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En Allemagne, plus de bien-être pour 4 centimes au kilo

La recrudescence des demandes sociétales a conduit la filière allemande à mettre volontairement en œuvre des mesures destinées à améliorer le bien-être animal. Un fonds alimenté par la grande distribution paye le surcoût.

Les grands élevages, champions de la productivité au mètre carré, ont nettement senti monter la pression sociétale ces dernières années. Les organisations professionnelles ont réagi en mettant un visage sur les éleveurs dans leurs campagnes de communication, en multipliant les portes ouvertes, en ouvrant des sites internet, en investissant les réseaux sociaux. Ces stratégies ne suffisent plus. Les « élevages usines », comme les qualifient leurs opposants, demeurent plus que jamais sous la menace de la désaffection progressive du consommateur. Voilà pourquoi industriels et éleveurs de la volaille et du porc, une dizaine d’enseignes de la grande distribution pesant 85 % du marché, pouvoirs publics et une association de défense des animaux comme le DTB (Deutscher Tierschutzbund), ont défini les points d’une démarche de bien-être animal accessible à tous. Le tour de table a mis trois ans et demi pour aboutir au cadre actuel d’Initiative Tierwohl (ITW).

Socle QS, densité réduite, indicateurs

Le respect du système allemand QS apparu en 2001 pour garantir la qualité et la sécurité alimentaire du champ à l’assiette constitue le socle obligatoire. En plus de règles sanitaires et d’hygiène classiques, le cahier des charges ITW impose un chargement maximal moyen sur trois lots successifs de 35 kg/m² utile en poulets, de 48 kg/m² en dindes et de 53 kg/m² en dindons. Il impose des indicateurs comme la mortalité en élevage et durant le transport. Les taux et la nature des lésions constatés aux pattes en constituent un troisième relevé par l’abatteur qui le communique à l’éleveur. ITW demande que les animaux puissent s’abreuver jusqu’à l’enlèvement et que les poulets empruntent un parcours assombri au chargement. Il prévoit l’obligation pour l’éleveur de suivre au moins une formation par an. Le professionnel peut ensuite décider de son propre chef de proposer des matériaux de jeu autres que la paille et/ou des accessoires de picage supplémentaires, davantage de place pour faciliter les bains de poussière et la possibilité aux animaux de battre librement des ailes.

Des éleveurs sur liste d’attente

Tout éleveur désirant s’inscrire dans cette démarche doit être volontaire. « Les programmes bien-être initiés sur la base d’un cahier des charges indépendant ont un impact limité. ITW s’adresse à un maximum d’ateliers sans discrimination aucune », signale Alexander Hinrichs, directeur de l’Association de promotion du bien-être en élevage de rente, la structure qui gère ITW. Depuis l’ouverture à candidatures le 1er juillet 2015, 645 éleveurs de poulets et 171 de dindes se sont manifestés. Les audits ont agréé l’écrasante majorité des prétendants. Mais tous ne sont pas pour autant élus. Pourquoi ? « Le budget disponible ne suffit pas », avoue Alexander Hinrichs. ITW est entièrement financé par une contribution de 4 centimes par kilo de viande fraîche payée par la grande distribution. Cela représente une somme de 85 M€ pour un potentiel annuel cumulé de 255 millions de poulets et dindes, ainsi que 12 millions de porcs. Durant l’année 2015-2016, vingt-deux millions ont été reversés aux aviculteurs et 26,50 M€ sont budgétés pour l’exercice 2016-2017. Pour diminuer le nombre d’élevages sur liste d’attente, la part reversée a été fixée à 2 c/kg de poulet vif (plafond de 3,6 centimes envisagé à l’origine). En dinde, elle a été maintenue à 3,25 c/kg en femelles et à 4 c/kg en mâles. Cette recette supplémentaire est calculée pour compenser le surcoût lié au respect du cahier des charges. Des discussions sont en cours pour l’augmenter. Le DBV, le principal syndicat agricole allemand, souhaite qu’elle triple pour passer à 0,12 €/kg.

« ITW : un petit pas dans la bonne direction »

En pleine zone céréalière, Arnd von Hugo a converti sans peine son élevage au programme ITW.

Arnd von Hugo est à l’origine céréalier sur 180 ha et depuis peu producteur de poulets. Il a démarré son premier lot de Ross 708 en janvier 2013 dans deux bâtiments neufs de 20 x 100 m avec 84 800 places. Il s’est porté candidat au programme bien-être et a passé l’audit avec succès. Son atelier est agréé depuis octobre 2015. « En 2012, mon projet a suscité une forte opposition. À quelques kilomètres de Hanovre et de son agglomération d’un million d’habitants, c’était nouveau et les politiques locaux n’y étaient pas très favorables. D’avoir à beaucoup me justifier m’a rendu attentif à ces questions. Chaque année, j’accueille une cinquantaine de groupes avec une salle où les visiteurs voient les animaux derrière une baie vitrée. J’organise une à deux portes ouvertes qui attirent jusqu’à un millier de personnes. La conduite conventionnelle de mes lots ne me donnait pas mauvaise conscience, mais pour une question d’image, je me suis intéressé à l’initiative bien-être dès qu’elle a été rendue publique. »

10 % de viande en moins par lot…

Dans ses bâtiments récents, l’éleveur s’est adapté aux normes ITW en prenant deux décisions. Il a mis à disposition des matériaux de jeu comme des pierres à picorer et, de sa propre initiative, des perchoirs de son invention. Ce sont des plateaux mobiles suspendus et des planches fixes sous lesquelles les oiseaux adorent se cacher. Il a diminué la densité en passant de 21,2 têtes par m2 à 18,25 (36 500 poulets par bâtiment au lieu de 42 400). « Je n’ai pas le sentiment que les animaux se portent mieux parce qu’ils ont plus de place. Ils continuent à être les uns sur les autres », constate Arnd. Les écarts techniques ne sautent pas aux yeux. La croissance de 68 g/jour s’est maintenue. Les poulets partent toujours entre 32 jours (1,8 kg) et 42 jours (2,4 kg). « Je n’ai pas assez de recul après quatre lots ITW. Chacun est différent. Ce qui est certain, c’est que je livre 10 % de viande en moins. En contrepartie de la diminution de recette de 14 300 € par lot, je touche 3 400 € (2 centimes de plus par kg). La pression des maladies est peut-être moins forte. Je distribue moins d’aliment. Je diminue mes frais de ramassage, mais je place une pierre à picorer pour 150 m², et il faut du temps pour nettoyer perchoirs et plateaux. La plus faible densité risque de faire monter la consommation de gaz. J’espère qu’au bout du compte, coûts en plus et en moins s’équilibreront.»

Pour Arnd, le programme ITW n’est « qu’un petit pas dans la bonne direction ». Il estime que la société est prête à payer sa viande « seulement un tout petit plus cher ». Il reconnaît au système le mérite de ne pas casser les marchés à l’export. Mais c’est tout. « ITW ne se base pas sur un raisonnement économique. Je regrette que cette démarche passe par un fonds alimenté par la grande distribution. J’aurais préféré que le marché et le consommateur encouragent l’éleveur à produire avec plus de bien-être par un prix d’achat plus élevé. L’acheteur devrait avoir le choix en rayon. Mais si les enseignes communiquent sur ITW, elles ne le signalent pas sur l’étiquette. C’est dommage. Le nombre d’animaux que j’élève m’est égal. Quel qu’il soit, il doit me permettre de gagner ma vie. »

« Initiative Tierwohl loin derrière les exigences des labels »

« Les mesures d’ITW sont un premier petit pas pour plus de bien-être. Elles n’abordent pas par exemple la question sensible de l’épointage. Mais elles insistent sur la place par animal qui est un critère important. En volaille, elles ont l’avantage de toucher une grande part des animaux. Mais elles restent loin derrière les exigences des démarches label et des associations de défense des animaux, ainsi que des souhaits des consommateurs. La démarche ITW reste pour l’heure largement méconnue de la majorité de la population. Elle ne parvient donc pas encore à mieux faire accepter un élevage qui est largement sous les feux de la critique en Allemagne. Une commission créée par le ministère fédéral de l’Agriculture a émis des propositions pour mieux faire correspondre les demandes sociétales en matière d’élevage et la réalité de la production agricole. Elle recommande un paquet de mesures et un débat sous autorité scientifique entre la société civile et les filières d’élevage. C’est un canal pour répondre au discours de ceux qui dénoncent les « fermes-usine ». En l’état actuel des connaissances, la taille de l’élevage n’a qu’un impact très limité sur le bien-être animal. La conduite de l’élevage est un facteur qui l’influence beaucoup plus. »

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