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« Il faut apprendre à prendre la parole »

Les interprofessions élevage de la région Centre-Val de Loire ont organisé une journée d’échanges début février sur les enjeux sociétaux. Son premier objectif était d’aider les éleveurs à mieux comprendre les évolutions de la société et ses attentes et interrogations vis-à-vis de l’élevage.

« Les éleveurs sont fatigués. Ils sont fatigués par ces années de crise et de revenu insuffisant. Ils sont aussi fatigués par les attaques incessantes auxquels ils sont confrontés dans l’exercice de leur métier, avec ces remises en cause permanentes de la façon dont ils élèvent leurs animaux », expliquait début février un éleveur à l’occasion d’une journée d’échanges sur les enjeux sociétaux organisée à Vierzon par les cinq interprofessions élevage de la région Centre-Val de Loire. Journée plus particulièrement destinée aux éleveurs et à leurs partenaires de l’aval afin de les aider à mieux comprendre les évolutions de la société, ses attentes et ses interrogations.

Du mythe de Martine à la ferme à la réalité du terrain

Est-ce les éleveurs qui doivent se réconcilier avec la société ou est-ce la société qui doit se réconcilier avec les éleveurs ? « Vous avez hérité du mythe de Martine à la ferme(1) », leur a expliqué la psychosociologue Annie Clerc de Marco, également à la tête d’un cabinet de relations publiques et communication. Cette dernière a développé une analyse sans concession des menaces qui pèsent sur la consommation de produits carnés. L’élevage dans sa version Martine à la ferme — avec cinq vaches, une demi-douzaine de cochons et quelques poules — est une vision naïve et totalement surannée du métier qu’ont encore une partie des Français. Comme les autres acteurs de l’économie, l’élevage vit avec son temps. Cela se traduit par des évolutions dans les techniques de production. Et Annie Clerc de Marco de souligner que la façon dont est souvent présenté l’élevage au Salon de l’agriculture ne donne pas non plus une image très fidèle de la réalité. « Il y a trente ans, lorsque j’ai commencé à travailler sur la filière viande et plus particulièrement sur l’élevage porcin, il n’y avait que l’impact environnemental des élevages qui gênait la société civile. Aujourd’hui, c’est le fondement même de votre activité qui est attaqué : l’abattage des animaux et donc la consommation de viande.»

Les crises et les scandales ont abîmé la confiance

Les différentes crises: ESB en 1996 puis en 2000, fièvre aphteuse en 2001, grippe aviaire en 2011, puis « horsegate » en 2013 ont violemment percuté les représentations symboliques que se faisaient les Français de l’élevage et des produits carnés et ont dégradé la confiance qu’ils en avaient. La montée en puissance des associations de protection animales et certaines de leurs actions ont marqué les esprits. « Les attentes sur le bien-être animal de la part de la société civile ne sont pas un effet de mode destiné à passer », ajoutait Aurélia Warin, éthologue(2). Ces préoccupations ne sont plus seulement un truc de « bobo friqué » habitant dans les centre-villes, ou de « mémère à toutou » léguant une partie de ses biens à des associations en charge de la protection animale. « C’est quelque chose de beaucoup plus profond. » Elles découlent en grande partie du fait que la plupart des Français n’ont plus forcément de grand-père ou de cousins éleveurs et sont de ce fait de plus en plus nombreux à avoir une très mauvaise connaissance du fonctionnement d’un élevage. « Et à la campagne, la plupart des monogastriques et un nombre croissant de vaches laitières sont en permanence élevés dans de grands bâtiments où on ne les voit plus ! » ajoutait Aurélia Warin. « Même chose pour les abattoirs. On ne sait plus comment ils fonctionnent. » La seule chose qu’il est possible de voir à ce sujet, ce sont les vidéos à charge mises en ligne sur YouTube par des associations ouvertement végan, dont le seul objectif est de mettre fin à toute activité d’élevage en France. « Les animaux proches des hommes, ce sont les animaux de compagnie. Et ils sont choyés ! Avec une tendance à l’anthropomorphisme de plus en plus nette ! Les manteaux pour chien existent depuis de nombreuses années et quand certaines personnes partent travailler, elles laissent la TV allumée pour que leurs animaux ne s’ennuient pas ! »  La création du Parti animaliste en 2016 et la présentation de candidats par ce parti dans 142 circonscriptions aux législatives de 2017 a marqué une nouvelle étape. Ces derniers ont obtenu plus de 1% des voix dans 86 circonscriptions. « Cela peut paraitre très peu, voir même insignifiant. C’est en fait énorme dans la mesure où ce n’était qu’une première participation », ajoutait Annie Clerc de Marco. Autre indice, les livres de cuisine « veggie » prennent une place de plus en plus importante dans les rayons des librairies. « C’est un rayon dynamique. Et surtout de grands noms de la cuisine française cherchent à profiter de façon assez opportuniste de cette tendance. » Les éleveurs et autres actifs travaillant dans le secteur de l’élevage et de la viande sont forcément déstabilisés face à ces évolutions. « Ils ne comprennent pas forcément les questionnements de la société et ne savent plus comment s’exprimer. »

Changer de stratégie et d'alliance pour reconquérir sa légitimité

« Il va falloir, je vous en supplie, apprendre à prendre la parole », soulignait Annie Clerc de Marco. « Pour ne pas être définitivement piégés, vous vous devez de réagir ! » Pour cette spécialiste des médias et de la communication, nous sommes aujourd’hui dans le règne de l’émotionnel (vidéos, images volontairement chocantes, etc.). Il ne sert à rien d’argumenter de manière rationnelle pour contrer cela. « Vous devez changer de stratégie et changer d’alliance pour reprendre le pouvoir sur votre métier. » Pour y arriver, Annie Clerc de Marco estime qu’il faut agir en deux temps. D’abord reconquérir la légitimité des éleveurs à parler de leur métier. « Il faut aider certains élevages à faire évoluer leurs pratiques. Les images horribles d’animaux dans des abattoirs ne doivent pas vous laisser indifférents, vous devez vous élever et protester contre ces pratiques. Si vous souhaitez que la société vous croie quand vous affirmez élever vos animaux avec bienveillance, vous devez vous assurer qu’ils sont mis à mort de la même façon ! » Les éleveurs, et en particulier les éleveurs de bovins allaitants, ont la chance de bénéficier d’un bon « capital sympathie » aux yeux des citoyens. À eux de continuer à le faire fructifier en mettant en avant le volet clé lié à l’utilisation des pâtures la plus grande partie de l’année.

Et pour cela, Annie Clerc de Marco les invite à se rapprocher de certaines associations de défense du bien-être des animaux. « Ce n’est qu’en travaillant main dans la main avec la société civile qu’elle pourra vous défendre contre les extrémistes. » « Ces attentes vis-à-vis du bien-être animal sont désormais quelque chose de profondément ancrées dans nos sociétés. De toute façon vous ne pourrez pas y couper ! » ajoutait Aurélia Warin. Les opérations médiatiques de L214 ont probablement contribué à accélérer les choses, mais ces évolutions étaient latentes et auraient de toute façon fini par sortir. À divers degrés, la plupart des autres pays sont eux aussi confrontés à cette montée en puissance des préoccupations liées au bien-être animal. « Vous ne pouvez plus ne pas discuter avec les ONG de protection animale. Ne vous opposez pas à elles mais travaillez avec elles», insistait Aurélia Warin et de souligner qu’Interbev avait vu juste en mettant en place la commission des enjeux sociétaux en janvier 2015, laquelle se concerte régulièrement avec certaines de ces associations. « Si vous communiquez auprès des consommateurs en partenariat avec ces ONG, alors votre discours n’aura pas de difficulté à passer. La plupart des Français analysent ces associations de protection animale comme des 'gentils' qui disent forcément la vérité, d’où l’importance de se rapprocher d’elles. »

François d'Alteroche

(1) « Martine » est l'héroïne d'une série d’albums pour enfants, publiés entre 1954 et 2014.

(2) Cabinet Bankiva spécialisé en conseil et expertise en bien-être animal et environnement. 

Définition du bien-être animal

La science permet d’apporter une réponse rationnelle aux notions de bien-être animal. Lequel s'est longtemps communément défini par cinq « libertés ».

1- Liberté physiologique, c’est-à-dire le fait de ne pas être confronté à la faim, à la soif ou à la malnutrition.

2- Liberté sanitaire, c’est l’absence de douleur, de blessure ou de maladie.

3- Liberté environnementale, c’est le confort thermique ou le confort de couchage.

4- Liberté psychologique, c’est l’absence de peur ou de détresse.

5- Liberté d’expression comportementale, c’est la liberté d’exprimer les comportements normaux de l’espèce (liberté de gratter le sol ou de se percher pour une poule, de fouir le sol pour un cochon).

Hormis rares exceptions, ces quatre premiers volets sont respectés dans les élevages dans la mesure où ils sont aussi nécessaires pour que l’animal puisse produire dans de bonnes conditions. « Mais actuellement beaucoup d’associations en faveur de l'amélioration des conditions de vie des animaux d'élevage centrent leurs discours et leurs revendications sur le cinquième point dans la mesure où les quatre premiers sont déjà respectés dans la plupart des élevages », précisait Aurélia Warin. Et cette dernière de souligner qu’aujourd’hui la définition du bien-être animal a évolué. Elle a été définie par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail en décembre 2017 comme « l’état mental et physique positif lié à la satisfaction de ses besoins physiologiques et comportementaux ainsi que de ses attentes. Cet état varie en fonction de la perception de la situation par l’animal. »

Apprendre à s’exprimer devant une caméra

On ne parle pas de la même façon et avec les mêmes mots avec un journaliste de Réussir Bovins Viande ou d’une autre revue spécialisée « élevage » et avec le reporter de BFM TV ou de TF1. Pour être à l’aise devant micros et caméras, les comités régionaux d’Interbev organisent régulièrement des formations à la prise de parole dans les médias. Quel vocabulaire employer ? Comment délivrer un message à la fois clair, court, concis et aisément compréhensible. Autant de volets abordés à l’occasion de ces formations. « Il faut vulgariser. Dire simplement avec des mots faciles à comprendre ce que l’on fait au quotidien sur son exploitation», résumait Chloé Serre, animatrice d’Interbev Centre-Val de Loire.

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