Au détour d’un chemin, des randonneurs ont pu avoir la surprise cet été de croiser des vaches charolaises paissant entre les sommets pyrénéens. Chaque année, Damien Liarest, installé en bio à Lanne dans les Hautes-Pyrénées, et son père Pierre, éleveur retraité, accompagnent une partie de leur cheptel mère sur l’estive de Port-Débat près du col de Cabaliros, à 1 700 mètres d’altitude, du 10 juin à début septembre.
Seules les gestantes transhument
Avant d’entamer leur périple, tous les éleveurs du groupement pastoral font échographier leurs vaches. Seules les gestantes montent à l’estive. « Nous préférons éviter le chahut provoqué par celles en chaleurs », indique Pierre Liarest. C’est pour cette même raison que les génisses vides ne participent pas à la transhumance. Pour l’EARL La Ferme de Liarest, le calme du troupeau estivant est d’autant plus important que les éleveurs sélectionnent depuis six ans le gène sans cornes. « J’étais inquiet la première année, mais elles ne cherchent pas la bagarre. Elles ne reçoivent pas davantage de coups de cornes des autres », constate Pierre Liarest.
La moitié des vêlages intervient entre le 20 août et le 15 décembre, l’autre moitié du 1er mars au 15 mai. « Nous gardons en bas cinq vaches en moyenne dont le vêlage est prévu avant le 1er septembre, ainsi que les vaches à haute valeur génétique, avec lesquelles nous ne voulons prendre aucun risque », précise l’éleveur. Au final, ce sont donc seize à dix-sept vaches qui rejoignent l’estive.
Il faut une heure et demie aux deux bétaillères pour monter les 45 kilomètres les séparant de l’exploitation. « Nous lâchons les vaches à l’entrée de l’estive. Les plus âgées ont l’habitude et montrent le chemin aux jeunes », sourit l’éleveur.
Sur les hauteurs, ses bêtes se mêlent aux 190 vaches, 100 brebis et dizaine d’équins qui forment le troupeau transhumant, et profitent en liberté totale de 150 hectares de prairies et de bois. Pour limiter les risques sanitaires liés au regroupement des troupeaux, la commission syndicale impose que tout le cheptel de l’exploitation soit indemne de brucellose, tuberculose, IBR et BVD au moins quatre mois avant la montée. Le choix de la vaccination reste, lui, individuel. « Nous vaccinons contre les sérotypes 4 et 8 de la fièvre catarrhale ovine (FCO) depuis trois ans », précise Pierre Liarest. De plus, l’application d’un insecticide sur le dos éloigne les mouches, davantage présentes en estive depuis quelques années à cause du changement climatique.
L’estive n’est pas gardée, les éleveurs se relaient donc pour aller surveiller le troupeau. Quand c’est leur tour, Pierre et Damien Liarest en profitent pour distribuer des minéraux sous forme de seau à lécher. « La commission syndicale a installé quatre parcs de contention sur l’estive pour être en mesure d’y soigner les animaux et les charger dans les bétaillères. Il y a également un refuge au cas où quelqu’un aurait besoin de rester sur place une nuit », décrit l’éleveur. Ses charolaises restent plutôt au centre de l’estive. « Elles ne s’aventurent pas dans les endroits plus risqués », observe Pierre Liarest. Plusieurs ruisseaux assurent l’abreuvement. Pour un droit de pacage de 25 euros par vache, les éleveurs ont ainsi accès à un complément de surface et à une certaine tranquillité dans l’organisation du travail. « Sans l’estive, nous aurions besoin de surfaces en plus. Ce serait aussi dix-sept vaches supplémentaires à soigner, davantage de clôtures à poser, plus de fourrage consommé les années sèches… nous n’aurions pas le temps de partir en vacances », résume l’éleveur.
De petits veaux en retour d’estive
À l’estive, le risque de prédation par les vautours est important au moment des mises bas. « C’est pourquoi nous les ramenons toujours avant », souligne Pierre Liarest. Tous les vêlages d’automne sont issus d’insémination artificielle (IA) afin de piloter au plus près les dates des naissances. L’IA représente entre 20 et 30 % des accouplements des vêlages de printemps, principalement pour le renouvellement.
« En estive, les vaches se maintiennent en état, mais ne grossissent pas », observe l’éleveur. Résultat, les éleveurs constatent davantage de vêlages faciles au retour de la transhumance. « Ces vaches dépassent plus rarement le terme, et jamais de plus de sept jours. Elles font de petits veaux, autour de 46 kg », complète-t-il. Un avantage indéniable pour ces éleveurs, qui travaillent également la facilité de vêlage par la sélection génétique.
« Le seul inconvénient de l’estive sur les performances de reproduction est l’intervalle entre le premier et le second vêlage. Il avoisine les 400 jours, car certaines génisses ne vêlent à nouveau qu’au printemps suivant, en particulier celles qui ont mis bas après le 1er novembre », reconnaît Pierre Liarest.
La valeur laitière constitue l’autre axe de sélection génétique de l’exploitation. Couplée à une alimentation à base d’herbe fraîche (ou d’enrubannage selon les disponibilités), elle soutient la lactation des mères à leur retour dans la vallée et permet à l’exploitation de valoriser les rations herbagères exigées par le cahier des charges bio. L’hiver, la ration unique se compose à deux tiers d’enrubannage et un tiers de foin, supplémentés par des minéraux. L’été, les veaux et vaches à l’engraissement reçoivent également une complémentation à hauteur d’un quart de la ration : du maïs grain de l’exploitation ainsi qu’un concentré azoté à 35 % de protéines, acheté à 900 euros la tonne. Il est distribué à volonté pendant trois à quatre mois, pendant lesquels les vaches en consomment un peu plus de 10 kg par jour. Ainsi, les poids âge type des veaux mâles se situent à 205 kg à 120 jours et 351 kg à 210 jours. Les femelles pèsent 172 kg à 120 jours et 282 kg à 210 jours.
Tous les vêlages d’automne sont issus d’insémination artificielle afin de piloter au plus près les dates des naissances.
La transmission fait évoluer les débouchés en circuit court
Les veaux de boucherie sont abattus entre 6 et 7 mois, pour un poids moyen entre 170 et 180 kg de carcasse (kgc). « Ils seront vendus en Biocoop. Les plus lourds, qui pèsent 200 à 210 kgc, sont plutôt valorisés en vente directe ou en boucherie traditionnelle », précise Pierre Liarest. Les éleveurs visent des conformations notées U, pour une couleur notée 2 et un gras à 3. Les vaches grasses sont abattues autour de 500 kgc (U, gras supérieur à 3), « même en bio », souligne l’éleveur avec fierté.
Les éleveurs commercialisent leurs animaux uniquement en circuits courts. Un quart des veaux et un quart des vaches sont commercialisés chaque semaine sur les magasins bio du département et ceux de la banlieue de Pau, via le groupe coopératif Alti Pyrénées bio (lire l’encadré). Jusqu’en 2020, le reste de la production était commercialisé en vente directe. Mais depuis la reprise de l’exploitation par Damien Liarest, un nouveau débouché se développe avec la boucherie du magasin Biocoop à Tarbes. « Désormais, il prend chez nous six vaches et neuf veaux chaque année », chiffre Pierre Liarest. Cette évolution est un élément clé de la transmission pour Damien Liarest, qui, d’après son père, souhaite réduire le temps passé à la vente directe. Autre avantage de ce débouché, Damien Liarest a ainsi pu regrouper les vêlages sur deux périodes de l’année, le boucher s’approvisionnant chez plusieurs éleveurs.
L’EARL La Ferme de Liarest vend également deux veaux par an en moyenne comme reproducteurs, en station ou parfois vers l’Espagne. « La génétique sans cornes n’est pas utilisée par les éleveurs locaux, donc nous devons chercher plus loin nos acheteurs », confie Pierre Liarest. Envoyer les veaux en station coûte assez cher, mais reste une piste d’intérêt pour trouver acquéreur. « Les concours sont aussi l’occasion de rencontrer des acheteurs. Cette année, l’annulation du concours national qui devait se tenir à Saint-Gaudens est un coup dur », regrette l’éleveur.