais moins nocifs pour l’environnement. « Le laboratoire a mis en évidence une molécule qui semble prometteuse, indique Aude Agenis-Nevers. Elle est très efficace et peu rémanente dans le corps du campagnol. » Des études de toxicité sont en cours. L’enjeu sera ensuite d’en obtenir l’homologation européenne et de trouver un industriel prêt à en financer le coût — très élevé — pour un marché somme toute limité. Ces mêmes chercheurs ont établi que les campagnols n’avaient pas développé de résistances à ces molécules.

Les phéromones pour mieux appâter

Une équipe de l’Inra a identifié des composés volatils spécifiques — les phéromones — contenus dans l’urine et les glandes abdominales qui permettent aux campagnols de communiquer entre eux. Ils ont également identifié une protéine urinaire (arvicolin) capable de piéger les phéromones et d’augmenter leur pouvoir attracteur. Des tests olfactifs sont en cours pour déterminer le rôle de ces signaux chimiques dans la reproduction et développer de nouveaux moyens de lutte qui perturberaient ces signaux, ou permettraient d’attirer les campagnols vers des appâts ou des pièges.

L’immuno-contraception pour réduire la reproduction

L’université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand a entrepris des recherches sur l’immuno-contraception. L’idée est de développer un vaccin qui activerait les défenses immunitaires du campagnol contre ses propres spermatozoïdes pour les rendre inaptes à la reproduction.

Une application mobile de suivi

VetAgro Sup de Clermont-Ferrand a développé une application mobile sur smartphone qui vise à rationnaliser le suivi des populations et faciliter la remontée d’informations. Les informations sont synthétisées sous forme cartographique. À l’avenir, elles permettraient de lancer des alertes en temps réel pour inciter à la lutte. L’application est en cours de déploiement en Auvergne.

Robotiser la lutte

La lutte contre le campagnol étant très chronophage, un projet de robotisation est à l’étude. Il s’agit de développer un prototype de robot autonome capable de se déplacer dans un environnement non structuré et de poser des appâts et des pièges. Il serait développé par l’Irstea en partenariat avec des industriels el nécessiterait un budget de 650 000 euros. Le projet peine jusqu’à présent à trouver des financeurs. Le Sidam Massif central se veut néanmoins optimiste.

Lutte directe et indirecte

La lutte directe comprend les appâts à base de bromadiolone et désormais de phosphure de zinc, le piégeage et le contrôle des taupes avec le PH3. Limiter la présence de taupes est important car elles préparent l’installation des campagnols. La lutte chimique est strictement réglementée (seuil de traitement, quantités par hectare…). Tout comme l’achat de pièges. Le travail de piégeage peut aussi être financé quand il est réalisé par un prestataire. C’est le seul moyen de lutte directe possible en agriculture biologique.

La lutte indirecte mixe un ensemble de mesures destinées à pourrir la vie du campagnol. Le travail du sol détruit les galeries et déstructure les populations. Attention toutefois aux engagements PAC. Le broyage des refus détruire des zones refuges et favorise la prédation. L’alternance fauche/pâture, quand elle est possible, a montré son efficacité. Tout ce qui peut favoriser la prédation par les rapaces diurnes et nocturnes et les carnivores à quatre pattes est à prendre en compte : reconstitution de haies, installation de perchoirs ; nichoirs à chouettes. Si les prédateurs sont dépassés lors des pullulations, ils retardent leur arrivée.

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