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Le campagnol terrestre dévaste le Massif central

Un nouveau pic de pullulation de campagnols terrestres se profile pour le printemps prochain. Cinq ans après le précédent et après plusieurs sécheresses, l’inquiétude est forte.

Fin décembre, la neige a recouvert toutes les hauteurs du Massif central de son blanc manteau. Quoi de plus normal en cette saison ! Mais quand elle fondra, beaucoup s’attendent au pire car elle a recouvert d’innombrables prairies dévastées par les campagnols terrestres à l’automne. Et ce n’est pas la neige qui va empêcher le rat taupier — comme on le nomme plus souvent — de "travailler" Bien au contraire. Les mêmes mots reviennent chez tous nos interlocuteurs : « très inquiétant », « très préoccupant » « alarmant »… Après celui de 2015-2016, un violent pic de pullulation est redouté au printemps prochain. Les premiers signes d’une montée en puissance des populations étaient apparus dès l’hiver dernier mais sans véritable explosion. La sécheresse estivale a mis un frein aux instincts fouisseurs des campagnols mais ne les a pas empêchés de poursuivre discrètement leur reproduction. Avec le retour des pluies à l’automne, ils ont redoublé d’activité, signe d’une forte présence, dans de nombreux territoires. Dans le Cantal, les taches rouges se sont multipliées sur la carte de surveillance, du Cézallier à l’Aubrac, des Monts du Cantal à la Planèze de Saint-Flour… En Haute-Loire, le plateau du Mézenc subit son deuxième hiver de pullulation.. Dans le Puy-de-Dôme, les observateurs du réseau de surveillance prévoient « une nouvelle pullulation de grande envergure » sur le Cézallier et le Sancy.

« La tranquillité n’existe plus avec le campagnol »

Dans ces trois départements, toutes les zones d’altitude sont touchées à des degrés divers. Et, fait nouveau, les campagnols sont présents dans des zones plus basses et davantage cultivées. De nombreux secteurs des départements limitrophes (Aveyron, Lozère, Corrèze…) sont très affectés également. Quant à l’autre « territoire » du campagnol, la Franche-Comté, « plusieurs secteurs et communes subissent un épisode de pullulation avec de très fortes infestations », note la Fredon, et la moitié des communes est en phase de croissance. « Le contexte est pire que celui de 2015-2016, qui a déjà laissé beaucoup de traces, y compris morales, car la conjoncture n’est pas bonne et les éleveurs ont subi entre-temps trois sécheresses », estime Pierre Lestrade, conseiller spécialisé à la FDGDON du Cantal. Tous constatent aussi que les pullulations sont de plus en plus rapprochées. Les périodes de basse densité sont plus courtes. « La tranquillité n’existe plus avec le campagnol, il n’est plus question de relâcher la garde », souligne Christian Munier, vice-président de la Fredon Aura et président de la commission campagnols.

Mener une lutte précoce et collective

Que faire dans une situation si dégradée ? Au plus fort des pullulations, avec des parcelles qui abritent de l’ordre de 1 000 campagnols par hectare, mener la lutte n’est plus possible. « Au-delà de 200 - 300 campagnols par hectare, l’efficacité de la lutte est réduite », confirme Sandrine Laffont, ingénieure à la FDGDON du Puy-de-Dôme. C’est donc encore et toujours en basse ou moyenne densité qu’il faut tenter de juguler les infestations. Même si les efforts ne sont pas toujours payés de retour et si nul ne peut prétendre maîtriser complètement la situation. « En général, le pic de pullulation démarre plus tardivement chez les agriculteurs qui ont mis en place la lutte. Du coup, il dure moins longtemps, poursuit-elle. Souvent, ils parviennent à sauver la première coupe. » La lutte est d’autant plus efficace qu’elle est menée de manière collective sur un secteur. « Si la lutte n’est pas collective, elle permet de sauver la coupe mais taupes et campagnols reviennent à partir des parcelles voisines, explique Pierre Lestrade. Quand plusieurs agriculteurs mènent la lutte ensemble, ça paye. » Une façon aussi de ne pas céder au découragement. Il faudrait mettre « moins de pression sur le renard » et cesser de le considérer comme un nuisible, ajoute Christian Munier. Si les prédateurs ne peuvent à eux seuls contrôler une pullulation, il a été montré qu’ils contribuent à la lutte.

Les résultats encourageants du phosphure de zinc

L’utilisation de la bromadiolone, l’anticoagulant qui a longtemps été au centre de la lutte contre le campagnol, n’est plus autorisée depuis le 20 décembre dernier. Mais, une nouvelle molécule, le phosphure de zinc, semble donner des résultats encourageants (lire ci-contre). Elle est commercialisée sur support de blé depuis l’été dernier sous la dénomination commerciale Ratron GW. Contrairement à la bromadiolone, il n’y a pas de seuil d’interdiction (densité de campagnols). En revanche, la quantité maximale utilisable est beaucoup plus faible (2 kg de produit/ha/an). Et, pour l’instant, seule l’application manuelle, avec une canne spécifique ou à la cuillère, est autorisée. Le grain doit être soigneusement enfoui car sa toxicité primaire est très forte. Deux conditions qui font qu’il n’est adapté qu’à la lutte précoce, essentiellement à la tache sur des foyers frais. « Dans des parcelles pas trop touchées, la dose de 2 kg/ha est largement suffisante », assure Pierre Lestrade. Une dérogation a été accordée pour les exploitations en agriculture biologique mais elle est tellement restrictive (déclassement des parcelles et fourrages) qu’il y a peu d’intérêt à la solliciter.

Contrats de lutte : aide de 75 % du FMSE

Une demande a été faite auprès du ministère de l’Agriculture pour pouvoir appliquer le Ratron GW avec une charrue sous-soleuse. Elle semble en bonne voie. « Mais, il ne faut pas donner l’illusion qu’avec la charrue, on aura plus de temps pour agir », prévient Christian Munier. La quantité de produit autorisée restera la même. « Il faut être en vigilance totale et chaque année mettre des moyens de lutte sans attendre qu’il y ait trop de campagnols, insiste-t-il. Dès les premières taches, il faut intervenir. » C’est le but des contrats proposés par les FDGDON : « mettre en place un programme de lutte permanente ». Le contrat de lutte, qui engage pour cinq ans, permet de bénéficier de l’aide du FMSE (Fonds national agricole de mutualisation du risque sanitaire et environnemental). Il finance les moyens de lutte à hauteur de 75 % du coût, qu’elle soit directe (achat de pièges, produits de traitement et matériel d’application, coût d’application), ou indirecte (travail du sol, installation de perchoirs ou nichoirs pour favoriser les prédateurs…). Dans le Puy-de-Dôme, une association d’insertion, Laser emploi Auvergne, a formé une dizaine de piégeurs. Ils interviennent à la demande d’agriculteurs, individuels ou groupés, surtout contre les taupes. Le coût (21 €/heure) est indemnisé par le FMSE. « Le contrat de lutte est un très bon dispositif, assure Pierre Lestrade. Il apporte une aide financière substantielle. »

 

Lire aussi :Lutter sans relache contre le campagnol terrestre

 

Avis d’éleveur - Didier Rispal, 72 ha et 65 Salers en système broutard à Giou-de-Mamou, dans le Cantal

« On a beau avoir traité, on est complètement dépassé »

« Depuis 2010, nous sommes au troisième pic de pullulation de campagnols. Nous avons l’impression qu’elles sont de plus en plus rapprochées et de plus en plus virulentes. C’est une catastrophe, il faut voir les paysages lunaires qu’ils laissent derrière eux… Quand on est confronté à de tels épisodes, ça devient très compliqué. Les exploitations se sont agrandies, la main-d’œuvre a diminué. Comment faire face quand on est seul sur 70 hectares ? Depuis dix ans, avec quelques voisins, nous essayons malgré tout de faire de la lutte précoce. Je me suis formé à l’utilisation du PH3 contre les taupes. Je fais un peu de piégeage mais c’est très chronophage. Entre deux pics, la lutte porte ses fruits. Les récoltes sont plus propres. Mais, quand les pullulations arrivent, on a beau avoir traité, on est complètement dépassé. J’ai commencé à utiliser du Ratron GW cet automne. Il semble prometteur d’après les essais, mais nous attendons de voir si ces résultats se confirment. Dans le département, nous sommes actuellement confrontés à la mise en application des périmètres de protection des captages, qui nous impose de nouvelles obligations. Un tiers de mon exploitation est concerné. Tout traitement sera interdit. Faut-il laisser se développer une pullulation de campagnols qui serait, à mon sens, plus néfaste pour l’eau potable, que des traitements effectués dans le respect des réglementations ? À qui incombe la lutte sur ces périmètres ? Il est désolant aussi que les principaux concernés, propriétaires et exploitants, n’aient pas voix au chapitre dans ces procédures alors que toutes les analyses d’eau (pesticides, nitrates) montrent que nos pratiques sont vertueuses. »

Bonne efficacité du phosphure de zinc

Au contact des sucs gastriques, le phosphure de zinc se transforme en un gaz très toxique pour le rongeur. Ce gaz étant rapidement éliminé, le cadavre n’est pas dangereux pour la faune non-cible. Le Ratron GW est distribué par le réseau des FDGDON, qui assure des formations pour un usage en toute sécurité, et dans le circuit habituel des fournisseurs agricoles. Le Certiphyto est obligatoire pour l’acheter et l’utiliser. Des essais menés l’été dernier en Auvergne et Franche-Comté montrent une efficacité variable mais équivalente sinon supérieure à la bromadiolone. Menés en conditions sèches et avec des populations faibles à modérées, ils doivent être confirmés dans d’autres contextes, notamment en période humide. Mais, les retours des premiers utilisateurs à l’automne dernier sont très positifs.

Un impact économique conséquent

Philippe Halter, animateur de la filière viande bovine à la chambre d’agriculture de Haute-Loire, a chiffré l’impact économique d’une pullulation de campagnols sur deux systèmes bovins viande (53 vaches Aubrac sur 100 ha en système broutards ; 75 Aubrac sur 150 ha en AOP Fin gras du Mézenc). Outre les pertes de fourrages (- 30 %), compensées par des achats, les simulations intègrent les dégâts sanitaires liés à la présence de terre dans les fourrages, qui occasionnent des frais vétérinaires supplémentaires ainsi que les pertes de production (mortalité, problèmes de fécondité, baisse de croissance et moindre finition…), soit moins 10 % de viande vive produite et des charges supplémentaires (hersage des taupinières). La perte de revenu s’élève à 40 % dans le premier cas et à 30 % dans le système AOP. En décapitalisant légèrement le cheptel (- 10 %) puis en recapitalisant partiellement la deuxième année, la perte est un moins importante. Pertes auxquelles se surajoutent les sécheresses et l’éventuel resemis des prairies.

De nouveaux moyens de lutte à l’étude

PH3 sur campagnols

L’Arvalin Phos (PH3), homologué depuis 2012 contre les taupes, devra encore attendre pour l’usage campagnol. La demande reste d’actualité mais la réponse a été retardée pour cause de Brexit car elle avait été portée par le Royaume-Uni et doit donc être réévaluée.

Nouveaux appâts à base de phosphure de zinc

En Allemagne, où se situent les fabricants, le phosphure de zinc est utilisé avec d’autres supports : granulés de luzerne et copeaux de carotte déshydratée. Des expérimentations réalisées en Auvergne l’été dernier ont donné de bons résultats. Ils doivent être confirmés par de nouveaux essais afin de soutenir une demande d’homologation en France pour le support luzerne, qui pourrait aboutir assez rapidement car ce produit possède une homologation européenne. Ce n’est pas le cas de la carotte, qui a peu de chance d’obtenir rapidement une autorisation de mise sur le marché en France.

Les phéromones pour mieux appâter

Une équipe de l’Inrae a identifié des composés olfactifs volatils — les phéromones — contenus dans l’urine et les glandes abdominales qui permettent aux campagnols de communiquer entre eux. Ils ont pu différencier mâles et femelles. Ils ont également trouvé une protéine urinaire (arvicolin) capable de piéger les phéromones et d’augmenter leur pouvoir attracteur. L’idée serait d’attirer les campagnols vers les pièges et appâts. Des tests sont en cours.

Stériliser les campagnols

L’université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand a repris un travail de recherche entrepris au début des années 2000 puis abandonné faute de moyens sur l’immuno-contraception. L’idée est de développer un vaccin qui activerait les défenses immunitaires du campagnol contre ses propres spermatozoïdes pour les rendre inaptes à la reproduction. C’est le projet qui suscite le plus d’espoir. Les chercheurs sont aujourd’hui en capacité de déclencher cette réponse immunitaire et testent des supports d’administration. « L’objectif est d’arriver à une méthode de stérilisation très précise sur le campagnol terrestre », assure Christian Munier. Pas question en effet de prendre des risques sur des espèces non ciblées quand on touche à la reproduction. Restera ensuite l’étape de l’homologation, pas forcément gagnée d’avance.

 

 

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