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Le numérique peut-il aider à gérer le bien-être animal ?

Une multitude d’applications, de capteurs… fait qu’aujourd’hui le numérique et le bien-être animal sont des sujets d’actualité tout à fait complémentaires. Cette complémentarité est prometteuse mais pose un certain nombre de questions.

Les objets connectés au service de l’homme et de l’animal ne sont pas un simple divertissement. S’ils apportent une meilleure connaissance des animaux, attention au risque de ne les voir qu’à travers les objets connectés. © C. Delisle
Les objets connectés au service de l’homme et de l’animal ne sont pas un simple divertissement. S’ils apportent une meilleure connaissance des animaux, attention au risque de ne les voir qu’à travers les objets connectés.
© C. Delisle

La société place aujourd’hui le bien-être animal au cœur des enjeux de l’agriculture.  « Pour autant, son évaluation est chronophage, multicritère et ne peut être à ce jour intégrée dans la gestion quotidienne du troupeau. Alors, parce qu’il offre de nouvelles perspectives, le numérique semble pouvoir être un levier pour améliorer le bien-être animal en élevages (détection précoce des troubles, meilleur contrôle des conditions d’élevage, suivi précis des paramètres physiologiques et comportementaux des animaux) », rapporte Isabelle Veyssier, directrice de recherche au centre Inrae de Clermont-Ferrand, lors d’un séminaire sur le numérique et le bien-être animal, organisé par la Chaire Agrotic.

Des utilisations pour le bien-être animal

Le bien-être animal se définit selon deux dimensions, physique et mentale (ressenti de l’animal). Pour l’atteindre, il est nécessaire de combler les besoins comportementaux et physiologiques mais aussi de se poser la question de sa perception de la situation. Or, pour avoir une idée du niveau de bien-être de ses animaux au jour le jour et le garantir, il faut pouvoir le mesurer et pour cela, disposer d’outils. « Ces dix dernières années, on a assisté à un boom du développement des outils numériques du monitorage directement en élevages (thermobolus, pH mètres, accéléromètres, bascules…). On dispose ainsi de capteurs environnementaux, de nutrition, de santé et de reproduction.

 

 

Ces objets connectés existants sont utilisables pour évaluer les besoins physiques et engager des actions en cas d’anomalies. Ils répondent donc bien à la première composante (physique) du bien-être animal mais sont également prometteurs pour évaluer la dimension mentale, en lien avec les comportements positifs et les postures qui exprimeraient le bien-être ou les expressions faciales pour traduire le mal être. L’évaluation de la dimension physique est rendue possible par des mesures physiologiques comme la fréquence cardiaque qui, en état de stress, s’accélère et par des mesures de données biochimiques comme les hormones de stress (type cortisol). Des perspectives intéressantes sont aussi en cours d’évaluation comme la possibilité de détecter l’humeur des animaux par la reconnaissance faciale », explique Dorothée Ledoux, enseignante-chercheuse à VetAgro Sup campus vétérinaire.

Des solutions terrain

Des méthodes d’évaluation, même si elles ne sont pas encore très déployées en routine sont déjà commercialisées. A commencer par l’imagerie 3 D dont plusieurs systèmes existent. Ces outils offrent des potentialités en termes d’évaluation des caractéristiques corporelles des ruminants. « Ils permettent soit d’estimer la note d’état corporel des vaches soit de numériser en globalité l’animal en 3 D. Cette technologie n’a pas été développée pour évaluer le bien-être mais elle peut tout à fait contribuer à son suivi et améliorer les conditions de travail de l’éleveur. On pourrait gérer le suivi du poids, estimer le volume d’ingestion pour suivre ou détecter des troubles sanitaires ou alimentaires participant à l’évaluation du bien-être. On peut dans un autre registre observer la démarche de l’animal ou plus généralement s’intéresser à son comportement ou à celui du troupeau pour détecter des boiteries ou des troubles comportementaux. Le champ des possibles reste ouvert », commente Laurence Depuille de l’Institut de l’élevage.

Pour retirer des informations exploitables, il est avant tout nécessaire de développer des algorithmes. L’Inrae de Clermont-Ferrand travaille actuellement pour essayer de capter un comportement anormal. Ce travail concerne les boiteries et le stress, mais il laisse espérer une évaluation du fonctionnement des groupes (réseaux sociaux, interactions entre animaux), une possibilité de détecter les expressions de douleur (un système d’analyse d’images a été développé par des chercheurs britanniques pour détecter les faciès de douleur des agneaux) mais aussi de mesurer les réactions à l’homme, vérifier l’approvisionnement à l’eau, contrôler l’accès à l’extérieur, surveiller le confort thermique dans les bâtiments, en plus du suivi de l’état corporel de la reproduction et de la santé pour ainsi disposer à terme d’un panorama assez complet, pour cerner le bien-être des animaux.

Un projet européen cherche quant à lui à développer un outil, pour assurer le monitoring de la traçabilité du bien-être animal des productions lait et viande bovine, tout au long de la chaîne de production jusqu’au consommateur. Un autre projet se penche sur le développement de méthodologies d’évaluation du bien-être animal des bovins en parc d’engraissement (BeBop).

Des opportunités face à la réalité du terrain

Malgré tous les potentiels existants, les outils numériques au service du bien-être animal restent peu déployés commercialement. La première raison est économique car, pour être adoptées, ces technologies doivent être rentables pour l’éleveur. Or, si le consommateur exige le bien-être des animaux qu’il retrouve dans son assiette, il n’est souvent pas prêt à payer plus cher. La connectivité du monde rural, encore trop mal desservie, constitue un autre frein au déploiement des solutions numériques.

« Le passage de la preuve de concept à la solution terrain demeure également un autre aspect freinant leur intégration. On est encore loin d’une solution éleveurs qui soit robuste et adaptée aux situations très variables du terrain mais aussi à la variabilité du comportement de l’individu. Pour une bonne utilisation de ces outils, il est nécessaire également d’être bien formé. L’architecture informatique pose aussi question, tout comme la génération de faux positifs par les algorithmes et le manque d’interopérabilité des données (capacité que possède un système à fonctionner avec d’autres produits ou systèmes existants ou futurs) », observe Michel Marcon, directeur recherche et développement numérique à l’Institut du porc.

Rassurer le consommateur sur le bien-être animal

Le numérique est un outil pouvant apporter des garanties aux consommateurs sur leurs principales attentes (naturalité, éthique/comportement des animaux d’élevage, qualité). « Certains de ces outils peuvent servir pour faire du monitorage des attentes consommateurs relatives au comportement des animaux (accéléromètre, analyse vidéo), à l’aspect naturalité du système d’élevage avec traçabilité de l’accès à l’extérieur. Pour ce qui est de l’assurance qualité, des outils existent aussi (thermobolus ruminal, détection boiterie par imagerie 2D/3D…). Le numérique par rapport à tous ces aspects, sert aussi à garantir une traçabilité (GPS, identification électronique) et une certaine sécurisation des données (blockchain, plateforme super sécurisée) », précise Amélie Fischer, chargé d’étude à l’Institut de l’élevage.

Les outils numériques, un bouleversement dans le travail de l’éleveur

L’utilisation d’outils numériques dans les exploitations peut entraîner une transformation profonde du métier d’éleveur (charge mentale, autonomie, lien aux animaux…).

Le développement des capteurs dans les élevages ouvre la voie à de nombreux usages parfois encore insoupçonnés. Pour autant, certaines problématiques ne peuvent être occultées. A commencer par le chamboulement amené dans le travail de l’éleveur dont le bien-être compte tout autant que celui de ses animaux. Si on parle beaucoup de réduction du temps de travail avec l’adoption de ces nouvelles technologies, grâce à la collecte de l’information automatisée, au traitement rapide des données, à la réalisation des tâches physiques par un automate… peu d’études existent pour en attester. « Les gains de temps restent variables et en lien avec l’état des équipements initiaux présents sur l’exploitation. Aussi, parfois, n’y a-t-il pas de gain de temps. De plus, avec ce genre d’outils, le travail de l’éleveur est bousculé et se base davantage sur des tâches d’observation, de décisions, difficiles à quantifier. Enfin, dans de nombreux cas, des stratégies d’agrandissement et notamment d’augmentation de cheptel sont couplées à l’acquisition de ces capteurs », souligne Nathalie Hostiou, chercheur à l’Inrae de Clermont-Ferrand.

De nouvelles relations homme-animal

« Si les capteurs peuvent offrir souplesse et flexibilité dans la journée de travail, il ne faut pas négliger la charge mentale engendrée par leur acquisition (nombreuses informations générées, stress lors de leur adoption, pannes outils…), ainsi que la modification de l’autonomie décisionnelle et de l’indépendance de l’exploitant (dépossession du savoir-faire, difficulté à se faire remplacer, dépendance aux ressources externes pour l’entretien et les réparations…). » Enfin, si d’un côté les capteurs apportent une vision plus moderne, une meilleure connaissance individuelle des animaux, un travail plus aisé, de nouvelles interactions positives, ils peuvent par ailleurs entraîner, si on n’y prend garde une perte de contacts et de temps passé avec ses bêtes, des animaux invisibles, une diminution des compétences et aller jusqu’à une perte de sens dans le métier d’éleveur.

Le saviez-vous ?

La chaire AgroTIC, portée par Montpellier SupAgro et Bordeaux Sciences Agro, vise à apporter des réponses aux questions relative au numérique pour l’agriculture, en créant une synergie entre le monde de l'entreprise, de l'enseignement et de la recherche.

Des questions éthiques liées aux objets connectés chez les animaux

Les objets connectés soulèvent par ailleurs un certain nombre d’interrogations éthiques directement liées à leur utilisation mais également à leur impact sur la relation homme-animal et à l’utilisation des données générées. Pour une utilisation à bon-escient, il faut se poser les bonnes questions.

« Il est essentiel, avant d’équiper son élevage, de réfléchir au réel intérêt pour la santé et le bien-être de l’animal mais aussi de l’éleveur. L’innocuité, le traçage des données sont également des points à soulever (exemple : outils parfois invasifs utilisant des métaux lourds, décharge électrique dans le cas de clôtures virtuelles, traçage du propriétaire à partir de celui des animaux…). Ces outils ne sont donc pas toujours neutres pour l’animal. Leur intérêt sur sa santé ou son bien-être est parfois discutable et surtout, aucun contrôle n’est fait sur la nature et le type d’outil. On peut donc se demander quelles limites fixer dans l’appareillage des animaux en termes de type, nombre, nature et demander l’avis de spécialistes santé/comportement des animaux », souligne Raphaël Guatteo, professeur en médecine bovine à Oniris. La question de la performance des outils est par ailleurs importante. Un manque de spécificité (trop d’alertes positives) ou un défaut de sensibilité (animaux malades non détectés) peuvent entraîner un excès ou un défaut de traitement et porter atteinte au bien-être de l’animal. « Il est essentiel qu’un cadre réglementaire se mette en place afin de s’assurer de l’efficacité technique, économique et ergonomique mais aussi de l’innocuité pour l’animal et l’environnement. »

Des algorithmes pas toujours éthiques

La relation homme-animal n’est pas à négliger non plus dans le questionnement éthique. Car si d’un côté, les objets connectés redonnent sa place à l’individu et offrent une meilleure compréhension sur leur utilité, de l’autre ils permettent une identification plus aisée de l’animal qui sort de la norme et pose ainsi la question de son avenir dans le troupeau et par conséquent de la diversité. Aussi, « est-il important de s’interroger sur l’éthique des algorithmes très souvent produits par des marchands d’outils. »

Dans ce questionnement éthique, il faut également aborder l’importance du statut et du partage des données. « Dans un monde parfait, une valorisation collective des données offrirait de nombreuses perspectives (phénotypages fins, surveillance syndromique et connaissances médicales). Dans la pratique on observe, une très faible valorisation des données de santé, des systèmes très fermés, peu de formation-collaboration, pas de cadre clair de la data… »

 

Pour aller plus loin : La conduite positive du bovin par Pauline Garcia

Pour aller plus loin : Vingt ans de recul pour la méthode Souvignet

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