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« Autonomie protéique rime avec économie, malgré très peu de pâturage »

Au Gaec de Tournans, en Haute-Saône, le développement de la luzerne et du méteil a permis de diviser par quatre la consommation de tourteau, avec une productivité laitière maintenue.

Laurent Isabey, un des cinq associés du Gaec de Tournans. « Heureusement, nous avons travaillé l'autonomie protéique avant que notre coopérative Ermitage ne passe toute sa collecte laitière en non-OGM ! Sinon, le coût alimentaire aurait été très élevé avec 3 kg de tourteau de soja et 1 kg de tourteau de colza dans l'ancien système. »
Laurent Isabey, un des cinq associés du Gaec de Tournans. « Heureusement, nous avons travaillé l'autonomie protéique avant que notre coopérative Ermitage ne passe toute sa collecte laitière en non-OGM ! Sinon, le coût alimentaire aurait été très élevé avec 3 kg de tourteau de soja et 1 kg de tourteau de colza dans l'ancien système. »
© Chambre d'agriculture de Haute-Saône

« Nous vivons mieux depuis que nous produisons nous-mêmes l'alimentation de nos vaches. Avant, nous étions davantage des négociants, cherchant à acheter les aliments du bétail au meilleur prix », plante Laurent Isabey, un des cinq associés du Gaec de Tournans. Entre 2015 et 2020, le Gaec est passé d'un système avec de l'ensilage de maïs et 4 kg de tourteaux – 3 kg de soja et 1 kg de colza –, à un système ne demandant plus que 1 kg de tourteau de soja expeller régional pour un même niveau de production laitière. Cela n'a pas été simple. « Malgré une double contrainte – très peu de pâturage pour les vaches traites et un parcellaire éclaté –, le Gaec est parvenu à un bon niveau d'autonomie protéique, sans irrigation », pointe Marie-Christine Pioche, de la chambre d'agriculture de Haute-Saône. L'exploitation compte 793 hectares de SAU, avec un foncier éclaté qui s'étend sur plus de 20 kilomètres, à cheval sur la Haute-Saône et le Doubs. Les 313 vaches laitières sont sur un site à 400 mètres d'altitude et n'ont que 11 hectares d'herbe accessibles. Avec trois paddocks de 1 à 2 hectares, les laitières pâturent en deux lots. « Elles tournent en journée sur avril et mai tant que la pousse est bonne, et un peu en automne. Cela représente 10 % de la ration sur deux mois et demi de pâturage », précise Laurent Isabey.

Cohérence avec la conservation des sols

C'est en 2016-2017 que le déclic a vraiment eu lieu. « Notre système maïs ensilage et tourteaux ne nous correspondait plus. Les factures arrivaient plus vite que nos recettes laitières. L'EBE/produit n'était que de 20 %. Au début, nous avons cherché à remplacer les tourteaux par une graine : la féverole, puis le soja. Mais, sans irrigation, les rendements sont trop aléatoires, raconte Laurent Isabey. Nous avons alors emprunté la voie fourrage, et avec une dizaine d'exploitations un GIEE a été créé pour se former sur l'autonomie alimentaire. L'intervention de Konrad Schreiber a été marquante. Avec le méteil, nous avons fait le lien entre le travail de conservation des sols que nous travaillions depuis 2014 et notre objectif d'autonomie protéique. »

La luzerne associée au colza

En 2014, les premiers pas vers plus d'autonomie protéique ont été faits avec le semis direct de colza sous couvert de luzerne ou de lotier, pour améliorer le sol. Le colza permet de limiter le salissement de la luzerne. L'association comprend 1 kg de colza pour 25 kg/ha de luzerne. Le Gaec réalise un passage par an d'oligoéléments et de 15 m3 de lisier par hectare.

 

 
La luzerne est implantée avec du colza. Elle est fauchée l'année suivante après la moisson du colza. Elle a le temps de bien s'enraciner et produit une très belle première coupe.
La luzerne est implantée avec du colza. Elle est fauchée l'année suivante après la moisson du colza. Elle a le temps de bien s'enraciner et produit une très belle première coupe. © Chambre d'agriculture de Haute-Saône

 

Cette association permet d'obtenir une superbe luzerne l'année suivante, après la moisson du colza. La luzerne reste trois ans en place. En moyenne, le rendement est de 10 t]]>MS/ha en quatre coupes. La deuxième coupe est généralement récoltée en foin, les trois autres en ensilage en mélange avec des prairies temporaires (mélange suisse pour 3 à 4 ans) ou en enrubannage. L'ensilage titre 17]]>% de MAT, le foin 13]]>%.

Autant de maïs, mais en ensilage d'épis

Avec plus de luzerne dans la ration des vaches, le Gaec est passé à l'ensilage de maïs épi. « Selon les récoltes d'herbe, de méteil et de luzerne – qui sont réalisées en grande majorité avant l'été –, nous pouvons décider d'ensiler soit les épis de maïs, s'il y a assez de stocks fourragers, soit le maïs plante entière, si les quantités de fourrage sont insuffisantes. Le maïs offre cette souplesse », pointe l'éleveur.

En cinq ans, le Gaec a réduit sa surface de blé et a développé celle de luzerne et un peu celle de prairies temporaires. « C'est valable économiquement car nous l'avons fait sur des parcelles à faible potentiel. » Pour améliorer le bilan économique, le Gaec moissonne 3 hectares de luzerne pour produire ses semences.

Du méteil semé tôt et récolté précoce

Le Gaec de Tournans sème une centaine d'hectares de méteil, composé de 30 kg/ha d'avoine, 40 kg de pois fourrager, 25 kg de vesce et 10 kg de trèfle squarrosum, le plus précoce des trèfles. Le méteil est cultivé en dérobée, entre une orge et un maïs ou entre deux maïs. « Économiquement, cultiver ses méteils vaut le coup si on fabrique ses semences. Donc, nous ne cultivons que ce que nous pouvons produire en semences. »

Dans l'Est, avec une période végétative plus courte que dans d'autres régions, « il faut semer le méteil tôt, mi-septembre, et au plus tard le 10 octobre s'il vient derrière un maïs. Pour qu'il se développe bien et démarre bien au printemps, et pour pouvoir le récolter tôt et ainsi ne pas pénaliser l'implantation du maïs ». En 2022, le Gaec a arrêté d'apporter de l'azote minéral et amène des effluents en sortie d'hiver. « Cela ne change rien à la valeur des méteils, voire même ils présentent de meilleurs UF et PDI, du fait d'une moindre dilution par le rendement, et parce que l'avoine était favorisée par la fertilisation minérale et concurrençait le pois et la vesce. »

Pour l'ensilage, le repère des associés est 850°C de somme de températures à compter du 1er février. Ils n'hésitent pas à profiter de fenêtres météo pour aller chercher de la haute qualité dès fin avril-début mai. « Obtenir de la qualité est plus difficile que récolter de la quantité. Il vaut donc mieux ne pas être trop juste en surfaces de méteil, pour s'autoriser à aller chercher la qualité. En 2022, une semaine de beau temps était annoncée au 1er mai. Nous avons ensilé une partie ; 37 hectares là où les maïs étaient destinés à faire du grain. Ce méteil était à 3,5 t]]>MS/ha à 0,95 UFL et 22]]>% de MAT. Les autres méteils ont été récoltés le 10 mai ; ils ont fait 6 t]]>MS/ha à 0,9 UFL et 19]]>% de MAT. »

Tâtonnement pour ajuster les rations

Contrairement à la luzerne qui offre des qualités relativement stables, les méteils présentent l'inconvénient de donner des rendements aléatoires et des qualités hétérogènes (de 0,65 à 0,95 UFL et de 13 à 22]]>% de MAT en moyenne). Mais ils permettent de constituer de gros stocks fourragers.

 

 
Le silo de méteil, avec parfois de la luzerne en sandwich. L'objectif du Gaec est d'avoir six mois de stocks fourragers d'avance et au minimum trois mois. Quand l'avance est assurée, les associés vont chercher de la haute qualité avec des fauches très précoces de méteil.
Le silo de méteil, avec parfois de la luzerne en sandwich. L'objectif du Gaec est d'avoir six mois de stocks fourragers d'avance et au minimum trois mois. Quand l'avance est assurée, les associés vont chercher de la haute qualité avec des fauches très précoces de méteil. © Chambre d'agriculture de Haute-Saône

 

Laurent Isabey a souvent remarqué qu'en pratique, le méteil permet de faire plus de lait que ce que les analyses prédisent. « Sur le papier, l'équilibre PDIE sur PDIN peut ne pas être bon, et en réalité, les vaches se portent bien et la production est au rendez-vous ! » Depuis l'an dernier, les associés maîtrisent mieux la manière d'utiliser les méteils dans la ration. « Notamment dans les préparations au vêlage, nous ajustons mieux la quantité de méteil en fonction de sa qualité, et le reste de la ration pour assurer une Baca négative. » Du coup, le rendement laitier des vaches s'est redressé : de 7 500 litres, il a atteint 8 700 litres en 2022.

Un seul kilo de tourteau de soja 

La complémentation comprend 1 kilo de tourteau de soja expeller 49. C'est un tourteau garanti sans OGM, fabriqué à l'usine Extrusel de Châlon sur Saône. « Il est onéreux : 730 €/t lors de la dernière livraison. Donc, nous préférons produire moins de lait et rester à 1 kilo », explique l'éleveur. Pour tenir la production laitière et l'état des vaches, les associés apportent 1 kilo de drêches venant de la Marne. La correction énergétique est apportée avec 3 kilos d'orge, cultivée par le Gaec.

Il reste peu de leviers pour améliorer encore l'autonomie protéique sans baisser en lait. « Nous pourrions améliorer l'efficacité protéique, en aménageant les bâtiments pour limiter la concurrence entre animaux et en individualisant les débuts de lactations éventuellement. »

Fiche élevage

En 2020

73 % d'autonomie protéique

73 % de la matière azotée totale vient de l'exploitation, 25 % de France (tourteau de soja, drêche) et 2 % est importée (aliment veau acheté)

313 vaches prim'Holstein et montbéliardes, et renouvellement et vente de génisses, soit 533 UGB au total

579 ha de SFP, 39 ha d'orge d'hiver autoconsommée et 100 ha de méteils en dérobée

365 ha d'herbe, surtout des prairies permanentes pour les génisses, 135 ha de maïs, 71 ha de luzerne, 8 ha pour produire les semences de méteil

7 500 l par vache à 41 de TB et 32,5 de TP

5 associés et 3,5 à 4 équivalents temps plein salariés

Ration complète pour 29 kg de lait, identique toute l'année

7,25 kg]]>MS d'ensilage de méteil et de luzerne mélangé

3,25 kg]]>MS d'ensilage de luzerne

1 kg de foin de luzerne

5,4 kg]]>MS d'ensilage de maïs épi

1 kg de drêche de blé sèche

1 kg de tourteau de soja expeller 49

3 kg d'orge autoconsommée

À retenir

* Moins de surface en blé, plus de luzerne et un peu plus de prairies temporaires

* Être large en surfaces pour ne pas hésiter à ensiler du méteil très précoce

* Maïs presque plus ensilé plante entière, seulement les épis

* Pâturage restructuré pour les génisses, pour mieux valoriser l'herbe par un pâturage tournant

Côté éco

68]]>€/1]]>000]]>l d'achats de concentrés et minéraux

31]]>% de charges opérationnelles/produit

30]]>% d'EBE/produit

« Il serait encore possible de monter en lait »

La production laitière par vache n'a pas changé avec le changement de système et les taux ont légèrement baissé. « Pourtant au début, la ration n'était pas évidente à caler avec les méteils. Depuis, la production progresse, en lien aussi avec du travail sur la génétique. Sur les douze derniers mois, notre moyenne est à 8]]>700 litres par vache. Et nous pourrions encore monter le rendement laitier, en individualisant la complémentation. Nous ne le faisons pas pour ne pas complexifier encore la conduite. Je suis convaincu que même avec de très hautes productrices, il est tout à fait possible de viser de bons niveaux d'autonomie protéique sans baisser en lait», explique Laurent Isabey.

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