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En Argentine
Le bétail vivant coté en bourse

Les marchés à terme de Buenos Aires et de Rosario ont conjointement créé deux contrats indexés sur la valeur du kilo vif de bétail maigre et gras. Reportage à Buenos Aires.

Le troisième essai sera-t-il le bon ? Le sourire crispé de l’expert, qui hésite à répondre, souligne l’importance de l’enjeu, et ses doutes. Les nouveaux contrats à terme pour les bouvillons maigres et gras, lancés l’été dernier en Argentine, séduiront-ils les éleveurs et les abatteurs ? « Il faut voir comment réagiront les parties…», estime  simplement Ramiro Costa, le directeur de la Bourse aux céréales de Buenos Aires, dont le marché à terme a lancé, le 27 août dernier, ces deux nouveaux produits financiers qui sont des instruments de couverture de risque lié au prix. Ces contrats portent chacun sur une tonne de bétail et s’adressent également aux distributeurs et aux spéculateurs lambda.

Succès incertain de ces contrats

Pouvoir geler des mois à l’avance son prix d’achat ou de vente du bétail permet de stabiliser sa trésorerie, voire réaliser de meilleures marges, soit. Mais le succès de ces contrats à terme reste incertain au pays des gauchos. En Argentine, l’économie demeure minée par l’inflation et ce pays exporte désormais « seulement » 8 % des quelque 2,7 millions de tonnes de carcasse de bœuf avec os produites chaque année, contre un peu plus de 20 % il y a une quinzaine d’années. Pour aider les abatteurs-exportateurs à nouer des affaires avec davantage de prévisibilité, les autorités argentines ont soutenu la création de tels contrats à terme, qui n’engagent cependant pas les vendeurs de bétail à sa livraison physique lorsqu’ils arrivent à échéance.

Dans les années 1990, deux tentatives similaires avaient avorté coup sur coup, faute d’opérations suffisantes. À l’époque, la décapitalisation du cheptel, conjuguée à une grave crise financière, avaient mis fin à l’aventure. Les contrats à terme d’alors n’avaient existé que quelques mois. Vingt ans plus tard, le contexte de la filière est plus favorable : « il y a un boum des naissances. On voit davantage de vaches en région pampéenne. Elles tendent à revenir après avoir été expulsées par la monoculture du soja », note Federico Cavarozzi, du marché à terme de Buenos Aires (Matba).

Et cette fois-ci, ce n’est pas un, mais deux indices bovins qui ont été créés en même temps : un pour le maigre, l’autre pour le gras. Et ce, non pas sur une, mais sur deux places financières: le Matba, donc, et le marché à terme de Rosario (Rofex) dont les plateformes opérationnelles ont fusionné au début de l’année. Enfin, ces contrats à terme indexés sur la valeur du kilo vif devraient prochainement être émis en dollar étatsuniens, « dès novembre », selon Federico Cavarozzi.

Blinder les marges à l’avance

Cet outil financier, qu’il compare à une assurance auto, avantagerait surtout les abatteurs-exportateurs qui peuvent ainsi mieux négocier avec leurs clients étrangers en blindant leur marge à l’avance, celle-ci dépendant en grande partie du prix d’achat du bétail vivant à transformer.

Les distributeurs qui sous-traitent l’abattage, eux aussi, auraient intérêt à sceller leur prix d’achat au préalable, puisque ce prix, fixé en peso argentin, dans un pays où l’inflation reste forte, se traduit forcément par une belle affaire. Toutefois, nuance Jorge Longobuco, le directeur du marché à bestiaux de Liniers, à Buenos Aires, « la valeur boursière du bétail n’influera pas trop celle de la marchandise physique. Les acheteurs du marché physique de Liniers sont parfois propriétaires de boucheries… Or, si au rayon viande les consommateurs ne valident pas la hausse du bétail, celle-ci tourne court ».

L’Argentine, donc, a rejoint les États-Unis et le Brésil parmi les pays exportateurs de bœuf où les acteurs de la filière comptent sur une telle couverture de risque. Et cela concernerait aussi les éleveurs français car « le niveau du prix du bétail fixé sur les marchés à terme d’outre-Atlantique marquent la tendance mondiale », avertit Marcelo Comisso, du marché à terme de Rosario, en se référant aux contrats à terme bovins des marchés de Chicago, qui existent depuis 1964, et de Sao Paulo, au Brésil, qui fonctionnent depuis 1980.

Qu’ils concernent le maigre ou le gras, les contrats récemment créés en Argentine portent sur une tonne de bétail vif. Ils ont pour échéance celles de novembre 2017, puis février et avril 2018. Leur valeur est déterminée en fonction de la moyenne mensuelle pondérée de l’indice de référence du bouvillon gras (400 kg et plus) du marché aux bestiaux de Liniers, à Buenos Aires. Celui-ci tournait autour de 1,50 €/kg en octobre dernier.

Un long processus pour vulgariser ces contrats

« L’adhésion des éleveurs à ces contrats sera un long processus », prédit Carlos Pujol, négociant en bestiaux qui opère depuis Liniers. Jorge Longobucco vante, lui, le rôle de Liniers pour établir des tarifs qui feront ensuite référence à l’échelle de l’ensemble du pays. Le volume des transactions qui a lieu à Liniers représente « 1,2 milliard de pesos [environ 57 millions d’euros] pour 100 000 têtes de bétail vendues par mois », dit-il. La catégorie des bouvillons gras (+400 kg vif) est la plus courante.

Or, à Liniers, selon une source anonyme, beaucoup de transactions auraient encore lieu « au noir », avec paiement en espèces ! Ce qui semble incongru puisque, derrière le lancement de ces contrats à terme, fortement soutenu par le ministère de l’Agro-industrie argentin, il y a l’objectif, en encourageant ce recours aux marchés à terme, de réduire les transactions effectuées « au noir », lesquelles représenteraient à l’échelon national « 45 % du total du marché national », estime Federico Cavarozzi.

Ces contrats sur les marchés à terme du bétail ont démarré de façon timide. Au 27 septembre dernier, 248 contrats ouverts étaient recensés par le Rofex, qui portent donc sur autant de tonnes de bétail. Marcelo Comisso, du Rofex, constate que « l’obstacle au succès de ces contrats n’est pas l’accès aux marchés à terme, puisque tous les courtiers en grains y sont inscrits et que leurs clients cultivateurs ont souvent également du bétail à vendre. Le défi est plutôt de convaincre les éleveurs et les abatteurs qui ne sont pas habitués à utiliser les marchés à terme ».

La tâche semble énorme. Pourtant, à titre de comparaison, selon une source anonyme, le volume des valeurs échangées sur l’ensemble des places financières d’Argentine au cours d’une année entière représente celui d’une seule journée au marché à terme de Chicago (Chicago Mercantile Exchange).

Atouts et inconvénients de la contractualisation

Selon Marcelo Comisso, du marché à terme de Rosario, « si un abattoir a acheté sur ce marché financier, en août dernier, vingt contrats à terme, équivalant à vingt tonnes de bétail vif, à l’échéance de novembre 2017, au prix de 32 pesos (1,52 euro) le kilo vif, il aura gelé son prix d’achat à cette valeur. Or, si la valeur du bouvillon gras sur le marché physique s’élève, au mois de novembre, à 33 pesos (1,59 euro), nous [le marché à terme] lui reversons la différence, soit vingt mille pesos (environ 1 000 euros) pour qu’il puisse acquérir la quantité de bétail voulu sans que cela n’affecte sa trésorerie davantage qu’il ne l’aura planifié ».

Dans le cas d’un naisseur qui veut fixer à l’avance son prix de vente d’un lot de cent broutards auprès d’un engraisseur, il a désormais la possibilité de souscrire à vingt contrats à l’échéance de février 2018, par exemple, au prix de 40 pesos (1,90 euro). De cette façon, il peut s’assurer une certaine marge et adapter sa stratégie de coûts en fonction d’un prix de vente connu à l’avance.

La remarque est aussi valable pour les engraisseurs. Pour Fernando Storni, de la Chambre argentine des engraisseurs de bovins en parc, ceux-là ne sont pas habitués à recourir aux marchés à terme. « C’est une question d’éducation financière. Un obstacle à leur emploi est la différence qui peut exister entre le prix du marché physique et celui coté en bourse, sans oublier le coût de l’utilisation d’un marché à terme. Ces jours-ci, par exemple, le cours du kilo vif du bétail maigre est supérieur en bourse comparativement au marché physique, donc cela peut intéresser les naisseurs, mais pas les engraisseurs ! »

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