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Géorgie, le temps des pionniers des filières viandes

Il n’est pas simple de créer une filière viande bovine dans un pays entre deux mondes, entre deux régimes, dix ans seulement après une guerre. Des Suisses, des Russes, des Français et des Géorgiens s’y investissent.

Située entre la Russie et la Turquie, la Georgie, minuscule nation de 3,7 millions d’habitants a l’habitude de côtoyer des géants : l’ex-URSS au nord, l’Orient musulman au sud. Une localisation géopolitique complexe, soutenue par des choix politiques osés : résolument europhile et candidate à l’Union, la Géorgie affiche le drapeau européen dans toutes ses représentations officielles. Sa présidente, Salomé Zourabichvili, est née en France. Le pays espère que sa demande d’intégration dans l’UE la protégera des tentatives d’annexion de Poutine. La dernière guerre avec la Russie ne date que de 2008, même si les rapports restent cordiaux avec les touristes et les investisseurs russes.

Fort et résistant, le bovin est un emblème géorgien. Ses cornes deviennent des coupes décorées, dans lesquelles on sert le vin durant les festins où l’animal est apprécié sous forme de brochettes, plats en sauce et viande bouillie. Un billet de banque représente même quatre de ces précieux mammifères. Ce goût pour les bovins se poursuit encore aujourd’hui et les nombreux écrans géants de la capitale Tbilissi affichent des publicités pour des hamburgers. La découpe moderne, à l’occidentale, pour la viande grillée est également appréciée, mais plus rare.

Un élevage à reconstruire

Or cette image idyllique ne résiste pas à la visite de territoires ruraux où errent des bovins efflanqués et de petite taille, qui semblent abandonnés. Des vachers surveillent les plus grands troupeaux. Un rapide survol statistique confirme la situation : la FAO (1) recense 297 200 bovins abattus en 2017, pour un poids incroyablement bas de 72 kg de carcasse, soit 21 400 t de viande produite au total en Géorgie. En comparaison, la même requête indique, pour la France, 310 kg c et 4 589 316 bovins abattus soit 1 423 404 t de viande – un volume produit 66 fois supérieur à celui de la Géorgie, alors que la population n’est que de 16 fois supérieure. La piètre efficacité de la filière viande bovine géorgienne est flagrante. Comment un peuple d’éleveurs a-t-il pu laisser la situation dégénérer à ce point ? Près de 70 ans de domination de l’URSS et la perte du savoir-faire rural traditionnel expliqueraient la pénurie actuelle.

Des investissements dans l’Angus

La famille Kobakhidze, dont une des activités est l’élaboration de plateaux-repas pour les transports aériens, a décidé un investissement simple et dont elle espère une rentabilité maximale. Dans la banlieue proche de Tbilissi, près de l’aéroport, un premier bâtiment d’élevage a été construit pour l’engraissement de 160 broutards angus, ainsi qu’une cabane pour les trois gardiens qui les nourrissent et les surveillent. Le projet bénéficie de l’aide financière du gouvernement pour produire en Géorgie. « On a commencé en septembre 2018, on va vendre les bêtes en juin, déclare Oto Kobakhidze. En Géorgie, il y a beaucoup de restaurants qui veulent de l’Angus et nous attendent. Les broutards sont achetés en Russie dans de grandes fermes et acheminés en deux jours de camion. Ils restent 20 jours en quarantaine et sont engraissés ici durant 9 mois, où l’objectif est de les faire passer de 200 à 600 kilos. Nous envisageons de vendre le kilo à 30 euros pour les muscles les plus chers et 3 euros les autres parties. C’est un business très profitable. » Ils souhaitent développer cet élevage hors sol. Un second bâtiment est déjà construit. Ils envisagent aussi de confier l’engraissement à d’autres éleveurs, de vendre à Carrefour des carcasses entières, d’exporter en Asie, en Iran… Les Kobakhidze achètent aussi de jeunes femelles de 9 à 10 mois, afin de devenir naisseurs. La difficulté est bien sûr de fournir une viande très bon marché, car le salaire de base en Géorgie n’est que de 150 euros mensuels.

Le déficit agroalimentaire géorgien est une opportunité à saisir

Jacques Fleury est un homme d’affaires spécialiste des entreprises en difficulté. En Géorgie, il a en particulier relancé l’activité viticole du château Mukhrani et des eaux minérales Borjomi. Pour Jacques Fleury, le déficit de viande, et plus généralement de produits alimentaires en Géorgie, est une opportunité à saisir. « Il y a un million de bovins en Géorgie, on a le meilleur bassin de marché pour la viande, entre Turquie, Irak, c’est un hub extraordinaire. Il y a même des abattoirs halal. » Il envisage d’acheter 450 ha avec quatre investisseurs, afin de cultiver l’herbe, dans une zone fraîche, et de commencer par 350 bovins d’une race rustique comme la Salers, facile à conduire avec des salariés pas forcément très pointus côté conduite d’élevage. Des génisses amouillantes, qu’il importerait par bateau. À suivre…

 

Des Suisses investissent dans les boucheries

Max Blauenstein est un investisseur suisse dont les parents furent bouchers à Genève. Il s’est associé avec Irakli Kervalishvili, partenaire local désireux de développer sa région natale, qui ressemble à la Suisse. Ils ont acheté des bovins afin de les faire engraisser par des éleveurs locaux, ont bâti un abattoir sur place et ouvert un magasin à Tbilissi.

« Le démarrage fut laborieux », raconte sans concession Tatia Arabidze. Elle dirige les boucheries Blauenstein à Tbilissi, dont l’élevage se situe dans la province de Racha, à 6 heures de route vers l’Ouest. « Quand on a commencé à construire en 2008, il n’y avait rien, que des buissons. Début 2010, nous achetons en Arménie des vaches de race brune du Caucase, mais le vendeur nous fournit un troupeau âgé, dont 60 % meurent en arrivant », se souvient la dirigeante.

« Des veaux porte-clefs ! »

Sur place, les paysans initialement employés étaient persuadés de savoir élever des bovins. Mais certains n’ont jamais accepté les clôtures électriques : ils craignaient qu’elles ne brûlent les animaux. « Ils ont laissé les vaches errer, les gestations n’étaient pas contrôlées ; on ne savait pas qui étaient les pères des veaux, qui pesaient de 8 à 15 kg à la naissance : des porte-clefs ! On devait tout leur réapprendre. » Mais les relations avec les éleveurs s’enveniment : « cela dépend de la dose de soviétisme dans le sang. Certains, en particulier les moins jeunes, ont du mal à comprendre qu’il faut travailler pour gagner sa vie, car à leur époque, il suffisait d’aller au travail ! »

Tatia Arabidze qualifie de « romantique » le projet de son patron Max Blauenstein : construire des bâtiments chez les paysans, leur fournir veaux, nourriture et service vétérinaire, racheter les veaux engraissés à 2,25 €/kg, alors que le prix du marché est de 1,6 €. « Certains revendaient la nourriture qu’on leur fournissait… Au final, sur les onze éleveurs, nous n’en avons gardé que trois qui sont sérieux et avec qui on continue à travailler. » Max l’idéaliste, ou l’irréaliste, n’est pas le seul à s’être confronté à ces incompréhensions. L’histoire « des Charolais offerts par la France » revient à plusieurs reprises dans les conversations : le troupeau aurait fini dans les boucheries locales, tandis que les élus français repartaient, persuadés que les bêtes étaient en transhumance et la race charolaise en plein développement.

Transfert de technologies

Après ces déconvenues initiales, qui leur font perdre à la fois du temps et de l’argent, Tatia Arabidze récupère 650 animaux, dont 200 mères, dans un état de malnutrition variable. L’entreprise s’organise, améliore la nourriture (foin et céréales aplaties), fait appel à des formateurs et inséminateurs suisses, à des doses de Simmental suisse, engage un vétérinaire « qui connaît chacune de nos bêtes, avec son histoire ». Désormais, l’abattoir aménagé aux normes suisses tue et découpe de 5 à 8 bêtes par semaine « vers 450 kg de poids vif, notre objectif étant 550 kg ». Le prix d’achat vif est de 2 €/kg. L’entreprise suisse applique ses méthodes, même si elles intriguent, voire dérangent les autorités locales : « on utilise une cartouche pour l’abattage, difficile à importer car elle est classée en tant que munition. L’installation d’un incinérateur a dû être négociée. De même, la maturation des arrières, jusqu’à 21 jours, alors que le règlement sanitaire exigeait un délai beaucoup plus bref pour la vente de la viande fraîche. Ils ont modifié la loi pour nous. »

Aujourd’hui, Tatia Arabidze se réjouit : « on attend la quatrième génération de veaux. Maintenant, ils pèsent 50 kg à la naissance. Nous allons aussi ouvrir une école pour former des jeunes à l’élevage ».

Boucherie modèle suisse

La demande de viande bovine est forte et la boucherie modèle bâtie par Max se révèle l’une des plus réputées de la ville. « On est la seule entreprise qui ait le contrôle sur toute la filière, de l’élevage au magasin. Actuellement, nous sommes 60 employés. Notre image : des produits chers mais de confiance. Nos clients sont à 80 % des particuliers et 20 % des restaurants. On n’a pas de concurrent, personne ne fait la même chose que nous. On découpe pour le pot-au-feu, pour la soupe, mais aussi l’entrecôte, la côte de bœuf, le T-Bone. On vend même de la viande de bœuf séchée à grignoter avec la bière. On envisage d’ouvrir un restaurant en 2023. »

Quelques exemples de leurs prix, sur des étiquettes écrites en géorgien et en français : entrecôte de bœuf sans os 16 €/kg, avec os 13 €/kg, ragoût de bœuf 8 €/kg, hampe, bavette, onglet, 7 €/kg, poitrine avec os 6,3 €/kg. Les morceaux de viande sont filmés sous plastique pour éviter qu’ils ne prennent une couleur sombre, ce que le client n’apprécierait pas.

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