En Angleterre
Etre éleveur au pays du bien-être animal
Depuis une dizaine d’années, les éleveurs britanniques doivent composer avec la progression du végétarisme et les préoccupations sociétales liées au bien-être animal.
John Birkett est éleveur de bovins et d’ovins, à l’image d’un grand nombre d’agriculteurs britanniques. Comme beaucoup d’autres, il a abandonné, en 1989, ses Hereford et ses croisées au profit d’une race « continentale ». La Limousine présentait des aptitudes plus en phase avec les attentes du marché de la viande.
DANS LE LAKE DISTRICT
Sa trentaine de vaches partage les pâturages de son exploitation avec un troupeau de 750 brebis. En Grande-Bretagne, l’association des deux espèces est fréquente et permet de faire jouer leur complémentarité au pâturage. L’exploitation de John est située dans le Lake District, région de lacs et de montagnes au Nord-Ouest de l’Angleterre, qui constitue la partie la plus touristique et la plus montagneuse du pays. Avec des sommets culminant à près de 1 000 mètres, les conditions naturelles marquées par le relief et des hivers rigoureux désavantagent les agriculteurs de la région
« Les conditions économiques sont difficiles. Nous ne pouvons pas rivaliser avec les coûts de production du reste de l’Angleterre, souligne l’éleveur. Pour m’en sortir, je cherche de la surface dans la vallée pour pouvoir finir mes animaux, car aujourd’hui je vends une bonne partie d’entre eux en maigre ». Ses broutards sont vendus au marché au cadran, principalement à des éleveurs de la région voisine du Yorkshire qui disposent de plus de terres arables pour cultiver maïs et céréales.
Résultat : comme beaucoup d’agriculteurs du Lake District, John et son épouse Maureen tirent la majeure partie de leur revenu de l’agrotourisme, grâce aux sept gîtes ruraux qu’ils possèdent dans le village. Mais le tourisme signifie d’avril à octobre, une augmentation considérable de leurs temps de trajet sur les routes étroites et encombrées qui relient les parcelles constituant les 220 hectares de leur exploitation. Évoquant ces désagréments avec un agriculteur voisin, propriétaire d’un Bed and breakfast, John et son collègue en viennent à critiquer ces citadins « végétariens » et « défenseurs des animaux ».
SPÉCIFICITÉS ALIMENTAIRES
Ce type de discours est fréquent chez les éleveurs anglais, souvent mal à l’aise devant certaines évolutions de la société britannique. En Angleterre, 10 % de la population déclare être végétarienne. Par ailleurs, le premier label distinguant les produits alimentaires de qualité, « Freedom Food » (littéralement « aliment de la liberté ») certifie que les animaux dont est tiré le produit (viande, lait, oeufs, etc.) sont élevés dans des conditions respectant le bien-être animal.
Ce label délivré par la RSPCA (Société royale pour la prévention de la cruauté envers les animaux) dépasse de loin en volume celui de l’agriculture biologique, dont le marché peine à se développer au Royaume-Uni. Les épisodes douloureux de l’ESB et de la fièvre aphteuse sont encore présents dans les mémoires. Ils avaient provoqué une chute importante de la consommation de produits carnés.
Aujourd’hui, cette dernière a retrouvé les niveaux d’avantcrise. Le marketing des entreprises de l’agroalimentaire s’est adapté. Plus aucune photo d’animaux orne les emballages de viande, alors qu’il est de bon ton de voir un dessin de vache pâturant sur les bouteilles de lait. Comme s’il fallait faire oublier l’origine animale de la viande. Et la part de la viande hachée s’est accrue au sein du marché des produits carnés. Malgré cette reconquête des consommateurs, les conditions économiques se sont dégradées pour les éleveurs et la grande distribution tend à imposer sa vision des choses. Ce secteur est aujourd’hui concentré autour de quelques enseignes qui développent leurs marques distributeur, grâce auxquelles elles prennent l’initiative de l’innovation en matière agroalimentaire (voir page suivante).
VENTE DIRECTE
Dans ce contexte, certains agriculteurs voisins de John Birkett cherchent à réagir. C’est le cas de Jon et Caroline Watson, jeunes éleveurs qui ont opté pour la vente directe de viande ovine et bovine. Ils se sont détournés de la forme d’élevage conventionnelle basée sur le recours aux races « continentales ». « Il y a cinq ans, on est revenu à une race plus traditionnelle et plus adaptée aux conditions du Lake District, rappelle Caroline. On a choisi la Galloway, dont les conditions d’élevage plus économes et la rusticité permettent de produire à moindre coût. » Cette race valorise mieux le pâturage, prédominant sur l’exploitation, avec un cycle d’élevage plus long. « Quand on pratique ce genre d’élevage, on finit par vouloir valoriser les qualités différentes de la viande issue de la race Galloway et le caractère plus ‘naturel’ de son mode d’élevage », affirme Caroline.
Les Watson ont investi 40 000 £ dans des équipements pour la découpe et le conditionnement de la viande. Progressivement, ils ont élaboré une stratégie de vente directe, limitée d’abord à la partie ovine, puis étendue ensuite à l’activité bovine : 700 agneaux et 70 bovins (de 30 à 40 mois) sont aujourd’hui commercialisés chaque année de cette manière. « En Angleterre, il est impossible de valoriser la viande bovine seulement vers des particuliers, car les consommateurs connaissent peu les différents morceaux », précise Caroline.
Les Watson ont donc démarché des restaurateurs et des entreprises agroalimentaires pour valoriser les bas morceaux en viande hachée : ceux-ci constituent actuellement 60 % de leurs débouchés. Marginale dans le paysage de l’élevage anglais, cette stratégie s’appuie sur plusieurs atouts, notamment la localisation de l’exploitation dans une zone très touristique. Autre facteur facilitant : l’existence d’un segment de la population britannique au pouvoir d’achat peu menacé par la crise actuelle, et qui cherche à se faire plaisir à travers la cuisine. « Ces « foodies » comme on les appelle, cherchent à célébrer la nourriture, explique Caroline. Cela leur plaît d’épater leurs amis invités à dîner, en leur parlant de la race Galloway… ».