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Acétamipride et stockage de l’eau : deux sujets clivants de la proposition de loi Duplomb, quels sont les arguments des « pour » et des « contre » ?

Avant que la discussion ne tourne court avec la motion de rejet adoptée le 26 mai par l’hémicycle, les deux mesures autour de l'acétamipride et du stockage de l'eau de la PPL visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur ont attisé les débats. Décryptage.

Députés LFI brandissant des pancartes à l'assemblée nationale
Les députes de LFI ont brandi des pancartes évoquant des victimes de maladies causées par des pesticides, lors du débat houleux sur le projet de loi Duplomb, à l’Assemblée nationale, à Paris, le 26 mai 2025.
© Assemblée nationale

[Mis à jour le 2 juin 2026]

 

La discussion autour de la proposition de loi Duplomb a tourné au bras de fer lundi 26 mai dans et devant l’hémicycle entre opposants et partisans, le débat se cristallisant surtout autour de deux points. Qualifiés de ligne rouge par certains députés, il s’agit de la réautorisation de l’acétamipride et de la question du stockage de l’eau.

Relire : « Lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur » : que dit la proposition de loi des sénateurs Duplomb et Menonville ? 

Face aux 3500 amendements déposés dont 1550 par les écologistes et 840 par LFI, la manœuvre tactique de voter une motion de rejet, qualifiée de « nouvelle forme de 49.3 » par certains, déposée par les partisans du texte, le renvoie directement en commission mixte paritaire

D’ici là retour sur les deux points clivants et les arguments des « pour » et des « contre ».

Lire aussi : Motion de rejet de Julien Dive adoptée : la PPL Duplomb renvoyée directement en Commission mixte paritaire

 

Acétamipride : la réautorisation de ce néonicotinoïde divise fortement

La proposition de loi Duplomb souhaitait au départ réautoriser sans conditions l’acétamipride, une des cinq substances répertoriées dans la famille des néonicotinoïdes.

En France, l’article 125 de la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité a interdit à partir du 1er septembre 2018 l’emploi de tous produits phytopharmaceutiques contenant des néonicotinoïdes, y compris l’acétamipride, qui reste autorisée en application foliaire dans les autres pays européens jusqu’en 2033. Deux exceptions ont été faites à cette réglementation avec des dérogations accordées pour la filière betterave en 2021 et 2022.

Lire aussi : Produits phytosanitaires : des différences d’usage entre la France et les voisins européens en grandes cultures

Pour la réautorisation de l’acétamipride : quels sont les arguments ?

Les initiateurs de la loi Duplomb, responsables de la FNSEA et Jeunes agriculteurs en tête, veulent revenir sur « une sutransposition française du droit européen » en autorisant l’acétamipride.

Leurs arguments : certaines filières qui avaient recours à cette substance avant son interdiction en France rencontrent des difficultés pour produire et dénoncent des distorsions de concurrence. C’est le cas notamment de la filière française de noisettes qui « a fait état d’une perte de 70% des rendements sur les vergers l’année suivant l’interdiction de l’acétamipride » ayant une efficacité importante sur la punaise diabolique et le balanin de la noisette, peut-on lire dans le rapport de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale sur le texte Duplomb. « Et les alternatives ne constituent pas une solution pérenne » selon les filières concernées (multiplication des passages pour une moindre efficacité et un surcoût).

Selon Jean-Luc Fugit, député Ensemble pour la République, la filière noisette n’est pas la seule concernée, l’Allemagne ayant ainsi récemment appliqué un régime dérogatoire pour utiliser l’acétamipride sur la culture de pommes de terre et la betterave.

Lire aussi : Proposition de loi Duplomb : quels étaient les usages des néonicotinoïdes en cultures de fruits et légumes ?

Contre la réautorisation de l’acétamipride : quels sont les arguments ?

Représentés entre autres par Sandrine Le Feur, députée Ensemble pour la république et rapporteure pour avis de la commission du développement durable, les opposants aux texte, parmi lesquels figurent la Confédération paysanne et la fédération nationale de l’agriculture biologique, refusent d’autoriser « de nouveau l’usage de l’acétamipride au profit de quelques filières – la noisette, cultivée par 300 agriculteurs – mais au détriment de milliers d’autres agriculteurs des filières apicoles, des fruits et légumes et des oléaprotéagineux », ayant, selon eux ,observé une baisse de rendements du fait de la diminution du nombre d’insectes pollinisateurs, pour partie imputable aux néonicotinoïdes. Voyant dans cette réautorisation un recul pour la biodiversité, ils s’appuient entre autres sur l’Anses et le ministère de la santé qui se sont dits inquiets du risque neurotoxique de l’acétamipride lors de leur audition devant les députés.

Suite à une alerte de l’Anses, l’Efsa a réévalué l’acétamipride et recommandé le 15 mai 2024 d’abaisser les seuils admissibles. La Commission européenne a elle-même informé le 5 décembre 2024 qu’elle avait lancé un réexamen de l’approbation de l’acétamipride, rappelle la député écologiste Delphine Batho. Un argument de plus pour les opposants à la PPL Duplomb, qui n’hésitent pas à dire que cette proposition de loi ouvrirait la boîte de Pandore ou encore serait un cheval de Troie des néonicotinoïdes.

Dominique Potier, député socialiste, estime pour sa part qu’une réautorisation dérogatoire de l’acétamipride ne devrait être possible que sur avis positif de l’Anses.

Quelle est la position du gouvernement sur l’acétamipride ?

Opposé à la première écrite de la proposition de loi Duplomb visant à réautoriser l’acétamipride sans conditions, le gouvernement a exprimé un avis de sagesse sur la version issue de la Commission des affaires économiques. Cette version, que Julien Dive affirme vouloir défendre en CMP, visa à permettre après avis du conseil de surveillance créé par Julien Denormandie, la publication d’un décret permettant de déroger à l’interdiction de produits utilisant l’acétamipride pour une durée maximale de trois ans, cette dérogation tombant dès l’apparition d’alternatives.

Lire aussi :  Proposition de loi Duplomb : tensions avant l’ouverture des débats à l’Assemblée nationale qui risquent de tourner court

 

Stockage de l’eau facilité pour les agriculteurs : bataille autour de l’usage de l’eau

L’article 5 de la proposition de loi Duplomb visait à « faciliter les projets de stockage de l’eau présentant un intérêt général majeur » et à ajuster la hiérarchie des usages de l’eau pour davantage prioriser l’agriculture. Il souhaitait aussi faire évoluer les schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux (Sdage) pour mieux prendre en compte les besoins en eau de l’agriculture.

Un article renforcé en première lecture au Sénat en prévoyant que « les ouvrages de stockage d’eau et les prélèvements agricoles sont présumés être d’intérêt général majeur et répondent à une raison impérative d’intérêt public majeur dans les zones affectées d’un déficit quantitatif pérenne compromettant le potentiel de production agricole lorsqu’ils sont issus d’une démarche territoriale concertée sur la répartition de la ressource en eau » et ce pour « préserver l’accès à la ressource en eaux aux fins d’abreuvement (sous-entendu du bétail) », introduit par un amendement gouvernemental.

Pour le stockage de l’eau en hiver : quels arguments des partisans ?

La FNSEA et les Jeunes agriculteurs, et plus particulièrement les irrigants, représentés par Eric Frétillère, président d’Irrigants de France, comptaient sur cet article pour sécuriser les projets de réserves de substitution, visant à stocker les eaux pluviales abondantes l’hiver pour les réutiliser l’été en période de sécheresse. Une solution nécessaire pour la survie des exploitations agricoles face au changement climatique.

Lire aussi : Stockage de l’eau : « l'impact de nos prélèvements sur le milieu est maîtrisé grâce à notre réserve collective »

Lire aussi : Irrigation : 21 réserves de substitution vont bien pouvoir être construites en Charente-Maritime

Contre le stockage de l’eau : quels arguments des opposants ?

Soutenus par les députés de gauche et écologistes, les opposants à la PPL Duplomb, dont la Confédération paysanne et le Collectif Nourrir, mettent en avant « une remise en cause de l’ensemble de la politique sanitaire et écologique de la gestion de l’eau » et estiment que « cet article favoriserait les pratiques intensives » ouvrant ainsi « la voie à l’accaparement des ressources par les acteurs sont les moyens financiers sont suffisants pour réaliser des ouvrages », selon les propos du sénateur écologiste Daniel Salmon. 

Non opposée de manière générale « à toutes les retenues d’eau », Sandrine Le Feur, rapporteure du texte à la commission développement durable de l’Assemblée nationale, a pourtant contribué à faire supprimer cet article 5 au motif qu’il allait contre la protection des habitats naturels. « Avec l’adoption de cet article, le droit de l’environnement serait affaibli et les institutions de concertation, légitimes pour organiser la gestion de l’eau sur le territoire, seraient contournées », a-t-elle déclaré en commission, soutenue par le député socialiste Dominique Potier pour qui « l’eau est un bien commun qui doit être géré et partagé comme tel, en favorisant l’innovation et la sobriété ».

Après la suppression de cet article, la commission développement durable saisie sur le sur le fond sur les articles 5 et 6, a complètement réécrit le texte en réservant « l’usage exclusif des retenues d’eau pour l’agriculture biologique ou de conversion », en interdisant l’irrigation des cultures intermédiaires à vocation énergétique (Cive) à partir des réserves d’eau, ou encore en instaurant un moratoire de dix ans sur « la construction de mégabassines ». 

Stockage de l’eau : quelle est la position du gouvernement ?

Opposé à la révision des zones humides inscrites aussi à l’article 5, le ministère de l’Agriculture estime que pour le stockage de l’eau la version du texte issue du Sénat était équilibrée. 

« Il n’y a pas d’agriculture sans eau. Le besoin en irrigation va augmenter. Nous avons la volonté de développer le mutli-usages. L’interdiction du stockage aurait pour conséquence la fin de l’agriculture sur certains territoires, ce n’est pas acceptable », commente le cabinet d’Annie Genevard.

Quelle version du texte ressortira à l’issue de la commission mixte paritaire ? Les tractations en coulisses vont être intenses dans les jours qui viennent sur ces deux sujets très clivants.

Lire aussi : Proposition de loi Duplomb : quelles modifications en commission à l’Assemblée nationale ?

 

Quel texte en sortie de Commission mixte paritaire ?

Quelle version du texte ressortira à l’issue de la commission mixte paritaire qui doit repartir du texte voté par le Sénat ? Les tractations en coulisses vont être intenses dans les jours qui viennent sur ces deux sujets très clivants.

Souhaitée dans la semaine du 10 juin par la FNSEA et les députés de droite, la commission mixte paritaire (CMP) pourrait se tenir les 24 ou 25 juin, ou le 1er juillet, selon nos confrères d’Agra Presse.

L’auteur de la proposition de loi Laurent Duplomb a confié à nos confrères d’Agra Presse vouloir s’en tenir à la rédaction du Sénat sur la question de l’eau. Pour la réautorisation de l’acétamipride, le sénateur se dit prêt à accepter la durée de validité de trois ans, et l’interdiction d’une culture mellifère après son usage, mais une année seulement. 

Lire aussi : ICPE : le gouvernement veut sortir l’élevage du « droit commun » et créer un « cadre réglementaire dédié »

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