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Chez Laurent Montagne, dans les Pyrénées-Orientales
Les ressources d’un système pastoral méditerranéen

Une SAU très limitée mais d’immenses surfaces pastorales, une génétique axée sur la rusticité et des produits finis valorisés par des signes de qualité. Voilà le combo gagnant de Laurent Montagne.

En ces derniers jours de mars, le contraste est saisissant entre les prairies verdoyantes des fonds de vallée, à 750 mètres d’altitude, et les pentes pelées du massif du Canigou et son sommet enneigé. Laurent Montagne (EARL Monlauda) est éleveur à Fillols, dans les Pyrénées-Orientales, avec une soixantaine de vaches Gasconnes. La SAU proprement dite se limite à 28 hectares de prairies permanentes (8 ha de plus à partir de cette année), dont 20 hectares irrigués par submersion. Très morcelée, elle est consacrée en quasi totalité à la récolte des fourrages (25 ha). L’exploitation est autonome à 80 % pour les stocks : les fourrages manquants sont achetés en Espagne (luzerne et céréales immatures en foin). Les pâtures ? Des parcours et des estives qui fournissent une ressource fourragère précieuse du 1er mai jusqu’à fin décembre, voire en hiver. « Les éleveurs se sont maintenus grâce à l’accès à l’estive et, comme les fonds de vallée sont très étroits, ils ont irrigué et obtiennent de bons rendements malgré un climat sec », résume Lucien Pagès, de la chambre d’agriculture régionale d’Occitanie.

Des parcours de mi-saison et une estive collective

Le cheptel a accès à deux types de parcours. Le plus important comprend 300 hectares de terrains calcaires appartenant à une multitude de propriétaires privés regroupés en association foncière pastorale et gérés par un groupement pastoral. Il est clôturé et divisé en quatre parcs. Situé à deux kilomètres de la stabulation, il est exploité par Laurent Montagne et un éleveur ovin, dont le cheptel pâture derrière les vaches et tient le terrain propre par la pression pastorale qu’il exerce. Cette surface bénéficie d’une MAE DFCI (Défense des forêts contre les incendies) et sert d’estive de demi-saison. L’éleveur y fait pâturer une partie du troupeau (30 à 40 vaches et les génisses de deux ans) au printemps, du 1er mai au 15 juin, et une quarantaine de vaches pleines du 1er novembre au 1er janvier. Elles reviennent à la stabulation au fur et à mesure qu’elles vêlent. À partir du 15 juin, la totalité du cheptel (sauf les génisses d’un an) partent dans une estive collective de 3 000 hectares, qui s’étend de 1 800 à 2 300 mètres d’altitude. Elle a un bon potentiel et elle est peu chargée (300 UGB). Le troupeau redescend entre le 15 octobre et le 1er novembre. Les génisses d’un an vont sur une autre estive collective.

« Vaches rustiques avec un bon potentiel maternel et laitier »

L’éleveur dispose enfin de 93 hectares de parcours privés très pauvres - des anciens terrains miniers - exploités en hiver par des vaches tardives et les génisses de deux ans (jusqu’au 15 février). « La SAU est rare, tout ce qui peut être pris à l’extérieur est bon à prendre », souligne Lucien Pagès. Cumulées, ces ressources pastorales couvrent plus de 60 % des besoins du troupeau, les stocks se limitant à 1,75 tonne de matière sèche par UGB. « On n’amène que les bêtes utiles au cornadis », ajoute le conseiller. Elles sont aussi l’avantage d’être très peu chères et de bénéficier d’un certain nombre d’aides (clôtures, débroussaillage...). L’estive revient à 22 €/UGB et les parcours sont quasiment gratuits.

Pour exploiter ces surfaces, Laurent Montagne met l’accent sur la rusticité dans ses critères de sélection. « La Gasconne valorise très bien les parcours difficiles et de très haute altitude, estime Lucien Pagès. Avec ses bons aplombs, elle explore des zones très difficiles et résiste aux fortes variations de température. » Sur les aptitudes fonctionnelles, en pointage, son cheptel se situe deux points au-dessus de la base de sélection. Son troupeau compte davantage de vaches non porteuses du gène culard que la moyenne des cheptels sélectionneurs, résultat d’une sélection sur la rusticité, même si le lien n’est pas formellement avéré. « Il a des vaches rustiques avec un bon potentiel maternel et laitier », résume Guillaume Lauze, technicien à l’UPRA. L’éleveur conserve une douzaine de génisses pour le renouvellement et en vend quatre ou cinq à la reproduction. Son objectif est de stabiliser le troupeau à 65 vêlages.

Groupage de chaleur et croisement sur les génisses

Depuis deux ans, il fait un groupage de chaleur sur les génisses et les insémine avec des taureaux limousins et charolais pour produire du veau primeur, une marque de la Coopérative catalane des éleveurs. Elles mettent bas de fin novembre à début décembre. Les autres vaches vêlent à partir de fin décembre jusqu’en février-mars. Pendant trois semaines, du 15 mars au 5 avril (date de mise à l’herbe), elles sont inséminées en race pure (25 IA), puis ce sont les taureaux de ferme qui effectuent les saillies. « Ces trois semaines correspondent au fonctionnement de l’exploitation, explique Laurent Montagne. Les vaches inséminées vêlent fin décembre, période où je les rentre au bâtiment. De plus, j’ai constaté qu’à la mise à l’herbe, il y a un arrêt des saillies. Les taureaux gascons restent avec les vaches jusqu’à la montée en estive, puis c’est le taureau limousin qui prend le relai. » Seuls les taureaux Limousins sont acceptés dans l’estive.

« Des cycles courts pour libérer les vaches assez tôt »

Pour mieux valoriser les veaux, l’éleveur s’oriente de plus en plus vers les démarches identifiées du département, en particulier le veau primeur et le Vedell des Pyrénées catalanes (IGP), au dépens des broutards. « Le département a pris l’option de travailler sur les cycles courts, vu la pauvreté des ressources fourragères, pour libérer les vaches assez tôt », commente Lucien Pagès. Un plan départemental a été lancé pour développer la finition, déjà solidement implantée (41 % de ventes en boucherie). Le veau primeur est un veau rosé de moins de 8 mois et moins de 160 kilos carcasse. « La complémentation du veau soulage la vache, qui a ainsi plus de facilité à reprendre le taureau », explique l’éleveur. D’où le choix de produire le veau primeur avec des primipares. Elles sont conduites sur un site à part. Les veaux sont complémentés avec 1 à 3 kilos d’aliment et sevrés début juin. Certains directement et les autres sont gardés un à deux mois de plus (avec 4,5 kg d’aliment). Ils sont vendus entre 6 et 6,40 €/kg carcasse. En tout état de cause, les primipares ne sont plus suitées quand elles montent en estive.

Une filière départementale bien structurée

Les autres veaux sont sevrés en estive vers le 15-20 septembre quand les troupeaux redescendent sur la partie basse. Les broutards mâles sont vendus directement ou repoussés pendant un mois, l’objectif étant de les amener jusqu’à 260 kilos. Quelques-uns, parmi les plus tardifs, sont conservés pour faire du Vedell, un jeune bovin de moins d’un an (180 à 220 kilos carcasse). Ils sont engraissés pendant trois mois avec 5 à 6 kilos d’aliment par jour. Ils sont valorisés entre 4,50 et 4,80 €/kg carcasse.

Ces systèmes pastoraux, associés à des démarches de qualité et à une forte structuration de la filière départementale, via notamment la Coopérative catalane des éleveurs, qui a beaucoup développé la promotion des produits, et l’abattoir de Perpignan refait à neuf, ont un véritable avenir devant eux. Avec la PAC actuelle, les zones pastorales sont enfin reconnues. Les aides vont évoluer très favorablement à l’échéance prévue. Mais, le département part de loin : avant la réforme, les droits à paiement unique étaient en moyenne de 30 euros par hectare. L’entretien d’un territoire aussi fragile par une activité économique vaut bien ce soutien.

L’irrigation, précieuse mais contraignante

L’irrigation est essentielle au fonctionnement de l’exploitation. L’eau est puisée dans une petite rivière et amenée par un canal qui assure un débit de 30 à 40 litres par seconde. Il permet d’arroser environ 70 hectares, répartis sur quatre exploitations. L’irrigation est gérée par une ASA que préside Laurent Montagne. Des canaux secondaires, pas forcément cimentés, alimentent chaque parcelle. L’arrosage se fait par submersion. Un rôle détermine les horaires et durées d’arrosage pour chacune, en fonction de sa superficie. Le retour se fait toutes les semaines plus 8 heures, de sorte qu’elles ne soient pas irriguées au même moment de la journée. La gestion de l’arrosage, parcelle par parcelle, n’en est pas moins contraignante. Les éleveurs doivent participer aussi à l’entretien des canaux, collectivement sous forme de journées pour les branches principales, individuellement pour les branches secondaires.

Chiffres clés

28 hectares de SAU et 93 ha de parcours exploités individuellement, auxquels s’ajoutent 300 ha de parcours exploités à deux et une estive collective
65 Gasconnes
0,6 UGB/ha SFP (1,13 UGB/ha en chargement corrigé)
1 UMO
Avis d’expert

« La productivité de la main-d’œuvre fait la différence »

« Comparé au cas-type gascon naisseur ariégois, l’exploitation de Laurent produit 5 tonnes de viande de plus avec moins de main-d’œuvre. Elle sort 17 tonnes avec une seule UTH (12 t dans le cas-type avec 1,3 UTH). La stratégie commerciale permet de maintenir le même niveau de valorisation (231 €/100 kg vif) que le cas-type alors qu’une part importante des bêtes sont finies. Le niveau d’aides  est comparable. Du côté des charges (ramenées aux 100 kg vifs), la situation est tout aussi favorable. Les coûts des surfaces sont moins élevés que dans un système conventionnel. Les achats alimentaires sont supérieurs, mais le système est plus économe en mécanisation et en bâtiment. Au final, aussi bien sur le produit (supérieur au cas-type) que sur le coût du travail (nettement plus faible), c’est la productivité de la main-d’œuvre qui fait la différence. Il en résulte un excédent brut d’exploitation deux fois plus élevé. Produire 17 tonnes avec 28 ha de surface de base, seul, dans un territoire aussi compliqué, tout en assumant de nombreuses responsabilités, n’en reste pas moins un vrai défi. »

Lucien Pagès, conseiller bovins et équins à la chambre régionale d’agriculture d’Occitanie

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